À LA RENCONTRE DES AUTEURS

Cédric Biscay en interview pour le manga monégasque « Blitz »

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« Seule la manière douce et subtile fonctionne sur le long terme… » Cédric Biscay

 

 

Auteur, producteur, chef d’entreprise(s), ambassadeur des droits des femmes, comment Cédric Biscay contribue t-il au rayonnement de la Principauté ?

 

 


 

Cédric Biscay en interview

interview / events / lecture / manga

 


 

 

 

Vous êtes tombé dans les jeux vidéo et les mangas tout jeune…

Cédric Biscay : Quand j’étais enfant, j’adorais regarder les émissions du Club Dorothée – ce qui donne un indice sur mon âge… Je crois qu’on peut dire que je suis « vintage » ! (rires) – et je me suis toujours dit que ça me plairait de travailler dans cet univers-là. Assez rapidement, parmi toutes les propositions de dessins animés et de jeux vidéo, je me suis naturellement penché sur ceux qui venaient du Japon et de fil en aiguille, je me suis passionné pour ce pays et sa culture…

Une passion pour la culture japonaise, sans en parler la langue…

Je connais quelques mots pour rigoler au karaoké mais en toute franchise, ça s’arrête là ! (rires) Ce n’est pas un frein au Japon de ne pas parler la langue car les présidents d’entreprises et les Japonais influents – c’est culturel -, se sentent en position d’infériorité si leur interlocuteur parle leur langue et que ce n’est pas réciproque. Perdre la face au Japon étant une des pires choses, il vaut mieux passer par un interprète. Ainsi, tout le monde est au même niveau et ça fluidifie les rapports.

Les Japonais seront très fiers et honorés si, en tant que touriste, vous faites l’effort de parler leur langue mais entre chefs d’entreprise, le contexte est différent…

Il y a déjà 21 ans, vous montiez votre 1ère société et en 2014, vous vous implantiez à Monaco avec une structure consacrée à la production…

La première – française – est une société de conseil et, même si leurs noms commencent tous les deux par Shibuya, la seconde – monégasque – est en effet bien différente. Leur seul « véritable » point commun c’est ce quartier de Tokyo que j’adore !

En 2013, vous proposiez pour la 1ère fois le MAGS à Monaco…

Le Monaco Anime Game Show était une première en Principauté mais également la toute 1ère fois que j’y organisais un grand événement. On avait fait le pari de créer une sorte de « foire japonaise » avec une multitude de stands qui vendaient un peu de tout et qui proposait des conférences. C’était une formule assez traditionnelle de type Japan Expo. Par la suite, je me suis détourné de ce format parce que je voulais davantage de qualité et d’échange en accordant une place plus importante aux conférenciers, aux stars du manga et du jeu vidéo venus délivrer leurs expériences… C’est ainsi qu’est né le MAGIC en 2015 avec également, évidemment, les séances de dédicaces ou encore les concours de cosplay.

 

 

Quel est le concept du MAGIC ?

Les fans viennent à ce type d’évènement quoi qu’il arrive mais c’est important pour moi de le proposer gratuitement afin d’inciter un maximum de gens à découvrir cette culture passionnante et enrichissante.

On est loin de l’image des mangas qui peuvent parfois être violents car le MAGIC se veut familial et donc tout public. D’ailleurs, la dernière édition l’a prouvé grâce à la présence de personnalités de la pop culture comme Ronny Turiaf (ancien basketteur NBA), Mathieu Kassovitz ou encore Thomas Pesquet ! Ce sont des gens qu’on n’a pas forcément l’habitude de voir dans des événements ayant trait au manga mais qui aiment bien cet univers-là et qui se mélangent à merveille avec ceux qu’on attend bien sûr un peu plus, comme le créateur d’Olive et Tom ou de Final Fantasy.

Chef d’entreprise, organisateur d’événements mais aussi auteur et scénariste de l’unique manga monégasque : Blitz

C’est une grande fierté parce qu’évidemment, ce n’est pas monnaie courante de faire un manga à Monaco et surtout, c’est très difficile, dans la réalité, de créer un « vrai » manga. On a deux équipes : une installée à Monaco et l’autre au Japon. Le dessinateur – Daitarô Nishihara – et la co-dialoguiste – Tsukasa Mori – sont japonais parce que je voulais absolument faire une œuvre qui corresponde à 100 % à ce qu’est un manga avec ses codes de narration, ses éléments graphiques et ses références culturelles.

C’est aujourd’hui la littérature qui fonctionne le mieux (plus d’une bande-dessinée sur deux est un manga) et c’est le premier vecteur de lecture chez les jeunes donc si on ne respecte pas sa nature première, on peut difficilement bénéficier de son succès. Je voulais absolument que Blitz soit considéré comme un manga à part entière et c’est un grand honneur que ce soit le cas, y compris au Japon où il est diffusé…

 

 

Blitz n’a en effet pas qu’une « esthétique » manga…

C’est vraiment ce que j’ai voulu réussir à faire mais ça n’a pas été facile. Il est d’ailleurs très rare de pouvoir constituer une équipe avec des Japonais lorsque l’on est étranger. Ils ont des codes et des désidératas qu’ils ne retrouvent pas forcément lorsqu’ils collaborent avec des gens qui n’ont pas baigné dans la même culture qu’eux… J’avais déjà tissé des liens avec le Japon avant de me lancer dans Blitz donc ça a facilité mon « intégration » mais, en toute transparence, quand on s’apprête à travailler avec un dessinateur comme Daitarô Nishihara qui a tout de même bossé sur Pokémon, il faut convaincre !

Plus les années passent et plus l’expérience s’étoffe, plus les choses deviennent évidentes mais c’est mon quotidien de persuader… (rires)

Qu’est-ce qui a plu aux Japonais ? La french touch ?

Ils savaient que je connaissais le Japon et l’univers du manga donc j’ai été « greenlighté » en tant que personne mais je crois que ça a surtout été l’idée qui a fait pencher la balance car au Japon, la thématique des échecs n’est pas du tout populaire. J’ai donc apporté une idée assez originale dans un territoire où ce sont les jeux du go et du shōgi qui sont les leaders. Ça ouvre à l’international mais je voulais impérativement que les dessins soient parfaitement réalisés dans le style manga et que les dialogues collent aussi bien en français qu’en japonais, le tout, tout en apportant ma patte. Je pense que c’est bien accepté parce que j’ai voulu traiter des échecs. En revanche, si je m’étais lancé dans l’univers du sumô, je n’aurais peut-être pas fait long feu ! (rires)

 

 

Kasparov, dans Blitz, n’est pas qu’une inspiration, il a œuvré à vos côtés…

Sur le papier, c’était incroyablement compliqué d’aller le séduire mais, dans la réalité, ça a été plutôt fluide… J’ai envoyé un pitch sur une adresse mail générique que j’avais trouvée et, quelques jours plus tard, j‘ai reçu une réponse de sa part qui me disait que c’était une bonne idée et qu’il aimerait bien me rencontrer lors de son prochain passage à Paris ! On s’est vus, il m’a expliqué qu’il ne connaissait absolument rien en manga mais que ça pouvait être un bon moyen de communication entre lui et la nouvelle génération. Il a adhéré au concept et à l’histoire au point d’être d’accord pour apparaître dans le manga mais aussi pour prodiguer des conseils sur les échecs.

Un projet qui fédère donc au-delà des origines, des profils, des âges et des frontières…

C’est exactement ça et tout de suite, Kasparov a compris que grâce à un manga comme celui-ci, l’intérêt pour les échecs allait se développer à l’international, et tout particulièrement au Japon où ça ne se pratique que très peu.

Je parle souvent de « soft power » et c’est la réalité, la preuve avec ce jeu ! À partir du moment où on utilise les bons outils populaires, on peut faire passer pas mal d’idées et là, c’est le cas avec les échecs qui touchent une jeune génération à travers le manga.

C’est difficile pour le moment de quantifier avec exactitude l’impact de cette série sur le développement des clubs d’échecs mais on voit des enfants s’inscrire parce qu’ils ont lu le manga Blitz

Blitz est également une application…

Il n’est pas nécessaire de savoir jouer aux échecs pour apprécier Blitz mais on s’est dit qu’après une lecture du manga, beaucoup aurait envie de faire une partie d’échecs, d’où la création de cette petite application gratuite.

 

 

L’engouement pour Blitz rassure car ça signifie qu’on peut toujours intéresser les plus jeunes à la lecture…

Exactement et il faut en tirer des leçons. Certains collèges ou écoles m’ont d’ailleurs demandé d’intervenir car ils utilisent Blitz comme outil pédagogique au programme. Ça fait évidemment bizarre de se dire que des élèves étudient notre manga au même titre que Zola ! (rires) L’Éducation nationale a sauté le pas parce qu’elle a bien compris que pour inculquer le plaisir de la lecture aux jeunes malgré la concurrence des tablettes, il fallait réussir à les séduire. Les mangas deviennent une véritable porte d’entrée vers la littérature…

J’en reviens nécessairement au « soft power » et je n’ai que ce mot-là à la bouche parce que je suis intimement persuadé qu’on ne changera les choses qu’en convainquant les gens, pas en les contraignant. Seule la manière douce et subtile fonctionne sur le long terme…

Le « soft power » est un jeu de séduction ?

Oui dans l’absolu mais le problème c’est le terme de « séduction » car beaucoup y voient quelque chose de péjoratif. Je dirais que le « soft power » est une sorte de pouvoir de convaincre de manière positive. Dans le registre du manga, on l’a déjà vu avec Captain Tsubasa (devenu Olive et Tom en français) et l’augmentation des inscriptions dans les clubs de foot mais c’est valable pour tous les grands sujets de la société !

 

 

Blitz est un manga (le seul d’ailleurs) imprimé à Monaco…

Blitz est un manga créé à Monaco et dont une partie de l’histoire se passe sur le Rocher donc même s’il est dessiné au Japon, il était impensable de l’imprimer ailleurs ! Je suis conscient que pour la plupart des lecteurs, cette information n’a pas d’intérêt particulier (rires) mais pour moi, à partir du moment où j’ai su qu’il existait une imprimerie monégasque, c’est devenu un point essentiel !

Le prince Albert II de Monaco et la princesse Charlène de Monaco apparaissent dans deux tomes, ça signifie qu’ils vous ont accordé leur confiance…

C’est aussi gratifiant que touchant qu’ils aient accepté d’être croqué dans Blitz car je voulais absolument qu’ils y soient. Quand j’ai démarré cette aventure et que j’ai pris la décision d’avoir des passages à Monaco, c’était évident pour moi qu’ils y apparaissent. En tous cas, j’en avais envie ! Une fois qu’ils ont vu les tout premiers volumes du manga et qu’ils ont compris de quelle manière je voulais les faire apparaître, il n’y a eu strictement aucun souci ni aucune demande de retouche… Ça veut vraiment dire que Blitz est bien rentré dans le cœur des Monégasques y compris dans le celui du chef d’État…

 

 

D’ailleurs, la société éditrice s’appelle Iwa, soit « Rocher » en japonais…

On est toujours dans le détail ! (rires) Ça me faisait plaisir de faire un clin d’œil à Monaco car il s’y passe énormément de choses qu’on ne soupçonne pas toujours quand on n’y est pas, et je trouve ça intéressant de le faire savoir à l’extérieur. Appeler la maison éditrice « Iwa » suscite la curiosité et ça permet de rebondir dessus en expliquant ce que ça signifie ! Ainsi, de fil en aiguille, je parle de Monaco…

Vous êtes également lié à Monaco par le Comité du droit des femmes dont vous êtes ambassadeur…

C’est Céline Cottalorda, directrice du comité qui travaille pour le gouvernement, qui m’a contacté pour me proposer de devenir ambassadeur pour le droit des femmes. J’avoue que dans l’immédiat, je n’ai pas su quoi répondre parce que si, à mes yeux, l’égalité homme-femme est normale voire basique, je n’ai jamais été un militant. J’avais peur de ne pas être légitime du fait de ne jamais avoir creusé toutes les problématiques autour… En en discutant avec elle, j’ai effectivement compris que tout le monde n’avait pas été éduqué dans le même esprit que moi et qu’il y avait donc encore besoin, malheureusement, de défendre cette égalité…

J’ai donc accepté ce rôle mais à une seule condition : participer de manière active ! Le titre ne m’intéresse pas. En revanche, ce qui m’anime, c’est de pouvoir contribuer réellement à améliorer la situation. Je ne peux pas dévoiler trop de détails car c’est l’objet de la prochaine campagne, mais j’ai été sollicité pour faire quelque chose de concret à l’occasion de la journée du droit des femmes qui se tiendra le 25 novembre.

 

 

Dans Blitz, contrairement à d’autres ouvrages, la femme y est très respectée et a une place égale à celle de l’homme…

Très franchement, je ne m’en rends pas compte parce que justement, c’est naturel… D’ailleurs, si ça ne l’était pas, ça sonnerait faux… Dans Blitz par exemple, il y a un personnage féminin très fort – Harmony – qui est tout aussi central que celui de Tom. Elle n’est pas passive mais combative et intelligente. Son adversaire féminine, Riko, l’est tout autant. Ça ne m’intéressait pas d’avoir des potiches et c’est ça qui m’aurait semblé anormal ! En les imaginant, je n’ai jamais pensé à un besoin quelconque d’égalité mais je m’aperçois que si on m’en parle, c’est que ce n’est pas encore toujours évident pour tout le monde… Dans l’univers des échecs comme ailleurs, tout n’est pas clean et tout le monde ne pense pas qu’il existe une réelle égalité entre les hommes et les femmes. C’est triste car ça reflète une disparité qui perdure dans le sport en particulier et dans la société en général et ça explique, malheureusement, qu’on ait encore besoin de lutter contre ça…

Vous vous associez également avec une campagne contre le harcèlement numérique…

Tout sera divulgué lors d’une conférence de presse fin novembre mais oui, j’ai eu l’honneur d’être sollicité pour faire cette campagne et travailler sur le slogan, les supports etc. C’est d’ailleurs en lien avec ma mission d’ambassadeur du droit des femmes. Cette campagne contre le harcèlement numérique est plutôt orientée « jeune génération » bien qu’elle concerne tout le monde, hommes et femmes, toutes tranches d’âges confondues. Face aux réseaux sociaux et à la virulence de certains propos, personne n’est à l’abri. Nous, les anciennes générations, on était un peu plus tranquilles. Le harcèlement scolaire par exemple s’arrêtait la plupart du temps à la grille du collège ou du lycée avant de reprendre le lendemain. Aujourd’hui, ça n’a plus de cesse avec Internet et ça poursuit les jeunes jusque chez eux. Il n’y a plus de refuge…

Et puis, le harcèlement peut être direct comme indirect… Le fait de ne pas inclure dans des groupes de conversation ou de ne pas « liker » quelqu’un alors qu’on cherche tous à être aimés, aujourd’hui, virtuellement est un gros problème et je m’en suis aperçu en étudiant la question. À force de me documenter, je vous avoue que j’ai pris peur car il y a énormément de problématiques très méconnues du grand public.

Je pense que là encore, plutôt qu’une abondance de conférences soporifiques, le « soft power » peut avoir un véritable impact si on l’utilise suffisamment en amont. Et pour que ça fonctionne, il faut évidemment se servir des outils qui sont appréciés par la jeune génération pour que la démarche leur paraisse « cool ». Il faut être cool dans la pédagogie pour convaincre…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel & Télé Monaco / novembre 2023

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