INTERVIEW

Katie Melua en interview français & english

By  | 

Du haut de ses 36 ans, Katie Melua s’apprête déjà à sortir un 8ème opus dans lequel elle a, en plus de la composition, tenu à relever le défi de l’écriture. 16 ans après son 1er album solo et ses 11 millions de disques vendus, celle qui est considérée aujourd’hui comme l’une des plus belles voix du jazz, prouve que le succès n’a entaché ni sa curiosité, ni son humilité et encore moins la passion qu’elle éprouve pour la musique…

Katie Melua, « Album No. 8 » • Sortie prévue le 16 octobre


« Cet album a déjà tissé une nouvelle relation entre le public et moi… »


VERSION FRANÇAISE

DELPHINE GOBY O’BRIEN : Une période bien chargée…

KATIE MELUA : Oui en effet ! (rires) Avec la sortie de l’album et la promo, on est sur tous les fronts mais mon équipe et moi réussissons quand même à nous accorder un peu de temps libre afin de recharger nos batteries !

Un nouvel album qui ne vous empêche pas d’écrire…

Bien que l’Album No. 8 n’ait pas encore commencé à prendre son envol, pour moi, sa création est terminée depuis un petit moment donc même si j’en fais la promotion en ce moment, je m’impose des séances d’écriture chaque lundi et mardi. Ça faisait quelques semaines que je n’avais pas écrit et je m’aperçois que dans ces périodes là, je ne me sens pas tout à fait moi-même… C’est un peu comme être en manque de scène… D’ailleurs, j’aurais dû venir en tournée en France et jouer à L’Olympia mais à part 3 dates en Pologne en octobre qu’on a – pour l’instant – réussi à maintenir, toute la tournée a été annulée… On est très impatients de pouvoir, avec les musiciens, jouer ensemble sur scène !

On vit une période très particulière…

Et encore, pendant le confinement, j’avais la « chance » d’avoir l’album à peaufiner ! Ça m’a occupé l’esprit… Et même si c’est une période angoissante pour tout le monde, je sais que je n’ai pas à me plaindre… J’étais en sécurité chez moi contrairement au personnel médical et j’ai l’immense privilège de pouvoir me réfugier dans la musique. Les chansons ont des pouvoirs incroyables ! Elles peuvent changer votre état d’esprit grâce à l’atmosphère qui s’en dégage… Et c’est ça que je recherche, autant pour moi que pour ceux qui vont les écouter. Je veux qu’ils ressentent quelque chose ! Si une chanson parle d’amour, je veux que l’auditeur se sente entouré d’amour, si elle parle de souvenirs, je veux qu’il distille les siens… La musique a la capacité de pénétrer dans votre cœur grâce à ce mélange de rythmes, de mots, de sentiments et d’émotions. Je suis persuadée que la façon dont on travaille influe sur le résultat final alors d’une manière ou d’une autre, bien que cet album ne parle pas de la pandémie, l’ambiance du moment doit se ressentir un peu…

Ne pas céder à l’angoisse…

J’étais chez mes parents pendant le confinement et je voyais rentrer mon père le soir, qui, bien qu’il soit médecin, ne savait pas comment nous allions faire face à la pandémie… C’était très effrayant mais il a été génial, comme d’habitude ! Il m’a dit de ne pas m’inquiéter pour lui et que tout irait bien, que nous avions survécus à la Géorgie dans les années 90, et donc, que nous survivrions à ça !

Quelle partie du travail a été la plus compliquée ?

Normalement, au mixage, on est aux côtés de l’ingé son. Pendant le confinement, pour recréer cet échange, on a travaillé en visio… Il partageait son écran avec moi donc je pouvais suivre ses retouches et je recevais le son dans mon casque ! Ça a été un peu différent de d’habitude mais ça a eu l’avantage de m’aider à me concentrer uniquement sur l’essentiel : le son ! Seul mon sens auditif était réellement sollicité donc j’ai peut-être été plus efficace, qui sait ? (rires) 

Dans Album No. 8 vous avez écrit chaque texte…

Je me suis vraiment plongée dans les paroles et c’est une des raisons pour lesquelles cet album est si spécial à mes yeux… C’est la première fois que tous les mots sont intégralement les miens alors ça m’a poussée à étudier un peu plus les textes d’auteurs comme Flannery O’Connor, T. S. Eliot et Virginia Woolf qui sont mes préférés ! Par exemple, les rythmes de la poésie de T.S. Eliot m’ont beaucoup inspirée en tant que musicienne, car j’entends vraiment combien le rythme de la langue peut apporter à un morceau.

L’écriture, un exercice à part entière…

C’est drôle, je m’aperçois que pour écrire, je dois me plier à un petit rituel !(rires) Les idées peuvent me venir n’importe quand mais lorsque je souhaite écrire, j’ai besoin de m’asseoir à mon bureau et de m’assurer d’être dans un état d’esprit créatif. Ensuite, c’est souvent très douloureux… Une véritable lutte !(rires) Vous êtes distrait puis vous vous remettez en question, vous vous agacez, vous perdez du temps et puis tout à coup, vous ne savez pas pourquoi mais le rythme s’accélère, vous êtes complètement absorbé et fasciné par le travail ! Vous n’avez plus conscience de ce que vous faites ni du temps qui s’est écoulé mais vous sentez que la chanson est en train de naître ! Ça a l’air de ressembler à un accouchement ! (rires)

10 chansons dont 4 que le public connaît déjà…

Je suis comblée car ces 4 premiers titres ont été chaleureusement accueillis par le public, je n’avais d’ailleurs jamais eu de tels retours de pays comme la Russie ou les États-Unis ! C’est incroyablement touchant de se rendre compte que des chansons qu’on a écrites ont désormais une vie qui leur est propre, qu’elles plaisent et surtout qu’elles interpellent des gens au point qu’ils aient envie de me poser des questions ! L’album ne sortira que le 16 octobre mais je sens qu’il a déjà tissé une nouvelle relation entre le public et moi…

L’écriture est une nouvelle phase dans votre carrière…

J’ai commencé jeune et j’avais envie de faire mûrir un peu ma musique à travers cet album en « montrant » ce dont j’étais capable… Ce n’était pas un besoin de prouver quoi que ce soit aux autres mais plutôt à moi. Je n’ai jamais rêvé d’être une « star », j’ai juste voulu faire de la musique et chanter. Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir en faire mon métier et de consacrer tout mon temps à ça alors je n’ai qu’une envie c’est continuer à progresser et à explorer !(rires)

La mise en musique…

Je co-compose en général avec mon frère Zurab Melua, Leo Abrahams et Sam Dixon car je n’aime pas que l’on soit trop nombreux. Je viens avec une idée de thème, on travaille ensemble sur la structure et l’architecture de la chanson puis sur la mélodie. Ensuite, je repars travailler sur les paroles. Ce processus peut prendre des semaines, des mois ! (rires) Ou parfois quelques jours seulement mais je dois le faire seule et c’est alors que commence cette recherche intérieure, pour essayer de découvrir ce que m’évoque la chanson. Au départ, elle parle souvent d’amour maisça ne suffit pas, elle a besoin de différentes couches…

Musicienne, compositrice, interprète et un goût prononcé pour l’image…

J’apprécie en effet de plus en plus les arts visuels et je suis une grande fan de David Hockney ! J’ai pris conscience que l’image participe à l’atmosphère musicale dont on parlait et j’ai l’impression de commencer à regarder dans la bonne direction. J’ai même réalisé pendant la phase d’écriture que si je portais des vêtements élégants plutôt qu’un vieux jogging, je ne m’asseyais pas de la même manière, je ne me comportais pas de la même manière et je n’écrivais donc pas les mêmes choses !

Des clips très cinématographiques…

Ils sont magnifiques c’est vrai, ça a été un plaisir de les tourner ! Pour autant, je ne m’imagine pas actrice… Je crois que je respecte trop le cinéma pour ça ! (rires) Par contre, j’aimerais beaucoup un jour travailler sur une bande-son ou composer quelques morceaux de musique de film car, rien que sur les clips, je trouve ça tout simplement remarquable de voir à quel point la créativité rassemble les gens !

Nous avons collaboré avec le réalisateur Charlie Lightening pour The love like that et Airtime et pour Your longing is gone, nous avons travaillé avec Mariam Sitchinava, une photographe géorgienne. Je trouve sa vision du monde vraiment intéressante !

Un clip d’ailleurs tourné en Géorgie…

J’essaie d’aller en Géorgie aussi souvent que possible, parce que toute ma famille y est encore. Ça a évidemment eu du sens de tourner ce clip là-bas mais ce que je recherchais avant tout, c’était le bon photographe ou le bon vidéaste, celui qui allait être en mesure de voir le vrai « moi » et Mariam a été la bonne personne.

J’ai commencé tellement jeune que je me suis retrouvée à grandir en me faisant coiffer et maquiller tous les jours… J’en ai développé une relation assez complexe avec l’image… D’un côté, je me suis complètement détachée de l’apparence que jerenvoie et de l’autre, j’ai conscience qu’en tant qu’artiste féminine, c’est quelque chose auquel les gens accordent beaucoup d’importance… Il est en quelque sorte impossible de se séparer de sa féminité si l’on veut perdurer dans ce métier…

Mariam photographie des femmes géorgiennes et l’étant également, je crois que ça m’a attirée… Peut-être parce que je savais qu’au delà d’avoir les mêmes origines on avait la même histoire et la même façon d’observer le monde qui nous entoure. C’est pourquoi il était important pour moi de travailler avec elle et de voir comment elle allait interpréter la chanson.

 


 

ENGLISH VERSION

At the age of 36, Katie Melua is already preparing to release her 8th album in which, in addition to composing the music, she has written the lyrics. 16 years after her first solo album and 11 million records sold, she is considered today as one of the most beautiful voices of jazz, proving that success has not tainted her curiosity, nor her humility, and even less the passion she feels about making music…


« This album has already forged a new relationship between the audience and me… »


 
DELPHINE GOBY O’BRIEN : With the new album coming out on October 16th, that hasn’t stopped you from writing…
KATIE MELUA : Although Album No. 8 hasn’t come out yet, for me, it’s been finished for a little while. So even though I’m promoting it right now, I’ve continuing to have writing sessions, like next monday and tuesday. It’s been a few weeks since I’ve written and I realize that during those times, I don’t quite feel like myself… It’s a bit like the need to perform on stage…
In Album No. 8 you wrote the words as well as the music…
 
I really immersed myself in the lyrics and that’s one of the reasons why this album is so special to me… It’s the first time that all the words are mine in their entirety so it pushed me to study a bit more the works of authors like Flannery O’Connor, T.S. Eliot and Virginia Woolf who are my favorites !
Writing the lyrics is an exercise in its own right…
 
It’s funny, I realize that in order to write, I have to have a little ritual ! (laughs) Ideas can come to me at any time, but when I want to write, I need to sit at my desk and make sure I’m in a creative frame of mind. Then it’s often very painful… a real struggle ! (laughs) You get distracted and then you question yourself, you get annoyed, you lose time and then all of a sudden you don’t know why but the pace quickens, you are completely absorbed and fascinated by the work ! You are no longer aware of what you are doing or of the time that has passed but you feel that the song is being born ! It sounds like childbirth ! (laughs)
10 songs including 4 that the public has already heard…
 
I’m overjoyed because these first 4 tracks were warmly welcomed by the public. I had never had such feedback from countries like Russia or the United States ! It’s incredibly touching to realize that the songs we wrote now have a life of their own, that they please and above all that they appeal to people. The album will be released on October 16th, but I feel that it has already forged a new relationship between the audience and me…

Writing is a new phase in your career…
 
I started young and I wanted to mature my music a little through this album by « showing » what I was capable of… It wasn’t a need to prove anything to others but rather to myself. I never dreamed of being a « star », I just wanted to make music and sing. Today, I’m lucky enough to be able to make it my profession and devote all my time to it, so all I want to do is continue to progress and explore ! (laughs)
Your videos are cinematographic…
 
They are beautiful, it is a pleasure to shoot them ! However, I don’t imagine myself as an actress… I think I have too much respect of the cinema for that ! (laughs) On the other hand, I’d love to work on a soundtrack one day because I think it’s remarkable to see how creativity brings people together !
A music video shot in Georgia…
 
I try to go to Georgia as often as I can because my whole family is still there. It obviously made sense to shoot that video there but what I was looking for above all was the right photographer or the right videographer, the one who was going to be able to see the real « me » and Mariam Sitchinava was the right person.
I started so young that I found myself growing up having my hair and make-up done every day… I developed a rather complex relationship with the image… On the one hand, I’ve completely detached myself from the appearance I send back and on the other hand, I’m aware that as a female artist, it’s something that people attach a lot of importance to… It’s sort of impossible to separate yourself from your femininity if you want to stay in this profession…

© Propos recueillis et traduits par Delphine Goby O’Brien • Transcription anglaise par Mark O’Brien • Photos Rosie Matheson


Site / Facebook / Instagram / Twitter / Youtube


Interview parue dans les éditions n°418 #1, #2, #3 et #4 du mois d’octobre 2020

You must be logged in to post a comment Login