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INTERVIEW

Astrid Veillon en interview

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Visage très connu de la télévision où elle a interprété une pléiade de rôles ces vingt dernières années et où on la retrouvera d’ailleurs bientôt – dans la série Tandem -, Astrid Veillon est loin de ne s’être cantonnée qu’à ce petit écran. Comédienne au théâtre où son jeu laisse exploser toutes ses nuances et sa puissance mais aussi auteur de pièces comme de romans – sa première pièce La salle de bain, couronnée de succès, est restée plus d’une année à l’affiche à Paris – c’est entre deux chapitres du livre qu’elle façonne en ce moment que l’artiste a accepté de donner de son temps à Lecture pour tous, une action organisée par la ville de Nice. Passionnée par les êtres humains et consciente des capacités qui se terrent en chacun d’eux, c’est avec une jeunesse désabusée qu’elle s’attache à renouer le dialogue, presque chaque année, pour partager sa propre vision du monde et ses expériences.

Lecture & Théâtre pour tous


« La vie n’est faite que de surprises et c’est ce qui en fait quelque chose de si magique ! »


 

Morgane Las Dit Peisson : Vous êtes passée par Nice pour Lecture pour tous mais vous êtes une habituée du sud…

Astrid Veillon : Effectivement, j’habite dans le sud du Lubéron, donc un peu plus dans les montagnes, mais je suis à peine à deux heures de route de Nice. Lecture pour tous est un programme mis en place par la ville de Nice que je suis depuis sa naissance, il y a huit ans maintenant. C’est notre regretté Raoul Mille qui a été à l’initiative de ce projet et c’est lui qui m’en avait donc parlé lors d’un salon du livre auquel je participais à l’occasion de la sortie de mon premier bouquin. Je me rappelle que ça avait été une très jolie rencontre, on avait énormément discuté et quand il a un peu mieux connu mon parcours, il m’a proposé de participer à ce projet… Depuis le début, je fais mon maximum pour venir pratiquement chaque année car c’est, je pense, un programme utile et malheureusement de plus en plus urgent ! Au fil des années, j’ai observé la dégradation, j’ai vu les difficultés apparaître et c’est dommage d’ailleurs qu’il n’y ait que Nice qui se soit lancée dans ce genre d’aventure…

Lecture pour tous est une incitation à la lecture, à la redécouverte du livre en tant qu’objet ou une lutte contre l’illettrisme ?

En toute honnêteté, on n’est même plus là dedans… Je m’appuie encore sur des livres car c’est la base du projet mais on est de plus en plus dans une démarche purement civique et citoyenne. Sur une même journée, on peut autant rencontrer des enfants de primaire que de jeunes adultes en BTS et bien qu’il faille adapter le discours en fonction des âges et des compréhensions, les messages que l’on transmet sont pour ainsi dire identiques. De plus en plus, les jeunes sont scotchés devant leur télé où ils se gavent de télé-réalité en tout genre et je tente de leur exposer mon point de vue face à une problématique de manipulation de masse dont ils font partie… 

Intervenir auprès d’âges si différents oblige à s’adapter continuellement…

Oui c’est impossible d’avoir un discours unique et préparé. La plupart du temps, ils sont d’abord intrigués par ma présence, se demandent qui je suis, ce que je fais là, quel est mon métier et pour les plus petits, je leur fait d’abord retravailler leurs questions qui manquent généralement de clarté. On les reformule ensemble et j’établis des règles assez simples de savoir-vivre comme ne pas se moquer de celle ou celui qui a le courage de prendre la parole… On n’est plus du tout dans le domaine de la lecture, on en est vraiment là… J’essaye de revenir à l’essentiel, de les faire parler et lorsqu’ils n’arrivent pas à exprimer une idée, je mets le doigt dessus pour mettre en valeur la frustration qu’ils ressentent à ce moment là. Je les place face à eux-mêmes pour leur faire comprendre qu’ils ne sont pas idiots mais qu’ils ont juste un manque de vocabulaire qui les empêche d’aller là où ils le souhaitent. Le but est vraiment de leur faire prendre conscience de l’intérêt de l’éducation et des connaissances. Jusqu’en CM2, le message passe très très bien même si, au fil des années, ça devient tout de même de plus en plus difficile tant le niveau a baissé.  

Ce doit être éprouvant de prendre conscience de cette détresse linguistique…

C’est réellement triste… Quand ils arrivent au collège, on s’aperçoit que l’on a affaire à des enfants qui sont de moins en moins épanouis, de moins en moins souriants, de plus en plus angoissés par l’avenir et de moins en moins curieux et c’est tout le travail à faire pour contrer ça qui me passionne. C’est sûr qu’on est très loin du simple cadre de la lecture mais j’ai la sensation d’avoir réussi un petit quelque chose quand j’aborde avec eux des thèmes comme celui de la liberté d’expression, de la liberté de jugement et celui du vivre ensemble. Il y a de plus en plus de colère et de haine en eux et on ne peut s’en rendre réellement compte que lorsqu’on s’y intéresse et que l’on choisit de leur consacrer un peu de notre temps. Dans ce programme Lecture pour tous, le livre n’est finalement devenu qu’un prétexte à la rencontre et à l’échange…

Comme les bases classiques sont importantes pour le théâtre ou la danse, l’apprentissage et le savoir sont essentiels pour être libre de choisir sa vie d’adulte…

C’est vraiment sur ça que je mets l’accent et j’en parle en toute connaissance de cause moi qui ai eu un parcours un peu atypique et une enfance assez difficile. Automatiquement, quand je parle à ces enfants de mon histoire personnelle, ça résonne en eux, ça les interpelle et de fil en aiguille, ça leur redonne un peu d’espoir… Je n’étais pas prédestinée à devenir actrice pourtant, dès l’âge de trois ans, j’ai su que c’était ça que je voulais faire bien que tout le monde se moquait beaucoup de moi. Ça n’a pas toujours été facile mais j’ai tout fait pour ne pas écouter ces railleries et ne croire qu’en moi. Je parle beaucoup aux jeunes de l’amour et de la fierté qu’ils peuvent et qu’ils doivent surtout avoir pour eux-mêmes mais aussi de la violence qui les anime trop souvent. Il faut prendre conscience que quand on en arrive aux mains, c’est qu’on n’a plus les mots nécessaires pour se défendre et s’expliquer alors, irrémédiablement, ça me permet de revenir sur l’importance de l’instruction même si, en classe, ils ne comprennent pas toujours à quoi le cours pourra leur servir plus tard… 

La jeunesse d’aujourd’hui semble très hermétique…

C’est ça le drame et c’est pour ça que c’est à nous, adultes, de leur ouvrir les yeux et de les guider. J’ai passé deux heures avec une classe de BTS pour débattre du livre d’Antoine Leiris, Vous n’aurez pas ma haine et ce qui m’a interpellée, c’est qu’ils ont la sensation que la haine est en quelque sorte une protection, une armure… Les faire s’exprimer sur le sujet n’est pas évident mais c’est essentiel de le faire sans jamais les juger.

Participer à Lecture pour tous n’a donc rien d’une petite balade promotionnelle…

Non ! (rires) Quand on s’engage dans cette action, on n’est pas du tout dans l’optique de se montrer et de vendre son dernier film ou son dernier ouvrage ! C’est un véritable investissement personnel qui exige d’être très attentif à ces jeunes qui finalement – inconsciemment – n’attendent que ça. Il faut s’adapter à eux et leur apprendre toute l’importance justement de la notion d’adaptation et de respect. Quelqu’un qui pense différemment n’est pas moins bien que nous, il est juste différent et c’est ça qui est intéressant chez l’humain.

Il faut aimer « l’autre » pour s’engager dans ce type de programme…

Énormément ! Et puis, je suis très curieuse par nature et j’aime profondément les enfants. Ça me plait réellement de pouvoir discuter avec eux, ce n’est pas quelque chose qui m’ennuie ou que je fais par obligation. La première fois que j’ai participé à Lecture pour tous, j’y suis allée « pour voir », par curiosité, pour l’expérience et j’en suis ressortie avec beaucoup de questionnements… Je tire d’ailleurs mon chapeau aux instituteurs car même si c’est passionnant, c’est, après une journée complète, épuisant ! (rires) Je me suis prise de passion pour ces rencontres au point, parfois, d’être dégoûtée et malheureuse de ne pas avoir réussi à entrer suffisamment en contact avec certains élèves car quand ça arrive, c’est pour moi un véritable échec personnel. Ça m’est arrivé deux fois de ne pas trouver la faille ou l’accroche nécessaire pour les toucher et les deux fois, j’ai vécu ça comme un drame ! Je crois qu’ils m’ont d’ailleurs prise pour une folle car je suis partie dans des laïus interminables pour les secouer et leur faire comprendre que la vie c’était une somme d’échanges, de partages et de contacts et qu’ils allaient passer à côté de tout ça ! (rires) Ma réaction était peut-être exagérée mais j’étais en colère contre moi-même d’échouer face à quelque chose de si important à mes yeux…

Pourquoi est-ce si important de toucher ces enfants ?

Ils sont nous, notre reflet, ils sont notre avenir, ils sont la France de demain mais ils n’en ont pas conscience alors j’essaye de les mettre face à leurs responsabilités puisque tout être humain sur terre en a…

On retrouve un peu le travail de l’acteur dans cette démarche de séduction et de persuasion…

Justement une année, je les ai fait travailler sur ma pièce La salle de bain et ils se sont éclatés à interpréter des saynètes ! J’ai besoin de cette interaction, de ce contact car je ne suis pas très à l’aise avec la configuration « conférence ». Même si j’ai écrit deux livres, je ne me considère pas comme un écrivain, je reste une comédienne et j’aime que ça bouge, que ça fuse, que ça réagisse, que ça réponde !

La curiosité dont vous parliez est d’ailleurs un point clef chez l’acteur… Il doit être observateur et se fondre au coeur de l’humain…

En effet, le jour où l’on n’est plus amoureux de l’être humain, il faut arrêter tout de suite le métier d’acteur… Par définition, il a une sensibilité exacerbée, il est à fleur de peau et bien que ça puisse appraître comme un défaut dans d’autres domaines, c’est la première qualité que l’on doit avoir si on veut être capable de façonner des personnages crédibles. Malheureusement, avec la notoriété et l’ego, certains comédiens perdent cette curiosité et cette fraîcheur…

C’est un métier, qui, loin des strass et des paillettes, est dur… Il n’est fait que de castings, de remises en question et d’incertitudes…

Oui et même à mon âge, j’ai toujours peur, je doute continuellement ! On peut être oublié très vite et mes 26 ans de carrière ne me mettent pas plus à l’abri que qui ce soit d’autre… D’ailleurs, je ne sais absolument pas ce que je ferais si tout s’arrêtait du jour au lendemain ! Un comédien vit avec des doutes perpétuels et en même temps, quand il choisit ce métier ou que le métier le choisit, il sait – ou en tous cas il apprend très vite – que ça se passera toujours comme ça. Quand j’ai débuté en 1992 avec la série Extrême Limite tout s’est enchaîné très rapidement pendant six ans jusqu’à ce que, en 1998, le téléphone s’arrête tout à coup de sonner et sincèrement, à l’époque, je ne pouvais pas imaginer un instant que ça puisse arriver ! Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas vraiment savoir ce que ça fait… Ce sont des périodes de peurs et de souffrances énormes qui sont normales et inévitables et qui permettent, par contre, de se consacrer à d’autres choses comme l’écriture par exemple. Et puis, avec le temps, on réalise qu’on apprend toujours et qu’on se nourrit constamment, y compris  de tout ça.

Et malgré ces incertitudes, ces instabilités on choisit d’être comédien…

Je crois très honnêtement que je n’ai pas eu le choix, au sens propre du terme, si je n’avais pas été comédienne, je ne serais plus là aujourd’hui pour vous en parler… À l’époque, pour moi, c’était une question de vie ou de mort, monter à Paris pour faire ce métier était mon unique issue. Désormais, j’aborde tout ça très différemment, j’ai un rapport beaucoup plus serein avec le métier car j’ai construit ma vie et surtout, j’ai ma famille. Je fais aujourd’hui ce métier pour les bonnes raisons, c’est à dire pour le plaisir de jouer, d’incarner des personnages et de vivre des aventures humaines mais plus par instinct de survie ou par besoin d’être aimée et reconnue… Quelque part, je crois que c’est assez rare de rencontrer des acteurs qui ont eu une enfance pleinement heureuse car c’est sur toutes nos failles que l’on peut bâtir des personnages complexes et intéressants ! (rires)

Tous ces personnages nécessitent à chaque fois des phases de recherche et d’immersion ?

À l’époque, pour Quai n°1, j’avais fait énormément de recherches pour avoir les bonnes attitudes et une gestuelle crédible mais on s’aperçoit après coup que l’on n’est tout de même que dans la fiction ! (rires) Dans la série Tandem que je tourne actuellement pour France 3 par exemple, l’important n’est pas de singer le comportement d’un commandant de police. Dans la peau de mon personnage Léa Soler, j’incarne avant tout une femme tout le temps au taquet dans son travail, une femme de tête qui, de retour chez elle, se retrouve – comme beaucoup de femmes aujourd’hui – complètement débordée et paumée entre ses enfants adolescents et son ex-mari ! (rires) Mais ce n’est pas si compliqué car finalement, en télé, je n’ai jamais réellement eu de rôle de composition contrairement au théâtre. Sur scène, on m’a confié des rôles sublimes que trop peu de gens connaissent malheureusement. J’ai adoré incarner Hannah Arendt ou Mathilda – une actrice brisée dans un hôpital psychiatrique – car ça a exigé un véritable travail de fond et de propositions. 

Et puis le théâtre permet de moduler son jeu constamment…

C’est vrai, le théâtre ne connait quasiment aucune limite ! Le jeu change chaque soir en fonction du public bien sûr mais aussi des remarques du metteur en scène, de l’état d’esprit des partenaires et de tout ce qu’on a vécu dans la journée. C’est imprévisible et magique !  

Au théâtre, vous avez cartonné avec votre propre pièce La salle de bain, ça ne donne pas envie de retenter l’expérience ?

Mais vous savez que La salle de bain vit encore ? (rires) Entre autres en Italie, en France et en Espagne… Je n’aurais jamais osé imaginer qu’elle ait un tel destin mais je trouve ça génial car ça signifie qu’elle est intemporelle ! C’est certain que j’ai envie d’écrire à nouveau une pièce de théâtre comme celle-ci mais en ce moment, je suis plus axée sur l’écriture de romans et puis je retouche beaucoup de passages de la série Tandem. C’était le deal avec les producteurs car j’avais vraiment envie de m’investir aussi dans l’écriture. Du coup, avec les autres acteurs, on peaufine tous nos personnages au fur et à mesure de la série, ensemble.

Pourquoi cette attirance pour le roman ?

Je me sens attirée par l’importance que peuvent prendre les personnages pendant l’écriture d’un roman… C’est très étrange mais j’ai la sensation qu’à un moment, ils dépassent l’auteur au point d’écrire quasiment l’histoire à sa place ! (rires) Il arrive toujours un moment où les personnages échappent en quelque sorte à leur créateur et c’est quelque chose qui n’arrive pas au cinéma ou au théâtre, peut-être à cause du carcan des dialogues… Malgré tout, je prends actuellement pas mal de notes qui deviendront un jour, je l’espère, une pièce sur le thème du couple. Il faut encore que je trouve l’axe qui me permettra de traiter ce thème très courant de façon vraiment originale. C’est très difficile d’écrire, de rester parfois des heures devant son ordinateur sans que rien ne sorte et de se forcer à s’y tenir… Pour le moment, je suis sur mon roman et sincèrement, ça me rend heureuse ! Peut-être que ça deviendra un film, peut-être que je ne le terminerais pas tout de suite, peut-être que j’aurais une idée de génie pour ma pièce… (rires) La vie n’est faite que de surprises et c’est ce qui en fait quelque chose de si magique ! C’est ce que j’essaye d’expliquer à tous ces enfants que je rencontre car si on m’avait dit à leur âge que je ferais tout ce que j’ai fait dans ma carrière, je n’y aurais pas cru une seule seconde ! (rires) Il faut garder à l’esprit que la vie est extraordinaire et que c’est souvent nous qui sommes nos propres ennemis, nos propres barrières. On s’empêche souvent de faire les choses juste parce qu’on ne s’en sent pas capable, parce qu’on a peur de l’échec et du jugement de l’autre, parce qu’on n’a pas confiance en nous…

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo droits réservés

Interview n°1001 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°379 éditions #1 et #2

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