INTERVIEW

Adrien Dipanda en interview

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Si le foot a tendance à écraser tous les autres sports par son nombre de licenciés et la surmédiatisation dont il fait l’objet, d’autres arrivent tout de même à tirer leur épingle du jeu en talonnant ce mastodonte… Parmi eux le tennis, le basket mais aussi le handball dont nous avons souvent eu l’occasion d’entendre parler ces derniers mois dans la région. Car bien que ce soit un sport d’équipe, Adrien Dipanda a tout particulièrement fait la fierté du club de Saint Raphaël – où il évolue depuis cinq ans maintenant – en remportant, au sein de l’équipe nationale, la Médaille d’or aux Championnats du Monde en janvier ainsi que la Médaille d’argent aux Jeux Olympiques de l’été dernier. S’entraînant sans cesse en enchaînant pas moins de deux matchs par semaine en compagnie de son équipe raphaëloise, tout en préparant déjà sa seconde vie de futur jeune retraité, ce handballeur professionnel à qui les victoires n’ont pas tourné la tête prouve que, contrairement aux préjugés, cette dernière, même en sport, a décidément besoin d’être bien faite…

Au Palais des Sports de St Raphaël le 02 mars 2017 (vs Nîmes) • le 11 mars 2017 (vs Ribnica) • le 15 mars 2017 (vs Toulouse) • le 29 mars 2017 (vs Chambéry)

 


« Le rôle du public est énorme car il représente peut-être la moitié de notre motivation !  »


 

Morgane Las Dit Peisson : Le Palais des Sports de Saint-Raphaël est un des lieux où tu passes le plus de temps…

Adrien Dipanda : Cet endroit est en effet un de ceux où l’on passe le plus clair de notre temps ! (rires) On y fait nos matchs, nos entraînements, notre travail vidéo, notre préparation physique alors ça a fini par devenir en quelque sorte notre deuxième maison…

Être sportif professionnel exige combien d’heures d’entraînement par jour ?

Ce qui devenu le plus important désormais, ce n’est plus la quantité mais la qualité de l’effort fourni… Avec Saint Raphaël, on est dans une configuration où l’on joue deux fois par semaine en Coupe d’Europe alors on a limité un peu – en termes de durée – nos deux entraînements quotidiens auxquels vient s’ajouter le travail de préparation physique et vidéo.

La vidéo est devenu un support essentiel ?

Oui, on revoit nos propres matchs et surtout, on essaye d’analyser le jeu de l’équipe que l’on affrontera la fois suivante. En réalité, on s’aperçoit que chaque équipe est en quelque sorte stéréotypée en fonction de ses joueurs et qu’elle répète, en général, plus ou moins les mêmes choses alors on les analyse pour essayer d’anticiper. Mais il faut garder à l’esprit qu’elle en fait autant avec nous ! (rires)

Ça ne fait que prouver une fois de plus que le physique ne suffit pas dans le sport…

Pour espérer être sportif de haut niveau, le corps est évidemment essentiel puisqu’il devra être capable d’endurer le choc des matchs et le rythme intensif des préparations, mais il ne faut en effet pas le dissocier du mental et de la tactique… Dans le sport, comme dans la vie d’ailleurs, il y a des hauts et des bas mais aussi des moments de doute, qui, sans le mental, nous achèveraient rapidement. Et puis, il y a la stratégie qui, quant à elle, va faire la différence entre les bons joueurs et les « grands » joueurs. C’est une facette du jeu que le public ne voit pas et ne doit pas voir mais qui est, en plus de la vitesse de jeu, du mouvement et de la puissance, décisive. Un sportif n’est pas fait que de muscles ! (rires)

C’est finalement un travail très proche de celui de l’acteur… 

C’est marrant qu’on en parle car je suis un grand fan de théâtre ! J’essaie, chaque année, d’aller au Festival d’Avignon et c’est vrai que je me retrouve énormément dans le travail que font les acteurs… Ils se présentent devant des spectateurs comme nous on se présente devant des supporters, ils sont jugés, aimés ou décriés et chaque représentation – comme chaque match – sera transformée en fonction de l’assemblée et de ses réactions. Ce qui est assez différent entre nos deux mondes, c’est que, si comme un acteur on doit jouer pour un public, on doit aussi jouer contre un adversaire. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question mais c’est peut-être pour tous ces points communs que j’apprécie autant le théâtre et l’art vivant…

Comme pour un artiste, le contact avec le public occupe une part importante dans un match ? 

Le rôle du public est énorme car il représente peut-être la moitié de notre motivation ! Bien sûr, c’est notre métier et c’est plus qu’un jeu pour nous tous mais au delà de ça, on est conscient qu’on a la chance de vivre d’une passion qui procure également énormément de sensations aux supporters. Quand on entre sur le terrain et qu’on s’aperçoit que l’ambiance ne prend pas ou qu’au contraire les gens sont survoltés, ça influe sur notre état d’esprit et du coup sur notre jeu. Sincèrement, je pense que c’est en grande partie pour ces si fortes émotions que l’on fait ce métier là.

Quand on est fatigué mentalement ou physiquement, l’énergie des supporters transcende les joueurs ?

Comme tout le monde, il y a des jours où ce n’est décidément pas notre jour (rires) et dans ces moments là, on a la chance d’avoir deux bouées de sauvetage : le public et l’adversaire. L’un nous motive tandis que l’autre réveille en nous un certain orgueil, un esprit de compétition qu’un comédien, par exemple, ne connaît pas… Dans Le Mensuel de février, Stéphane Guillon disait « Une personne dans une salle est déjà un petit miracle et ça, ça exige qu’on le récompense en ne choisissant jamais la facilité… » et pour nous, sportifs, c’est exactement la même chose… Les supporters ont payé leurs places, ont fait des concessions pour être là alors la moindre des choses, même si on sait pertinemment qu’on ne pourra pas ressortir vainqueur à chaque fois, c’est de leur donner le meilleur de nous-mêmes. C’est quelque chose que l’on a dans un petit coin de notre tête et qui nous fait d’ailleurs culpabiliser quand on perd ou qu’on estime surtout ne pas avoir été assez bon… Un public, ça se respecte car c’est toujours grâce à lui que l’on peut vivre de notre passion…  

Une passion à laquelle on consacre sa vie…

Ou en tout cas une partie d’ailleurs assez courte… Il faut garder en tête qu’aux environs de 35 ans il faudra penser à passer à autre chose. Je prends cet état de faits comme une chance de pouvoir avoir deux vies en une : une vie de sportif et une que je consacrerai à une existence plus « normale » et anonyme. J’ai le privilège de faire quelque chose que j’aime et de pouvoir le partager avec des milliers de personnes alors j’en profite au maximum !

On prend rapidement conscience du caractère éphémère du métier d’handballeur ?

Quand on se lance non, on ne se rend pas spécialement compte que le temps passe si vite… Et puis on enchaîne tellement les matchs et les entraînements sans vrais week-ends ou pauses que l’on n’a pas réellement le temps de réaliser que petit à petit la retraite approche ! (rires) C’est en grande partie grâce aux expériences des joueurs les plus âgés que l’on prend conscience de tout ça. Parler des 35 ans quand on en a 20, ça semble être le bout du monde mais quand on arrive comme moi à 28 ans, on commence à réfléchir différemment !  C’est étrange d’avoir une si courte carrière mais, grâce en grande partie à mes amis qui eux ne se font pas applaudir quand ils finissent leur journée, je garde les pieds sur terre et surtout je sais que je suis chanceux…

Tu as déjà commencé à envisager ta seconde vie ?

Il y a trois ans environ, lorsqu’on ne jouait pas encore avec le SRVHB la Coupe d’Europe, que mes amis et ma copine travaillaient, j’avais un peu plus de temps pour moi et j’ai réalisé que c’était dommage de ne pas s’en servir… Un ami d’enfance du nord de la France m’a rejoint et ensemble, on a monté une petite entreprise qui n’a strictement rien à voir avec le sport ! (rires) Je crois que j’ai besoin que ma deuxième vie soit celle d’un mec lambda. Je suis très enthousiaste même si dans l’immédiat, je n’aurai pas beaucoup de temps à consacrer à ce projet.

Une société qui n’a rien à voir avec le sport…

Rien du tout ! (rires) Ça s’appelle Azur Démoustication et ça gère donc les problèmes de moustiques pour les particuliers et les professionnels comme les campings ou les restaurants ! (rires) Ça peut paraître farfelu comme ça mais j’avais envie de trouver une activité qui serve aux gens et qui leur rende la vie un peu plus agréable. Je suis originaire de Dijon et quand je suis arrivé ici, à Saint Raphaël,  je n’avais qu’une hâte, c’était de profiter de l’extérieur et du jardin sauf qu’en été, on est infesté de moustiques et qu’une soirée peut presque virer au cauchemar à cause de ça ! (rires) 

Ne pas gagner des sommes indécentes comme dans le football par exemple, oblige à être plus créatif et entrepreneur ?

Je le crois… Même si on est actuellement salariés par le club et que l’on vit très bien, on ne touche pas des sommes astronomiques comme dans d’autres sports et ça nous permet de rester bien ancrés dans la vraie vie. Envisager une future activité, c’est à la fois un plaisir mais aussi une nécessité et c’est très bien que ça se passe comme ça. 

Le foot occupe la 1ère place en France en nombre de licenciés alors pourquoi s’être dirigé vers le handball ?

Je l’ai découvert – comme beaucoup – grâce à l’UNSS, c’est souvent un sport auquel on s’essaie à l’école. Je pratiquais pas mal de tennis et surtout de basket mais j’ai eu un coup de coeur pour le hand vers 15 ans… Ça allie contact, adresse et vitesse et j’ai tout plaqué pour ça alors que j’étais plus destiné à partir vers une carrière de basketteur professionnel… Mais quelque chose me dit que j’ai bien fait, non ? (rires)

Tu n’es pas originaire de Saint Raphaël alors pourquoi avoir choisi le club SRVHB ?

Après avoir joué pendant cinq ans à Montpellier, je suis allé en Espagne où ça s’est très bien passé mais où je n’ai pas pu rester pour des raisons économiques… La crise est passée par là et le club où j’étais ne pouvait plus assumer le salaire des joueurs donc mon manager m’a conseillé Saint Raphaël qui, à ce moment là, recherchait mon type de profil alors que moi je recherchais un club du niveau du SRVHB

Saint Raphaël à su se hisser dans le trio de tête français…

Oui le club de handball raphaëlois occupe la 3ème place nationale et s’est en plus hissé à la 2ème place du Championnat de France l’an dernier ! Quand je suis arrivé en 2012, c’était déjà un très bon club et avec mes co-équipiers, on a la chance de voir ses résultats se stabiliser et de faire partie d’une aventure qui grandit. Ça bouge énormément et de nombreuses choses se mettent en place intelligemment afin de ne pas brûler les ailes de ce SRVHB qui a de belles années devant lui. C’est important d’avancer prudemment car il faut garder à l’esprit qu’on est tout de même une petite commune par rapport aux géants que sont Paris, Nantes, Montpellier ou Toulouse…

On a même du mal à réaliser que le club de Saint Raphaël ait pu pousser tous ces mastodontes…

(rires) C’est un peu David contre Goliath ! Quand on arrive pour jouer chez eux, on se sent tout petits car ils sont acclamés par 9000 personnes alors que quand ils viennent chez nous, on les accueille avec toute notre humilité dans une jauge limitée à 2000 places… La différence pourrait nous pétrifier pourtant, ça ne nous empêche pas de les gagner ! (rires) Ça a beaucoup de charme de faire partie d’un club à taille humaine dont le Président Jean-François-Krakowski n’a pas changé depuis 30 ans et où l’on se connait tous. Cette atmosphère me plaît, m’a permis de trouver un équilibre autant dans mon métier que dans ma vie personnelle et elle nourrit mon mental.

Il y a ta réussite en tant que joueur en parallèle de celle du club… 

C’est ça qui est merveilleux ! Quand on s’engage dans un club comme celui-ci, on ne peut pas être centré sur son unique petite ambition personnelle… Faire partie de son aventure, façonner un petit pan de son histoire, c’est très touchant et valorisant. SRVHB existait avant moi et existera aussi après mais ça fait plaisir de se dire qu’on lui permet peut-être d’aller un peu plus loin. J’espère d’ailleurs que je ferai partie de l’équipe qui gagnera le 1er prix pour Saint Raphaël ! (rires)

Le handball est évidemment un sport d’équipe mais n’empêche pas chaque joueur de poursuivre sa propre voie et tu viens d’ailleurs de remporter les Championnats du Monde en équipe nationale en janvier dernier…

Oui tous les joueurs sélectionnés par l’entraîneur de l’équipe de France proviennent, comme moi, de clubs où ils sont salariés et ne peuvent se consacrer à cette équipe là que pendant de petites périodes dans l’année où les championnats en clubs s’arrêtent. Grosso modo, il y a des compétitions nationales chaque mois de janvier et cette année, c’était en effet les Championnats du Monde… On a réussi à gagner, c’est génial surtout que c’est la seconde fois d’affilée que la France les remporte !

Gagner un match c’est déjà magnifique mais remporter une médaille d’or, ça procure quoi comme sensation ?

En fait, ce qui est le plus difficile et finalement le plus étrange dans le métier de sportif de haut niveau, c’est l’enchaînement… Au moment où l’on décroche l’or, on a le sentiment d’un devoir accompli, on ressent une certaine fierté d’avoir réussi à la fois pour soi, pour son équipe et pour son pays – surtout qu’en jouant ces Championnats du Monde en France, on était très soutenu et entouré – mais c’est un temps « béni » très très court ! Quelques jours après, il faut déjà oublier ce qu’il s’est passé pour revenir au quotidien du club… On a souvent que très peu de temps pour savourer une victoire et c’est peut-être ce qui est à la fois le plus compliqué et le plus intéressant dans ce métier car on se rend compte qu’une belle réussite n’est jamais une fin en soi et qu’on a encore plein d’autres choses à accomplir. Tout s’enchaîne à une vitesse incroyable et on n’a jamais le temps de s’ennuyer ! (rires) Même si ça peut parfois être psychologiquement fatigant, on a la chance de vivre des expériences uniques !

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Ilan Déhé

Interview n°1013 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°379 éditions #1 et #2

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