CONCERT

Patrick Bruel en interview pour sa tournée « On en parle » de passage à Marseille et Nice

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« Je n’imagine pas qu’on puisse être blasé de ça ! » Patrick Bruel

 

 

Porté par la même énergie que celle de ses débuts, Patrick Bruel s’est à nouveau engagé dans une tournée fleuve qui le conduira, de mois en mois, à écumer toutes les plus grandes salles de France avec un spectacle aux mille facettes. Piochées dans un répertoire riche et volontairement éclectique, les chansons désormais légendaires de cet auteur-compositeur-interprète – qui ont su traverser les modes et les années sans encombre – côtoient ainsi, sur scène, celles de son dernier album, Encore une fois… Et si pour lui, devoir choisir parmi elles est un supplice ; pour nous, devoir en faire autant avec ses propos est un crève-cœur ! Entre son bonheur de partager d’intenses moments avec un public fidèle, ses réflexions sur une société qui n’épargne personne, ses remises en question, ses aspirations, sa nouvelle série, son attachement à la Provence ou encore ses projets hôteliers, Patrick Bruel n’est en effet jamais avare d’échanges, de sincérité et de confidences…

 

 

 

 


 

 

Patrick Bruel en interview pour son album Encore une fois… et sa tournée On en parle

interview / concert / tournée / album / chanson française

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : Tu enchaînes les dates de tournée…

Patrick Bruel : C’est merveilleux tu verras… C’est un très très gros spectacle donc il faut être en forme ! Surtout qu’il est assez long, avec beaucoup d’intensité, d’énergie et de propositions scénographiques assez impressionnantes ! Et en parallèle, il offre des moments extrêmement intimes où règne une proximité assez inédite avec le public… C’est vraiment chouette !

 

Cette tournée diffère de la précédente qui était acoustique et intime. Ça fait du bien d’alterner les propositions ?

J’aime que ça bouge, que ça change alors même si j’ai adoré la précédente proposition, ça me fait extrêmement plaisir de retrouver ce type de spectacle de très grande envergure. La scénographie est dingue et le public encore plus incroyable que jamais, comme s’il venait pour signifier sa présence et son soutien. Les spectateurs sont de plus en plus nombreux et leurs profils de plus en plus larges. Certains amènent leurs enfants, leurs parents, leurs copains, d’autres leurs petits-enfants ou leurs grands-parents, il y a autant d’hommes que de femmes, des ados, des gamins de 5 ou 6 ans qui chantent mes chansons, c’est fou ! (rires) Et surtout c’est terriblement émouvant et touchant de voir ça…

À un moment donné, je me retrouve à jouer du piano au beau milieu de la salle et je crois que je n’ai jamais été aussi proche du public qu’à ce moment-là… Il y a une telle intimité, une telle écoute et une telle communion que ça me transporte chaque soir…

 

 

On arrive à finir par trouver presque « normal » que les gens soient, rendez-vous après rendez-vous, toujours présents en nombre ?

Franchement non… Année après année, c’est toujours aussi impressionnant et surréaliste… On ne peut pas se faire à ça tellement l’amour qu’on reçoit est immense et hors norme…

J’ai conscience de faire partie de la vie des gens (et pour certains depuis de nombreuses années) mais ce n’est pas pour ça que ça me donne une quelconque légitimité ou une quelconque assurance. À chaque fois que tu reviens avec un nouvel album ou que remontes sur scène, tu remets ton titre en jeu. Tu viens avec une nouvelle proposition, une nouvelle audace mais entre-temps, il s’est passé plein de choses… La scène s’est garnie d’autres talents et d’autres tendances alors il n’y a aucune logique à penser que les gens t’attendent.

Donc quand ils sont encore une fois au rendez-vous et qu’ils en repartent aussi heureux que c’est le cas sur cette tournée, tu ne peux qu’être aussi surpris qu’ému et comblé ! 

 

 

Malgré plus de 30 ans de tournée, tu sembles émerveillé et tu as toujours ce regard de gosse devant une montagne de cadeaux à Noël…

C’est vrai qu’à chaque fois je suis impressionné de ce que je vis avec le public et à chaque fois, j’ai la sensation que la barre est encore plus haute que la fois d’avant ! (rires) Je dis peut-être ça à chaque concert mais je ne m’attendais sincèrement pas à vivre des émotions aussi fortes une fois de plus… 

À tête reposée, avant la tournée, j’aurais peut-être pu penser avoir déjà un peu tout vu ou tout vécu mais ces dates me prouvent à nouveau que chaque moment est unique et surtout que le meilleur est toujours à venir !

Tu as raison, j’ai l’impression d’être un gamin chaque soir mais en même temps, n’importe qui à ma place aurait la même réaction que moi ! Je n’imagine pas qu’on puisse être blasé de ça ! Et si on l’est, je ne crois pas qu’on puisse dégager le bonheur que tu as perçu dans mes yeux. Je ne peux renvoyer ça que parce qu’il y a une puissante interaction avec le public, c’est un ping-pong ! Les gens répondent à mon sourire, je réponds à leur enthousiasme, ils répondent à mon émotion, je réponds à leur appétence et à leur incroyable aptitude à sublimer un moment…

Ce public a beaucoup, beaucoup de talent car non seulement il chante bien, mais il écoute, il réagit et surtout, il réfléchit bien… Je suis en permanence épaté d’avoir ce rendez-vous merveilleux avec lui !

 

 

Quand tu reviens en concert avec un album supplémentaire – Encore une fois -, le plus compliqué, aujourd’hui avec ton répertoire, c’est de faire des choix ?

Faire des choix, c’est une torture ! (rires) Pour préparer la tournée, tu fais d’abord une setlist dans laquelle tu mets les incontournables, c’est-à-dire les chansons que le public a besoin d’entendre et que je suis bien sûr ravi de chanter. Et à côté de ça, tu apposes le plus possible de nouveaux morceaux… Et comme ce nouvel album – Encore une fois – est sans cesse particulièrement rattrapé par l’actualité, ça donne forcément un spectacle très sociétal et très humain en même temps, tout en étant intime et festif.

 

Ce n’est pas nouveau dans ton répertoire mais j’ai l’impression que la variété de styles musicaux s’est intensifiée dans cet album-là…

Cet éclectisme me caractérise de plus en plus et est cohérent avec mes goûts. J’éprouve autant de plaisir à écouter un concerto de Chopin qu’à découvrir un jeune artiste parce que la musique, l’expression et l’émotion sont des choses qui ne se contrôlent pas. On est touché ou on ne l’est pas, on peut l’être par différents styles et différentes manières de s’exprimer et c’est vrai que je n’ai pas envie de me restreindre à quoi que ce soit. Ce qui compte, c’est de donner le bon costume aux chansons…

 

 

On pense principalement à toi comme interprète mais on retrouve de nombreux titres que tu as composés et écrits en plus de ceux travaillés avec Paul École, Romain Didier ou Hoshi…

Il n’y a pas de règle… Soit j’ai une idée, une inspiration et je me lance, soit je fais une rencontre, soit j’échange avec quelqu’un qui va me proposer ce que je ne pourrai pas refuser ! (rires) Il y a aussi des envies de partager un moment avec quelqu’un… Avec Paul École par exemple, on a une relation très particulière puisqu’on avait écrit ensemble Héros et qu’après ça, j’ai eu envie de faire un focus sur les héros de la société d’aujourd’hui. Parmi eux, on retrouve les enseignants mais aussi ceux qui s’engagent dans la résistance… Ça a donné deux chansons majeures pour moi – L’instit et Aux souvenirs que nous sommes -, qui sont d’ailleurs devenues de très jolis moments dans le spectacle…

 

 

Avec L’instit qui est aussi un hommage à ta mère ou Je reviens qui évoque ton retour en Algérie, tu lies la grande Histoire à ton intimité… Parler de soi, c’est de plus en plus facile au fil du temps ?

Quand les textes sont autobiographiques comme ça, c’est plus flagrant mais j’ai finalement toujours parlé de moi, par bribes ou même en parlant des autres… Là, je suis évidemment allé chercher des choses très personnelles, mais en même temps très universelles… Le fait d’avoir été déraciné, de partir d’un endroit et d’y revenir, c’est quelque chose qui parle à beaucoup d’entre nous. Une chanson comme Je l’ai fait cent fois – qui est selon moi la plus belle de cet album – a le même impact, tout le monde peut s’y reconnaître, à condition d’accepter de se regarder dans le miroir et d’admettre ses failles. C’est d’ailleurs un titre qui touche beaucoup les gens pendant le spectacle et qui dégage une grande émotion… Mais même si d’une manière ou d’une autre, j’ai toujours dévoilé des facettes de moi dans mes albums, c’est vrai que j’ai l’impression qu’on fait encore, le public et moi, un peu plus connaissance…

 

 

Il y a aussi des questions de société comme La chance de pas… sur le fléau des drogues… 

C’est un sujet qui m’a toujours tenu à cœur pour des raisons personnelles et sociétales évidentes. Quand je l’ai écrite, je m’adressais vraiment à quelqu’un de précis… Une personne qui a glissé alors que rien ne la prédisposait à ça, ni dans sa vie professionnelle, ni dans sa vie privée… Il suffit d’une rencontre, d’un moment de détresse, d’une recherche de substitut pour basculer. Et quand le train est parti, c’est très compliqué d’en redescendre… C’est un sujet qui me touche profondément car c’est un fléau qui me terrifie… 

 

Les addictions sont nombreuses, peuvent être légales ou non, mais ce titre est malin car il ne juge pas mais souligne qu’on est chanceux quand on ne tombe pas dedans… 

Exactement, je ne voulais surtout pas juger qui que ce soit car on peut tous tomber très vite dans une addiction quelconque. Alcool, cigarette, médicament ou drogue, je ne veux absolument taper sur personne à part sur ceux qui poussent à la consommation pour enrichir leur trafic ! 

 

 

Dans Lettre à la con, tu te glisses dans la peau d’un enfant atteint d’une tumeur au cerveau pour exprimer l’incompréhension, l’impuissance, l’injustice…

Ce que j’aime dans cette chanson, c’est justement ça… Pour une fois, elle se place du côté de l’enfant et elle nous dévoile son regard innocent et étonné qui se demande pourquoi la maladie est venue l’emmerder lui. Il ne veut qu’une chose, c’est qu’elle le laisse tranquille. C’est très joli et j’ai beaucoup aimé cette écriture de Mark Weld… Pour l’instant, cette chanson n’est pas dans le spectacle, mais je suis certain qu’elle y trouvera sa place à l’automne car elle est essentielle…

 

Toujours du côté sociétal, on a On en parle sur nos modes de communication entre lynchage et fake news…

C’est la chanson centrale de l’album et c’est naturellement devenu le titre de la tournée car on parle beaucoup dans ce spectacle. C’est difficile de la paraphraser parce que chaque mot est extrêmement précis et que chacun peut y apporter une interprétation particulière. On est aujourd’hui dans un monde d’individualisme forcené, on est obligé de se méfier, de lutter contre le repli sur soi et contre ces discours populistes qui agitent et surfent sur nos peurs… C’est ça qu’On en parle dénonce.

 

J’avance et Danse pour moi résument, selon moi, quelque chose qui semble être ton crédo : continuer quoi qu’il en coûte, quoi qu’il advienne…

C’est marrant que tu mettes le doigt sur ces deux-là car j’hésite fortement entre les deux pour le prochain single à sortir… Mais c’est vrai que ces deux chansons représentent un peu ce tempérament que j’ai à foncer et surtout à vouloir bouffer la vie tant que j’ai la chance de pouvoir le faire ! Et bizarrement, d’ailleurs, je n’arrive pas (encore) à placer J’avance sur scène… Ça fait son chemin dans ma tête donc ça ne devrait plus tarder ! (rires) Il y a vraiment un fil conducteur dans le concert, ça raconte une histoire donc je ne peux pas faire n’importe quoi.

 

 

En plus de l’album et de la préparation de la tournée, tu as trouvé le temps de jouer dans une série intitulée Unité 8200 où tu tiens le rôle principal…

Elle devrait être diffusée en novembre ou en janvier prochain. Elle n’est pas encore totalement terminée, elle est en post-production donc on aura le temps d’en reparler mais j’ai vraiment pris plaisir à y participer ! Il y aura 6 épisodes et je pense que si le montage est fidèle au scénario et au tournage, Unité 8200 sera une très bonne série d’espionnage ! Il y a les services secrets, du suspense et j’incarne un agent… J’ai adoré !

 

Et puisque tu arrives miraculeusement à trouver du temps pour faire plein de choses différentes, il y a toujours ton domaine viticole et oléicole à L’Isle-sur-la-Sorgue – Leos -, et prochainement, un hôtel devrait y voir le jour…

Oui ce sera un hôtel 5 étoiles avec spa qui mettra l’accent sur le bien-être. Je pense que ce sera une offre magnifique pour L’Isle et pour la région où il n’y a pas encore d’établissement dans cette gamme alors qu’il y a énormément de passage. C’est un des « villages » les plus fréquentés au monde ! Et quand je dis « village », je devrais dire « ville » car on arrive à presque 40 000 habitants ! C’est un endroit merveilleux dans lequel je suis arrivé il y a bientôt 20 ans maintenant et je trouvais intéressant de continuer à participer au rayonnement du Vaucluse et plus particulièrement à celui de L’Isle-sur-la-Sorgue…

 

 

On parlait de déracinement avec Je reviens. Ce coup de cœur pour L’Isle-sur-la-Sorgue, c’est une volonté d’enracinement ? 

C’est vraiment ça. J’ai craqué sur cet endroit, j’en suis tombé amoureux et je m’y sens chez moi… C’est précieux cette sensation alors j’ai voulu donner des racines à mes enfants pour qu’ils puissent se planter au juste milieu de mon monde… Je suis né en Algérie et j’ai grandi à Paris alors le « juste milieu », c’est la Provence. Et puis, mes enfants habitant aux États-Unis, j’avais le choix du lieu de leurs racines françaises ! (rires) Cet endroit c’est leur maison. Ils y ont vu les oliviers grandir et l’histoire se construire. C’était important pour moi que le domaine porte leur empreinte, c’est pour ça que son nom est un assemblage de leurs prénoms à eux : Léon et Oscar. Et puis, je suis content car ça prend de l’ampleur à tous les niveaux, notre rosé est très apprécié et notre huile d’olive a reçu de multiples médailles… 

 

Le rapport entre toutes tes activités, c’est l’art de vivre…

Exactement ! Que je chante, que je produise de l’huile d’olive ou que j’invite les gens à se détendre dans un spa, le point commun c’est le partage et le bien-être. Peu importe le moyen utilisé, ma « mission » est de faire du bien aux gens…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos Fred de Pontcharra & Bertrand Exertier / mai 2024

 

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