INTERVIEW

Corneille en interview

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Bien que six ans séparent Parce qu’on aime de son précédent album de compositions, Corneille n’est jamais vraiment resté à l’écart de son public pendant tout ce temps… De Danse avec les Stars à la tournée Forever Gentlemen aux côtés de Garou et Roch Voisine en passant par l’album de reprises Love & Soul et l’écriture de son autobiographie Là où le soleil disparaît, l’auteur-compositeur-interprète a ressenti le besoin de multiplier, à l’aube de ses quarante ans, les expériences et les découvertes. Libéré et apaisé d’avoir couché sur papier l’histoire de ses proches victimes du génocide rwandais mais aussi de s’être livré sur tout ce qui a fait sa vie depuis, l’artiste a pu revenir, en février dernier, avec un nouvel album conçu à quatre mains avec son épouse Sofia dans lequel il met en exergue ce qui compte le plus pour lui aujourd’hui : l’amour vrai, pur et durable de la famille qu’il a choisi de construire…

CORNEILLE nouvel album « PARCE QU’ON AIME » sorti le 15 février 2019

En concert : Nice / 28 novembre 2019 • Paris / Le Trianon / 15 décembre 2019


« Personne n’est génétiquement programmé à aimer ou à détester l’autre… »


MORGANE LAS DIT PEISSON : Un tout nouvel album et une première date de concert à Paris…

CORNEILLE : J’ai hâte d’être sur scène car c’est là que Parce qu’on aime, pour moi, prendra réellement vie au rythme des réactions du public… Sortir un nouvel album me laisse toujours un peu dans le flou car je ne sais pas comment les gens l’écoutent et le perçoivent… Je ne sais pas s’ils dansent, s’ils chantent, s’ils réfléchissent ou s’ils pleurent quand ils sont chez eux tandis qu’en concert, je pourrai me rendre compte de la portée de tout ce que j’aurais écrit et composé pendant des mois dans mon coin.  

Parce qu’on aime a été conçu avec la personne dont tu es le plus proche, ton épouse…

Travailler avec la personne qui me connaît le plus a été un peu difficile au tout début, il y a dix ans… Quand tu es auteur-compositeur, ta musique et ton texte représentent une sorte de refuge où tu te plais à être seul avec toi-même dans l’espoir de te sentir le plus libre possible, alors l’apport d’un tiers – quel qu’il soit – fait peur car tu as la sensation de courir le risque d’être un peu dépossédé de tes créations et d’une partie de toi… Ma musique a gagné en nouveauté et en longévité grâce à la vision de Sofia et je peux dire qu’au fil des années on a su tisser une relation de confiance professionnelle et de complémentarité artistique qui a rendu la chose très facile…

Plus forts et plus efficaces à deux… 

C’est ce que j’attends du couple, c’est que j’en espère… Pour moi, vivre à deux ce n’est pas perdre une liberté mais en gagner une car, si on peut compter sur l’autre pour nous élever et nous soulager, on est indéniablement meilleur et plus fort. 

Un album comme une autobiographie d’un couple, de l’amour naissant à l’amour qui dure…

C’est exactement le thème de l’album Parce qu’on aime… Avec Sofia on a voulu explorer et mettre en valeur l’amour véritable et quotidien, celui que l’on ne voit jamais dans les comédies romantiques ! (rires) L’amour au cinéma n’a d’importance que s’il commence ou s’achève car c’est dans ces moments là qu’il est fait de sentiments extrêmes et donc d’actions intéressantes à filmer mais, dans la vraie vie de tous les jours, il ressemble beaucoup plus à celui que l’on décrit dans Manque de sommeil ! (rires) 

Entre les deux derniers albums, il y a eu la tournée Forever Gentlemen, une autobiographie, un album de reprises… C’était important de passer par d’autres chemins avant de revenir ?

Il fallait que je le fasse… Je ne sais pas à quel point ça a été une décision consciente mais j’ai répondu à des besoins qui se sont faits sentir à un moment de ma vie. Ça faisait six albums que j’écrivais et composais, que je ne dévoilais que la surface des choses puisqu’en chanson on est plus dans une poésie et une esthétique que dans une vérité claire et absolue, et le désir du livre est né comme ça… C’est une écriture très différente de celle de la chanson et quand on y prend goût, c’est compliqué de revenir à la forme claire et concise des paroles mais je crois que sans cette expérience et sans la légereté et la fraîcheur de Forever Gentlemen et Love & Soul, Parce qu’on aime n’aurait jamais vu le jour…

Se raconter est difficile ? 

En écriture non, mais ce qui est difficile, c’est de se relire ! (rires) Spontanément, ça a une grande vertu thérapeutique mais quand on se dévoile comme je l’ai fait dans Là où le soleil disparaît, une fois le moment de grâce passé, on se sent nu et en danger, on a peur d’être allé trop loin, on est tenté de tricher un peu et c’est à partir de ce moment là que se raconter devient finalement compliqué !

Comment, après tout ce que tu as vécu, tu as réussi à ne jamais céder à la haine ? 

Quand je vois comment on traite notre prochain j’ai du mal à comprendre comment notre intelligence peut être à la source d’autant de belles choses dans le monde et en même temps, comment elle peut nous laisser être aussi cons si souvent… J’attribue ma capacité à aimer encore et toujours et à ne pas céder à la haine au simple fait que j’ai eu la chance d’avoir des parents profondément bons et aimants qui m’ont transmis, en même temps que leur ADN, l’amour. Je pense que l’amour s’inculque et que personne n’est génétiquement programmé à aimer ou à détester l’autre, c’est un outil qu’on nous fournit ou non dès notre plus jeune âge. Mais je suis peut-être complètement à côté de la plaque ! (rires)

Tout le monde parle de notre hypocrisie et de notre immobilisme…

On est tous pareil, on s’indigne devant notre écran bien au chaud sur notre canapé et je n’ai pas les moyens de critiquer ça puisque j’en fais tout autant ! Tout le monde est une observation du système et plus je vieillis, plus je m’aperçois que j’en fais partie, que je le nourris et que si le bonheur existe, il se cache peut-être dans le fait d’accepter que l’on ait une certaine médiocrité en nous. Admettre que je suis un être limité qui ne peut pas tout changer bien que les choses me touchent sincèrement, m’aide à trouver une certaine sérénité…

Il y a une grande franchise dans « Pour ne pas disparaître, j’ai fait des enfants, je vise l’éternité »… 

Je suis honnête, tout ce que j’accomplis dans ma vie, je le fais avant tout, égoïstement, pour moi ! J’ai fait des enfants parce que j’avais envie de continuer quelque chose que je pensais interrompu et, d’un point de vue plus existentiel, je pense que l’humain n’a pas envie de disparaître ! Il est trop égocentrique pour s’imaginer qu’il peut tout bonnement être rayé de la carte alors il perpétue sa lignée bien que je ne sois pas persuadé que l’Homme soit une grosse perte pour la planète ! Elle n’en a pas grand chose à faire de nous voir faire la queue à l’ouverture d’un magasin pour nous acheter le dernier iPhone ! (rires) Et si un dieu existe, il ne doit pas nous trouver très brillants non plus ! Pourtant, comme la plupart de mes contemporains, j’ai envie de continuer à avancer et de voir plein de petits « moi » courir partout, puis plein de petits « eux »… Si j’ai eu mes enfants, ce n’est pas pour changer le monde ou repeupler la planète mais pour renouer avec ma famille qui n’est plus là et retrouver certains traits de mon père et de ma mère sur leurs visages… Et puis c’est beau un enfant qui n’a pas encore l’esprit déformé par la société, ça réinjecte une certaine innocence et une certaine pureté dans nos existences…

Tendre vers l’éternité est aussi l’une des missions de l’Art… 

L’oeuvre, dans le meilleur des cas (rires), nous survivra pour nous raconter nous, êtres imparfaits et insatisfaits… L’homme, s’il était serein et heureux, n’aurait plus besoin de créer puisqu’il n’aurait pas l’espoir de pouvoir atteindre un quelconque « mieux ». Je crois que l’Art résulte d’une envie de continuer à tendre vers le Beau utlime et bien évidemment, de laisser une trace en ce bas monde…

Débuter et clôturer un album par Le chant des cygnes est loin d’être anodin… 

Même si on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, je n’espère pas que Parce qu’on aime sera ma dernière « oeuvre » ! (rires) Ce thème est une idée de Sofia, mon épouse, qui a voulu imaginer dans quel état d’esprit il faut être pour consciemment se dire que l’on s’apprête à donner corps à son ultime création artistique et quelle incidence ça aurait sur le « produit » final… Ça se termine par une réflexion sur un monde qui arrive, je crois, à son terme « à cause » ou « grâce » aux nouveaux modes de communication et à l’intelligence artificielle. La chanson ne dit pas si c’est mieux ou moins bien mais elle se demande ce qu’on pourrait laisser derrière nous si tout s’arrêtait maintenant…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos Kevin Millet

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Interview parue dans les éditions n°401 #1, #2 et #3 du mois de mars 2019

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