CINÉMA

Pierre Richard en interview pour parler spectacle, cinéma, carrière…

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« Si je continue ce métier, c’est parce que j’en suis fou ! » Pierre Richard

 

 

Si ses cheveux ont perdu de leur blondeur et de leurs bouclettes, son doux et pétillant regard bleu azur témoigne de sa vivacité d’esprit. À l’aube de sa 9ème décennie, Pierre Richard prouve que le travail – ou tout au moins la scène -, est définitivement synonyme de santé ! Toujours aussi curieux, fougueux et aérien, cet amoureux de la comédie tant drôle que dramatique enchaîne les projets littéraires, cinématographiques et scéniques avec une déroutante vitalité ! Apparu dans Jeanne du Barry de Maïwenn et bientôt (entre autres) à l’affiche de Fêlés réalisé par son complice Christophe Duthuron, l’éternel « Grand Blond » s’offre en ce moment sur les planches un moment de complicité et d’intimité avec un public fidèle et aimant. À coup de souvenirs et d’anecdotes, Pierre Richard se livre avec sincérité, humour et poésie…

 

 


 

 

Pierre Richard en interview pour son spectacle Je suis là mais je ne suis pas là

interview / spectacle / humour / one-man / cinéma

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : À chaque fois que vous passez nous voir dans la région, les salles sont pleines… On finit par s’y faire ?

Pierre Richard : Je ne pense pas qu’on puisse réellement s’y habituer mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne s’en lasse pas ! (rires) À Antibes par exemple, la salle est si énorme et magnifique que je dois reconnaître qu’avant de fouler les planches, un petit trac m’a envahi, une espèce d’appréhension… Ce n’est pas « normal » en soi d’aller tout seul sur une scène aussi immense !

 

Ce seul en scène Je suis là, mais je ne suis pas là est tiré du livre paru en novembre, Souvenirs d’un distrait ?

Avec Christophe Duthuron, on a fait ça à chaque fois… On avait écrit un livre qui s’intitulait Détournement de mémoire qu’on a transformé en spectacle, puis on en a tiré un deuxième et même un troisième en re-piochant dedans ! (rires) Avec Souvenirs d’un distrait, on a procédé de la même manière car au fond, je crois que mon objectif premier était plus d’en faire un spectacle qu’un livre. Ce n’est pas ma vocation d’être romancier mais écrire mes aventures et mes mésaventures reste une base intéressante à retravailler. Dans Souvenirs d’un distrait, contrairement aux précédents où je livrais plutôt des anecdotes sur des comédiens comme Blier ou Carmet, j’aborde mes rencontres avec des chanteurs comme Nougaro ou encore Moustaki et ma vie d’acteur aussi, bien sûr…

 

 

En parlant de votre vie d’acteur, est-ce que vous réalisez que vous êtes pour beaucoup une légende vivante, vous qui êtes tombé dans le langage courant comme synonyme de maladresse ? Vous avez véritablement impacté la vie des gens…

Sincèrement, je ne m’en rends pas bien compte parce que ce n’était évidemment pas mon objectif ! Je n’ai pas cherché à trouver une idée pour marquer les esprits… Je crois plutôt que je fais partie de la vie des gens parce que j’ai la chance de perdurer, du coup, j’accumule les expériences, les films, les références. Si j’avais disparu à 24 ans comme James Dean, j’aurais laissé moins de souvenirs ! Je pense que c’est grâce à ma longévité que j’ai eu le privilège de finir par entrer chez les gens… 

 

Vous avez façonné un anti-héros maladroit et attendrissant que le public a tout de suite adoré au point de le confondre avec vous. L’aura de ce personnage a parfois été un poids ?

Il n’a pas été handicapant mais pendant longtemps, il m’a un peu collé à la peau… Il a été rattrapé par le Grand Blond puis par La chèvre alors c’est vrai que d’une certaine manière, il m’a parfois empêché de faire d’autres choses alors que j’essayais de faire savoir que je n’étais pas que ce « clown distrait » ! (rires) Mais avec le temps, j’ai pu dévoiler d’autres facettes de ma personnalité et de mon jeu donc je ne suis heureusement pas frustré. Et puis, comme je l’ai raconté dans mon précédent spectacle et comme je le dis un petit peu dans celui-ci, je ne suis pas distrait uniquement dans les films… Dans la vie aussi et c’est mon grand malheur ! (rires) 

Au cinéma, mon personnage a beaucoup incarné la maladresse, la malchance ou le mal-être au milieu d’une société qui le dépasse, mais ce n’était pas que de la distraction… C’est ce que je raconte dans Je suis là mais je ne suis pas là bien que je doive être honnête avec le public en lui avouant que je suis certainement encore bien plus distrait dans la vraie vie ! (rires) J’en rigole mais ça demande de l’énergie à mon entourage qui ne peut pas s’empêcher de me surveiller ! (rires) C’est beaucoup de boulot pour ma famille, mes amis et les gens avec qui je travaille… Je les vois sans cesse repasser derrière moi quand je quitte une salle ou un hôtel pour s’assurer que je n’ai rien oublier. Pour eux, ce n’est pas drôle du tout et j’ai de la chance qu’ils aient toujours tous été aussi bienveillants et patients avec moi. En revanche, je nie farouchement, en tant qu’acteur, n’être qu’un interprète de la distraction !

 

 

On voit dans votre carrière qu’il y a eu une période de « bras de fer » pendant laquelle vous avez œuvré à prouver que vous n’étiez pas enfermé dans un « clown » mais que vous étiez un comédien capable de tout interpréter…

Vous avez raison, j’en ai un peu souffert pendant un moment… J’aurais peut-être pu gagner du temps si on m’avait un peu plus écouté ou aidé à accéder à d’autres registres mais ce qui compte, c’est d’y être parvenu et de prendre plaisir à donner corps à d’autres types de personnages. 

Dans l’un des deux derniers films que j’ai faits – Fêlés – et qui sortiront dans quelques mois, je joue par exemple un rôle à qui il arrive des choses amusantes sans que ça ne l’empêche de traverser beaucoup d’émotions et de gravité. Dans l’autre, La vallée des fous de Xavier Beauvois, c’est pareil et je ne demande pas mieux car j’ai besoin de ce mélange, comme dans la vie, de légèreté et de profondeur.

J’ai même tourné en Italie L’angelo dei muri, un film totalement tragique ! J’ai mis du temps à accéder à ce type de personnage, il a en effet fallu qu’on m’accepte sous cet aspect-là…

Ça vient peut-être aussi du fait que j’avais une légèreté naturelle et une fluidité qui empêchaient les réalisateurs de m’imaginer dans des rôles plus sombres et terre à terre. J’aurais bien aimé, comme Bourvil, avoir l’occasion de faire plus tôt des films différents. Ça ne m’aurait pas empêché de faire des comédies mais ça aurait été plus varié. Je ne renie pas du tout l’humour car j’aime profondément ce registre et je ne me verrais pas m’en passer, mais j’aurais adoré faire de temps en temps de bons drames… Heureusement, tout vient à point ! Il était grand temps ! (rires)

 

 

Que ce soit au cinéma, à l’écriture ou à la mise en scène, il y a un nom qui revient souvent : Christophe Duthuron…

Christophe est en effet devenu un ami, voire mon double ! On a les mêmes affinités, le même humour… Je l’ai rencontré quand il était étudiant en cinéma, un jour où il était sur le quai de la Seine et moi sur ma péniche. Je me demandais ce que pouvait bien faire ce type qui était adossé contre un mur depuis au moins six heures ! Ça a été plus fort que moi, il a fallu que j’aille lui parler pour savoir ce qu’il foutait là. Il m’a répondu qu’il me regardait ! J’ai cru que ça allait être un emmerdeur et au lieu de ça, il s’est approché de moi et il m’a fait une analyse de mes films qu’aucun critique n’avait jamais faite, surtout à une époque où j’étais encore considéré comme un simple rigolo… Depuis, on ne s’est plus quittés ! On a donné naissance ensemble à 3 livres, 3 spectacles et 3 films maintenant…

 

Il a coécrit avec vous et mis en scène Je suis là mais je ne suis pas là… Il faut une véritable connivence pour ça…

C’est vrai… Même si j’ai évidemment des nuances, il sait comment je réagis et ça nous permet d’être efficaces. Le seul point où je l’embête un peu, c’est que parfois, j’aimerais qu’il soit un peu plus « direct ». Il a un très joli style, il aime bien peaufiner ses mots et si c’est parfait pour le livre, ça pourrait être plus « rapide » pour la scène. Ce sont vraiment des écritures différentes mais je m’en remets souvent à lui car même si j’ai un talent d’acteur, je sais qu’il a un vrai talent d’écrivain. C’est pour ça qu’on finit toujours par arriver, au bout de notre parcours d’écriture, sur un spectacle.

 

 

Vous avez aussi inspiré Mathilda May qui vous a créé un seul en scène muet, Monsieur X…

On s’est incroyablement bien entendus ! J’ai souvent la nostalgie de Charlie Chaplin et Buster Keaton qui n’avaient pas besoin de texte pour s’exprimer, alors là, j’ai été ravi ! (rires) Pendant 1h30, je n’avais pas à dire un mot, j’étais content comme tout ! Mathilda May a imaginé ce spectacle uniquement basé sur le physique, la gestuelle et la musique, moi qui aime tant ça ! Je jouais sur la musique, je peignais en musique, je me déplaçais en musique, le tout avec des gags soit burlesques soit ésotériques… C’était d’une créativité folle et j’ai adoré son spectacle. Malheureusement, il s’est arrêté brutalement à cause du Covid mais je l’ai aimé profondément et je suis content quand on m’en parle parce qu’il a montré une facette extrêmement différente de mon travail…

 

Malgré les plus de 60 ans d’expérience, ce genre de rôle change la façon d’appréhender la scène en solitaire ?

J’ai tellement été seul sur scène (celui que je joue est déjà le quatrième) que je m’y sens bien. Ça ne signifie pas que je n’aime plus jouer avec les autres, au contraire, mais je sens que ça m’apporte quelque chose à chaque fois. Alors le travail que j’ai fait pour Monsieur X m’a évidemment enrichi même si je ne saurais pas bien analyser ce que ça a modifié dans mon approche du travail.

 

 

La scène c’est du temps et de l’investissement personnel mais est-ce encore du travail ?

Pour être sincère, je m’amuse tellement sur scène qu’en effet, ça n’en est peut-être plus ! (rires) À mon âge, si je continue ce métier, c’est parce que j’en suis fou et que j’ai tendance à prendre ça comme une récréation, pas comme un travail. C’est quand l’amusement s’achève à la fin de la tournée que je « rentre en classe » en reprenant une vie normale ! (rires) À ce moment-là, je n’ai plus qu’une obsession : écrire et travailler pour repartir en récréation pendant des mois !

 

Vous êtes tout le temps en train de créer, d’imaginer, d’écrire et de laisser votre esprit vagabonder ?

Oui sinon je m’étiole ! Je ne pense pratiquement qu’à ça : inventer, jouer, m’amuser… J’ai conscience d’avoir une chance incroyable donc je ne veux pas la gâcher. La création m’obsède, c’est d’ailleurs peut-être à cause de ça que j’ai tendance à oublier tout le reste ! (rires) J’essaye de me trouver des excuses… (rires)

 

 

Est-ce que le fait d’être un peu « dans la lune » et de regarder le monde sous un autre angle n’est pas justement le propre de l’artiste ?

En effet, il vaut mieux regarder ce monde actuel un petit peu de côté parce qu’il n’est vraiment pas terrible… Laisser mon esprit partir dans un imaginaire, c’est une manière de m’en échapper. C’est basique mais j’ai choisi d’en rire avant d’en pleurer. En revanche, je n’oublie jamais que je suis un privilégié… C’est facile pour moi d’en rire face à ceux qui travaillent dur tous les jours et qui ont d’autres urgences que celle de contempler le ciel et les oiseaux.

 

Chanceux certes mais c’est aussi le résultat de décennies de travail, de sérieux, de remise en question…

J’aurais pu, malgré le travail, ne pas atteindre ce résultat-là, il y a une grosse part de chance dans tout ça mais je reconnais que je suis un faux paresseux ! (rires) Je me targue de l’être parce que ça fait bien ! (rires) C’est une technique imparable : en disant haut et fort que je ne fais pas grand-chose, les gens s’imaginent que je dois être sacrément doué et talentueux pour réussir ! Vous testerez, ça marche à tous les coups ! (rires)

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos droits réservés / février 2024

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