INTERVIEW

Thibault de Montalembert et Salomé Lelouch en interview

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C’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres y compris – voire tout particulièrement – en politique… Dans la pièce Politiquement correct, en pleine soirée électorale, à une heure à peine des résultats du premier tour, Mado et Alexandre tombent littéralement sous le charme l’un de l’autre. S’entendant à merveille, se plaisant mutuellement et riant des mêmes choses, un domaine semble pourtant avoir échappé à leur première étude de cas : la politique ! Mais, dès que les estimations tombent, les masques en font de même… Elle a toujours voté à gauche tandis qu’il est un militant d’extrême droite… Adversaires au second tour, la question est de savoir s’ils doivent également l’être dans la vie… Une comédie romantique – imaginée et écrite par la charmante et perspicace Salomé Lelouch et interprétée, entre autres par Thilbault de Montalembert – qui permet, au delà du divertissement, de réfléchir à la notion d’acceptation et de respect de cet autre qui pense différemment mais aussi de ce que l’on est capable ou non de tolérer par amour…

 

« Politiquement correct » à Antibes les 21 et 22 novembre 2017

Retrouvez Thibault de Montalembert aux côtés de Karin Viard dans le film « Jalouse » en salles le 08 novembre 2017

 


« C’est un premier pas vers une recherche de compréhension… »


Morgane Las Dit Peisson : Aller sur scène est, au delà du plaisir, une source incroyable de stress…

Thibault de Montalembert : Je pense que chaque acteur réagit différemment par rapport au trac et aux angoisses qui précèdent la réprésentation mais je crois que ce qui nous pousse tous à avoir le courage de remonter sur scène à chaque fois, c’est la vibration qu’elle dégage et l’excitation que procure le fait de rencontrer un public toujours nouveau. Quand on est en tournée – comme cet été à Ramatuelle – on n’a souvent qu’une seule date dans chaque lieu et ça, ça ajoute une tension supplémentaire car on sait qu’on a encore moins le droit à l’erreur et qu’on ne pourra pas se rattraper le lendemain. C’est quelque chose qu’on ne connaît pas au cinéma, sauf si l’on travaille avec Philippe Garrel qui est réputé pour ne faire qu’une seule prise…

Le théâtre est en ça un assez juste reflet de la vie qui ne nous permet pas de revenir en arrière…

Salomé Lelouch : C’est exactement ça, c’est un peu comme la vie en accéléré car il y a une « naissance », un début et un développement et comme dans la vie, on ne sait jamais à l’avance comment les choses vont se passer. Au bout de quelques minutes, avec l’expérience, les acteurs s’aperçoivent de la teneur que prend cette rencontre avec le public comme lorsque l’on fait la connaissance d’une personne lors d’une soirée… Mais bien qu’on sache rapidement si ça peut « prendre » ou non, on n’est jamais à l’abri d’une surprise ou d’un accident… C’est aussi imprévisible que dans la vraie vie et c’est ça qui rend le théâtre si intense

Ne pas avoir ce retour immédiat et ces réactions au cinéma manque parfois ?

Thibault : C’est vrai que les deux contextes sont très différents pour un acteur bien qu’il y ait aussi un public sur un plateau de cinéma à travers la présence des techniciens, du metteur en scène ou encore du chef opérateur. On joue aussi bien pour eux que pour les caméras et c’est peut-être d’ailleurs ça qui nous aide à être justes quand ça tourne. Par contre, le plus curieux est de ne recevoir les critiques et les réactions du plus grand nombre que plusieurs mois après… Au théâtre, c’est l’inverse, on ressent tout au moment même où l’on livre notre partition alors ça peut être aussi galvanisant que perturbant

Habituellement, une pièce, un spectacle ou un concert peut rapprocher des gens différents tandis que Politiquement correct peut les diviser…

Salomé : En effet, c’est un peu particulier avec cette pièce parce que le public peut ne pas être d’accord et donc ne pas avoir les mêmes réactions au même moment… Politiquement correct est un récit qui me trottait dans la tête depuis un moment… J’avais envie de raconter cette histoire d’amour entre une jeune femme qui, le soir de l’élection présidentielle, tombe sous le charme d’un homme qu’elle n’aurait normalement jamais dû rencontrer tant ils n’ont rien en commun. Au bout de quelques jours de relation, elle va se rendre compte qu’il vote pour l’extrême droite alors qu’elle est typiquement une bobo de gauche et que pour elle, aimer quelqu’un comme lui était aussi improbable qu’incompréhensible. C’est certain que la thématique politique est passionnante mais ce qui m’intéressait avant tout, c’était l’aspect purement théatral qu’offraient ces personnages que tout oppose, ce jeu sur les bons et les méchants et cette histoire d’amour romanesque car impossible…

Ça fait réfléchir sur ce que l’on peut ou non accepter par amour…

Salomé : Oui à travers ce couple qui se forme, je voulais proposer une réflexion sur notre société. L’extrême droite prend de l’ampleur tant en France qu’en Europe sûrement parce qu’on assiste à de plus en plus d’intolérance et de radicalisation alors j’ai eu envie de poser des questions et de réfléchir sur ces évènements, autant que sur le fait que des gens stigmatisent les votants de ce parti et refusent de dialoguer avec eux. Mado va quant à elle, dans la pièce, faire le parcours inverse en tentant de comprendre, sans juger, les motivations de l’homme qu’elle aime et les raisons pour lesquelles il a choisi de se tourner vers le Front national.

Un sujet qui peut être épineux…

Salomé : Oui alors que, comme pour la religion, ça ne devrait pas l’être… D’où le choix du titre Politiquement correct… Je ne suis pas d’accord avec cette forme d’autocensure car si pour certains, parler d’un sujet c’est le cautionner, pour moi, c’est le fait de se taire qui laisse à penser qu’on l’approuve. À mes yeux, c’est aussi ça le rôle du théâtre, c’est de continuer à réfléchir et faire réfléchir. Beaucoup de gens m’ont dit que je ne pouvais pas écrire une pièce sur ce sujet là car en parler c’était le dédiaboliser alors que pour moi, c’est un premier pas vers une recherche de compréhension...

Thibault : J’ai aimé, dans l’écriture de Salomé Lelouch, ces questions qu’elle soulève sur la stigmatisation et le rejet de l’autre. Ces deux personnages, bien que très entiers, ne tombent jamais dans la caricature grâce à la réflexion dont ils font preuve et c’est ça qui les rend si humains, si passionnants et si attachants. À travers eux, qu’on soit acteur ou spectacteur, on ne peut pas ne pas s’interroger sur nos convictions mais surtout sur notre façon de percevoir autrui… On a le droit bien sûr de se dire que quelqu’un n’est pas fréquentable mais, aller voir plus loin comme le fait cette pièce pour tenter de trouver à quel endroit se situe cet irrémédiable point de rupture, est signe d’intelligence et d’humanité… C’est, je trouve, le vrai point fort de cette pièce. 

J’imagine qu’il est plaisant de jouer une pièce à la fois drôle et intelligente…

Thibault : Et ce qui est d’autant plus jouissif, c’est le fait que ce soit en prise directe avec ce que l’on vit aujourd’hui, on sent d’ailleurs que ça vibre dans la salle ! (rires) Tous les soirs après le spectacle, quand on sort du théâtre, on entend les gens discuter entre eux de ce qu’ils ont vu et entendu, ils exposent et défendent leur point de vue et, qu’ils soient d’accord ou non avec les propos de la pièce, ils débattent. C’est magique d’assister à ça car en plus d’avoir diverti le public et pris du plaisir, on a la sensation d’avoir participé à quelque chose d’utile…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo droits réservés

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