INTERVIEW

Charles Berling en interview

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À tort, beaucoup s’imaginent que les artistes en général et les comédiens en particulier ne sont pas tout à fait des gens « normaux »… Souvent dépeints comme caractériels, capricieux, lunaires, prétentieux ou en dehors des réalités, ils attirent ou exaspèrent mais laissent rarement les gens indifférents. Pourtant, s’il y a bien une qualité que cette personne, parfois considérée par certains comme un demi-dieu, doit chérir et développer, c’est bien sa capacité à se fondre dans l’âme de ses contemporains pour en extraire la matière nécessaire à l’incarnation des personnages qui se présentent à lui tout au long de sa carrière. Charles Berling, qui a consacré toute sa vie au cinéma et au théâtre, est le contre-exemple parfait capable de faire tomber ce genre de préjugés. Acteur certes mais également réalisateur, scénariste, metteur en scène, producteur ou encore directeur de théâtre, il est la preuve vivante que tout grand comédien susceptible de passer de la comédie populaire au drame sociétal est inévitablement une personne capable d’être dans la vie active et « courante ».

VU DU PONT à Toulon du 01 au 12 mars 2017

 


« Paradoxalement, être acteur, c’est finalement mentir le moins possible… »


 

Morgane Las Dit Peisson : Vous avez vécu à Toulon et êtes désormais le codirecteur du Théâtre Liberté…

Charles Berling : J’aime profondément cette ville alors travailler avec Pascale Boeglin-Rodier à la direction de ce théâtre et participer un peu à l’expansion de Toulon par le biais de la culture est vraiment quelque chose d’important pour moi. Je vis désormais entre Paris et Toulon et bien que parfois, les allers-retours soient fatigants, m’investir pour cette région est devenu fondamental à mes yeux.

Jouer au théâtre et s’occuper du théâtre sont deux activités bien distinctes…

C’est vrai qu’il y a beaucoup de boulot ! (rires) Ça ne parait pas vu de l’extérieur mais sincèrement, heureusement qu’on est deux pour cette partie administrative sinon je ne pourrais pas continuer à faire mon métier d’artiste. J’adore être sur un plateau ou sur scène car pour moi c’est aussi indispensable que de respirer. Par contre, j’ai toujours eu conscience – même jeune – que tout seul, un acteur ne pourrait pas faire grand chose et assez rapidement, je me suis intéressé aux métiers de l’ombreEt en touchant à la production, j’espère participer au développement et à l’ouverture de la culture afin que toutes les populations puissent y avoir accès.

Ça enrichit le jeu de connaître les autres aspects ?

Ça m’enrichit dans ma globalité… Ça oblige à avoir une vision d’ensemble, à comprendre les tenants et les aboutissants, à gérer certes les problèmes économiques et les questions de programmation mais diriger un théâtre, c’est avant tout avoir une vision sur l’avenir de la culture dans un pays. En ce moment, par exemple, on s’intéresse énormément au sujet du numérique et c’est passionnant de chercher des solutions pour adapter nos institutions à cette révolution culturelle. Par contre, pour être franc, j’aurais dû mal à savoir quelle activité apporte le plus à l’autre tant je fais ça depuis si longtemps mais ce qui est certain, c’est qu’il est tout à fait possible d’être un acteur magnifique et comblé sans passer par la case production, j’en connais beaucoup. Pour être un bon comédien, ce n’est pas l’accumulation d’expériences qui compte, c’est de tenir compte de ce que l’on est, sans tricher car paradoxalement, être acteur, c’est finalement mentir le moins possible…

Être acteur c’est être quelqu’un d’autre tout en ne mentant pas pour que cet autre devienne crédible…

Il ne faut pas se mentir à soi-même surtout… On doit réussir à puiser au fond de nous ce qui correspond à ce quelqu’un d’autre qu’on s’est engagé à jouer. Si on n’est pas capable de cette empathie là vis à vis du personnage, de cette part d’identification là, on est dans le jugement et ce n’est pas ce que le public attend d’un acteur. Ce dernier doit incarner les choses, il doit retrouver une part de lui en cet autre afin qu’en le voyant, le public y croit immédiatement et il ne pourra pas passer ce cap si l’acteur lui-même n’y arrive pas.

Devenir le personnage c’est l’extraire de son texte…

La lecture d’une pièce comme celle de Bernard-Marie Koltès – Dans la solitude des champs de coton – n’a finalement presque plus rien à voir avec le spectacle que j’ai joué. La première fois que je l’ai lue, j’ai en effet ressenti des choses qui ont complètement disparues après l’avoir mise en scène et surtout après avoir travaillé, en compagnie de ma partenaire, le rôle avec mon corps, ma voix… Au fur et à mesure qu’on le manie, le texte nous apparaît et c’est cette seconde lecture qu’on essaye de livrer au public. Une écriture théâtrale est finalement toujours, par définition, inachevée et si c’est elle qui donne naissance à un protagoniste, c’est lui qui la fait finalement évoluer et exister…

C’est une évolution et une liberté qu’on ne trouve qu’au théâtre…

Oui et pourtant j’aime énormément faire des films aussi. Peut-être que le cinéma a en effet quelque chose d’un peu plus morbide car une fois que c’est sur pellicule, c’est figé, comme mort. Le théâtre, quant à lui, a besoin d’une matière vivante et imparfaite qui se surpasse et évolue chaque soir pour tenter d’approcher la perfection…

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Thierry Depagne

Interview n°972 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°379 éditions #1 et #2

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