INTERVIEW

Grégoire en interview

By  | 

Si les radios ont tendance à nous passer encore aujourd’hui en boucle le fameux Toi + moi sorti il y a déjà bientôt dix ans, la carrière de Grégoire est loin de se réduire à ce titre entêtant qui lui a permis à l’époque de rencontrer un public ravi, depuis, de le suivre dans ses différents projets… Cassant les codes, ne cherchant pas à plaire par dessus tout, ne désirant pas être particulièrement à la mode, l’artiste, après ses deux premiers albums originaux, s’est par exemple amusé à mettre en musique des poèmes de Sainte Thérèse de Lisieux avant d’en faire autant avec les Poésies de notre enfance. Véritable projet pédagogique qu’il a d’ailleurs mis gratuitement à disposition des enseignants, ce dernier prouve combien il serait réducteur de ne considérer Grégoire que comme un chanteur. Amoureux des mots en perpétuelle recherche de sens, c’est avec un cinquième opus qui porte merveilleusement bien son nom – À écouter d’urgence -, qu’il livre ses doutes, ses failles et ses espoirs avec une pudeur visible dès la pochette de l’album. De profil, les yeux fermés, embrassant un mini synthé bien plus en évidence que lui comme pour rappeler que l’essentiel se trouve dans sa musique, il a choisi des teintes en rose et bleu qui, inconsciemment, nous ramènent une fois encore à l’enfance, cette période si précieuse qui fait en général de nous ce que nous sommes à l’âge adulte…

 

Nouvel album « À écouter d’urgence » paru le 24 novembre 2017

 


« J’adore quand quelqu’un me dit qu’il a l’impression que je raconte sa vie alors que je ne le connais pas… »


Morgane Las Dit Peisson : Aujourd’hui sort votre nouvel album À écouter d’urgence

Grégoire : Un jour comme aujourd’hui est assez étrange… Je suis à la fois très excité de le présenter au public et en même temps, pour moi, il n’est déjà plus si « nouveau »… Je l’ai imaginé, conçu, écouté et réécouté… Je l’ai laissé dans un tiroir pendant deux mois avant de vérifier qu’il provoquait toujours en moi la même sensation, alors maintenant que je suis sûr de moi, ou plutôt sûr de lui, je suis prêt à en parler le plus possible pour qu’il puisse entrer en contact avec le public et commencer sa vraie « vie ». C’est ça qui est magique, c’est ce moment où les choses nous échappent… 

Ces chansons auront une seconde vie sur scène…

C’est d’ailleurs pour ça qu’en studio, je ne pense pas du tout à la scène pour ne pas m’influencer ou me restreindre en fonction des instruments que j’aurai sur la tournée. Travailler comme ça me permet, artistiquement, d’oser tout – ou presque – ce que j’ai dans la tête ! (rires) Quand on adaptera les morceaux de À écouter d’urgence, ce sera une nouvelle étape, passionnante elle aussi, car il faudra réussir à rester fidèle sans pour autant proposer exactement la même chose que sur l’album tout en créant des moments uniques avec le public.

Dans Une lettre, vous dites « Je t’écris ce mail que je ne t’enverrai pas »… Écrire est un exutoire parfois difficile à assumer…

Qu’il s’agisse d’une lettre, d’un livre ou d’une chanson, le processus est à peu près le même… Il y a ce moment assez instinctif – où l’on a en effet besoin d’écrire sans calcul sur des émotions personnelles – qui est suivi, quand on souhaite livrer ce texte au plus grand nombre, d’une deuxième phase qui, quant à elle, consiste à la transformer en chanson universelle. J’adore quand quelqu’un me dit qu’il a l’impression que je raconte sa vie alors que je ne le connais pas… C’est là que la chanson prend toute son ampleur !

Cette universalité est d’ailleurs accentuée dans le clip de La lettre où l’on ne vous aperçoit que subrepticement…

Oui d’ailleurs des gens du métier me l’ont reproché alors que le public semble quant à lui avoir apprécié la démarche artistique qui tend un peu plus vers le court-métrage. Je ne comprends pas l’intérêt de voir un artiste chanter en play-back, en gros plan, sans rien exprimer de particulier… J’ai de plus en plus envie de raconter des histoires et c’est ce qu’on a fait à travers les clips de C’est quand ?, Si tu m’emmènes et La lettre qui se proposent comme trois chapitres complémentaires.

Mes enfants, qui clôture l’album, est une émouvante déclaration d’amour que beaucoup d’enfants n’auront peut-être jamais la chance d’entendre…

C’est en partie pour ça que je l’ai écrite. Il y a des gens qui ne peuvent pas, n’osent pas ou ne savent pas forcément dire les choses. Je n’ai par exemple jamais entendu de grand discours de la part de mes parents mais ils m’ont distillé des petits conseils par-ci par-là, parfois de façon un peu détournée, comme lorsqu’ils m’ont conseillé de lire le poème Si de Rudyard Kipling… Ça m’a terriblement marqué. En écrivant Mes enfants, j’avais cette envie de laisser à mon tour un poème pour les années à venir. À mes yeux, c’est ma chanson préférée parmi toutes celles que j’ai pu écrire jusqu’à aujourd’hui parce qu’elle résume exactement tout ce que je pense de manière très simple… C’est l’un des textes que j’ai le mieux écrit et que j’aurais aimé entendre. Je l’ai d’ailleurs positionné en dernier dans l’album pour que l’on s’arrête dessus

« Qu’importe qui vous aimez tant qu’on ne vous fait pas souffrir » évoque l’inquiétude, l’acceptation et l’amour inconditionnel…

En tant que parents, quand votre enfant souffre c’est pire que de souffrir soi-même car tout ce qu’on veut, c’est qu’il soit épanoui quels que soient ses choix. L’amour qu’on lui porte avant même qu’il naisse est inimaginable, presque surnaturel, et depuis que je suis papa, j’ai enfin compris ce que signfiait l’expression « La chair de ma chair »… Un enfant est réellement un prolongement de soi.

À écouter d’urgence, qui prône l’amour, est un beau pied de nez à l’état d’urgence dans lequel on vit…

Tout à fait, j’avais envie de croire et de rappeler qu’un peu d’amour, de curiosité et de connaissance pouvait nous sauver de cette société si individualiste, consumériste et effrayante qui nous happe en permanence. Dans la vie, ce qui nous reste au plus profond, ce n’est pas le premier canapé qu’on s’est acheté mais la voix de notre grand-mère, l’odeur d’un chocolat chaud… Mon état d’urgence à moi, c’est ça, c’est se souvenir de tous ces petits riens qui font que la vie mérite d’être vécue…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Interview réalisée le jour de la sortie de l’album • Photos Florent Drillon et Jean-Baptiste Guérin

You must be logged in to post a comment Login