 Jean-Baptiste Benoin
														
							
							
														Jean-Baptiste Benoin
													CINÉMA
Isabelle Carré & Bernard Campan en interview pour le film « Les rêveurs »
« Ce mal-être finit toujours par passer… » Isabelle Carré
Si on la connaît évidemment pour ses talents de comédienne, Isabelle Carré a dévoilé une passion grandissante pour l’écriture avec son tout 1er roman, paru en 2018. Depuis, elle ne s’est pas arrêtée de coucher son imagination sur le papier, tout en continuant à jouer sur scène comme au cinéma, et en passant derrière la caméra pour y adapter son livre « Les rêveurs » ! Fortement inspiré de son enfance, ce 1er film nous invite à pousser la porte d’un service de pédopsychiatrie pour y suivre Élisabeth, ses souffrances et sa renaissance. Avec respect, douceur et poésie, Isabelle Carré y revisite son passé – non pas pour s’exposer, mais pour redonner de l’espoir à ceux qui en manquent -, en rappelant que, bien qu’on ne se débarrasse jamais à 100% de sa douleur et de ses peurs, on apprend à vivre avec tout en y puisant une certaine force…
Isabelle Carré & Bernard Campan en interview pour le film « Les rêveurs »
interview / cinéma / comédie dramatique / théâtre
- Les rêveurs : le 12 novembre 2025 au cinéma / d’Isabelle Carré / avec Isabelle Carré, Judith Chemla, Tessa Dumont Janod
- Un pas de côté : > 11 janvier 2026 / Paris / Théâtre de la Renaissance / infos & billetterie ici !
Morgane Las Dit Peisson : « Les rêveurs », un 1er roman devenu votre 1er film…
Isabelle Carré : Je n’y avais vraiment pas songé au moment de l’écriture. Pour moi, le meilleur objet pour m’exprimer était le livre, que j’ai mis 30 ans à écrire ! (rires) Une fois que je me suis libérée de tout ce que j’avais dans la tête, j’ai été tellement heureuse que je n’ai pensé à rien d’autre. Le projet était abouti jusqu’à ce que Philippe Godeau – producteur à la Pan-Européenne avec qui on avait tourné Se souvenir des belles choses et Les émotifs anonymes – vienne me trouver pour me soumettre l’idée de l’adapter en film… J’ai d’abord refusé avant de changer d’avis pendant le confinement. À ce moment-là, j’ai pris conscience des chiffres qui témoignaient de la fragilité psychologique des jeunes et je me suis dit que ça pouvait peut-être être utile de mettre en perspective mon expérience dans un hôpital psychiatrique.

Mettre votre histoire en images a dû être encore plus troublant…
Isabelle : Effectivement, ça a été, par rapport au livre, comme un cran en plus dans l’idée de rendre le passé présent… (rires) Ce sont mes souvenirs – même si j’ai voulu qu’ils soient doux pour les enfants et les adolescents qui verront le film – donc ça chamboule évidemment…
Je ne voulais absolument pas d’images chocs du type Vol au-dessus d’un nid de coucou ou Shock corridor en créant un film de fiction au sein d’un service de pédopsychiatrie. Mon ambition, c’était de déstigmatiser ces jeunes en ne montrant pas d’images dégradantes ou trop crues… Le film s’appelle Les rêveurs car mon but est, à ma mesure et avec plein d’espoir, d’aider les ados (et leurs familles) qui se retrouvent, à leur tour, face à cette situation.
Je me dis que ça peut également être un soutien pour le corps enseignant car les professeurs aussi sont confrontés à la détresse de leurs élèves. Quand vous voyez devant vous un enfant qui a des traces de scarification et que vous n’êtes pas formé à ça, vous ne savez pas comment réagir… J’espère que ce long-métrage deviendra un outil pour parler de tout ça plus facilement, pour alerter la société sur ce nombre – qui ne décroît pas – d’enfants touchés et sur l’absence de réponse.
Quand on pense à toutes ces régions qui manquent d’hôpitaux, de soignants et à tous ces drames qu’on ne parvient pas à éviter… Un enfant ne peut pas attendre entre 6 mois et 2 ans pour être entendu et traité… On estime qu’un jeune sur deux n’est pas pris en charge de nos jours…
Mon idée, ce n’était pas de faire un film qui nous sape le moral, mais qui, au contraire, nous donne envie de prendre cette question à bras le corps pour redonner à la génération concernée le goût de la vie ! Ça peut paraître grandiloquent de le dire comme ça, mais je suis persuadée qu’ensemble, on peut y arriver.
Il y a des solutions, j’en suis la preuve vivante, alors le message que j’ai envie de transmettre aux jeunes, c’est que ce mal-être finit toujours par passer.
Pour qu’on s’intéresse plus au sujet qu’à vous, vous avez eu la délicatesse de vous faire discrète dans le film, tout en réapparaissant pour rappeler que, si on ne se défait jamais totalement de la douleur, on apprend à vivre avec…
Isabelle : Ça me touche beaucoup que vous ayez compris ça car effectivement, ce n’est pas un film sur « moi », ce n’est pas un égotrip, je ne suis qu’une matière de départ. Cette scène où je viens donner des ateliers d’écriture dans l’hôpital psychiatrique (ce qu’on appelle aujourd’hui de la pair-aidance) m’a été inspirée de ce que j’ai fait dans la Maison de Solenn. J’ai vécu ce moment-là où les enfants sont fermés sans aucune envie de participer. Ce n’est que quand je leur ai dit que j’avais été, moi aussi, internée à leur âge, qu’ils m’ont regardée et qu’on a pu créer et travailler ensemble. C’était bouleversant au point que c’est devenu une des raisons de faire ce film.
Les avoir vus relever la tête m’a prouvé qu’on pouvait y arriver, il faut juste réussir à trouver le bon chemin. Ces moments-là sont tellement précieux qu’ils me remplissent de bonheur !
Je vous ai toujours rencontrés séparément et vous m’avez à chaque fois parlé très joliment l’un de l’autre… C’était important, Bernard, d’accompagner Isabelle sur ce projet ?
Bernard Campan : C’était important pour moi d’être à ses côtés, alors quand Isabelle m’a proposé le rôle du professeur Julian, j’ai été très touché… C’est son premier film, c’est une étape cruciale dans sa vie donc y participer, peu importe de quelle manière, c’était une marque d’amitié.

Un peu comme un porte-bonheur…
Bernard : Il y a un peu de ça ! (rires) On aime bien dire qu’on se porte chance et c’est vrai qu’il y a quelque chose de très beau dans le fait de se retrouver, au fil du temps, dans tous ces projets… L’amitié comme le travail nous lient, nous renforcent et c’est très émouvant.
Le médecin est un personnage qu’on voit peu mais qui évolue beaucoup…
Bernard : C’est vrai qu’on ne sait pas trop à quel personnage on a affaire. Isabelle m’a dit qu’à l’origine, le professeur n’était pas sympa mais qu’elle voulait, dans l’histoire, qu’il donne un peu d’espoir. C’est pour ça qu’il est assez fermé au départ avant de se laisser toucher progressivement par les requêtes d’Élisabeth. Il va s’ouvrir et donner un plus grand espace de liberté aux enfants. C’est un joli personnage…
Vous ne vous quittez plus avec Isabelle puisqu’en ce moment, vous êtes au théâtre ensemble dans « Un pas de côté« …
Bernard : On est vraiment heureux d’avoir créé cette pièce ! C’est tout neuf donc on sait qu’on va l’habiter pendant quelques mois encore et c’est un plaisir d’avoir ce rendez-vous tous les soirs. Le jeu évolue par petites touches, on s’amuse beaucoup et en même temps, c’est aussi une comédie bouleversante. C’est un bonheur d’être tous les six sur scène avec cette partition !
Isabelle : On était déjà proches, mais ce projet nous rapproche encore. C’est une pièce qui parle tellement bien d’amitié, d’amour aussi, mais d’amitié avant tout. Au départ, c’est ça cette rencontre : deux êtres qui se parlent. On n’est pas sur un coup de foudre, ce sont deux personnes qui se reconnaissent, qui se manquent et qui ont tant de plaisir à se retrouver qu’ils finissent par se demander s’ils peuvent se passer l’un de l’autre. Dit comme ça, c’est un peu la question qu’on peut se poser tous les deux ! (rires)

Et on vous retrouve également à l’affiche de « Jean Valjean« , au cinéma le 19 novembre…
Isabelle : Dans Jean Valjean, le réalisateur nous a imaginés frère et sœur, peut-être parce qu’on se connaît vraiment bien et qu’on n’a pas eu à inventer cette complicité. C’était tout « bénéf » pour tout le monde ! (rires)
Bernard : Je n’aurais pas pensé au duo frère et sœur mais finalement ça marche bien ! Comme dit Isabelle, on n’a pas eu à s’occuper de créer un lien « souterrain » à travailler en amont. Il était là, on avait juste à profiter d’être ensemble…
Isabelle : J’ai trouvé formidable la façon dont Bernard a interprété ce prêtre car je ne le reconnaissais pas. C’est un grand bonheur, quand on se connaît si bien, de voir ce que l’autre est encore capable d’inventer. C’est dingue de réussir à se surprendre de projet en projet. Je reste sa première spectatrice, je le regarde jouer et j’hallucine toujours autant !
Bernard : Ah bah là, je suis content d’être venu ! (rires)

Pour un 1er film, c’était important de s’entourer, certes de talents, mais aussi de gens de confiance ?
Isabelle : C’était essentiel et je suis très reconnaissante à Bernard, à Judith Chemla, à Pablo Pauly, à Nicole Garcia qui m’a fait l’amitié d’être là en croyant aussi beaucoup à ce rôle de professeur…
D’ailleurs elle est comme une fée dans le film, elle révèle Élisabeth à elle-même et elle le fait merveilleusement ! De la voir jouer si bien et d’être si généreuse dans son écoute et dans ce qu’elle communique, c’était extraordinaire ! Je pense également à Vincent Dedienne qui m’a fait cette amitié d’accepter de venir pour une petite demi-journée de tournage et à Alex Lutz qui incarne mon frère dans la scène finale… C’est court mais ce passage est fondamental et il l’a fait avec une humanité bouleversante… J’ai réellement été très bien épaulée et je leur en suis très reconnaissante à tous d’avoir jouer le jeu alors que les rôles principaux étaient attribués aux enfants. C’était généreux de leur part de faire cet acte de présence là pour soutenir le film…
Tourner avec des enfants dès son 1er film n’est pas le plus facile…
Isabelle : Là aussi, j’ai été très bien accompagnée par Elsa Pharaon, une directrice de casting formidable. Elle m’a aidée à trouver des enfants extraordinaires qui, pour la plupart, n’avaient jamais joué ! J’ai été vraiment heureuse de les diriger parce que j’adore travailler avec les jeunes. Le plus compliqué avec eux, ce sont les horaires à respecter par la législation. Ça nous a forcés à pas mal jongler avec l’organisation, ce qui était assez angoissant pour moi ! (rires) Mais tout le reste a été merveilleux…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Negresco de Nice pendant le festival Cinéroman pour Le Mensuel / Photo Jean-Baptiste Benoin
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