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INTERVIEW

Nicolas Briançon en interview

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Si « Le canard à l’orange » vient de s’achever au Théâtre de la Michodière où elle s’est jouée avec succès pendant plusieurs mois c’est pour pouvoir vivre une seconde vie, en tournée cette fois-ci. Mise en scène par Nicolas Briançon qui endosse également le rôle principal de Hugh Preston, cette pièce du britannique William Douglas Home nous invite à passer un week-end chez un couple qui, le temps d’une partie d’échecs, va prendre la décision de se séparer. Animateur célèbre de la BBC qui semble ne jamais rien prendre au sérieux y compris la tristesse et la solitude d’une épouse qu’il délaisse pour de la chair souvent un peu plus fraîche, cet aristo anglais – bluffeur, manipulateur et un tantinet machiste – sur le point de voir partir sa femme avec un amant va tout entreprendre pour la garder à ses côtés, jusqu’à lui donner sa bénédiction…


« On interprète des personnages afin d’être soi-même et surtout se trouver soi-même… »


MORGANE LAS DIT PEISSON : Jouer à Ramatuelle…

NICOLAS BRIANÇON : J’ai quasiment commencé ma carrière à Ramatuelle en 87, à peine deux ans après la création du festival, j’y ai joué avec Jean Marais à mes débuts et j’y suis revenu régulièrement… Il y a quelque chose là-bas qui me fait m’y sentir comme à la maison, c’est terriblement agréable !

Dans Le canard à l’orange, on te retrouve metteur en scène et comédien…

Pendant la période de répétitions, il faut avouer qu’avoir les deux casquettes peut s’avérer un peu plus fatigant puisqu’on déploie énormément d’énergie à façonner la mise en scène en même temps qu’on essaie d’appréhender de la manière la plus juste qui soit son personnage. Par contre, une fois que ce travail de création est terminé, on redevient très vite un comédien comme les autres, concentré uniquement sur son jeu. Et puis, pour être totalement sincère, avec la troupe du Canard à l’orange, ça ne m’a pas demandé un boulot de dingue tant tout a été fluide, évident et naturel…

Une équipe soudée…

On n’est pas toujours d’accord mais on se le dit tout simplement sans souci d’ego et j’ai d’ailleurs l’impression que ça participe énormément au succès de ce spectacle… Aux Molières, on était tous les cinq nommés alors ça ne veut évidemment pas dire qu’on est les cinq meilleurs comédiens du moment (rires), mais ça prouve qu’il y a une telle cohésion entre nous que la pièce s’en est trouvée enrichie.

Des comédiens d’ailleurs à l’origine de la pièce…

Ce spectacle est parti d’une blague ! (rires) On est amis dans la vie et, avec Anne Charrier, on se disait que ça faisait une éternité qu’on n’avait pas joué ensemble… Je suis retombé un peu par hasard sur Le canard à l’orange et, au fur et à mesure de ma lecture, je nous voyais littéralement dans les personnages ! On s’est organisé une lecture à la maison le dimanche suivant et tout de suite, on a su qu’il fallait qu’on la monte.

Une pièce interprétée par des monstres sacrés du théâtre…

Je n’avais jamais vu la pièce avant donc je n’ai pas été influencé par le jeu de Michel Roux ou de Jean Poiret même si le fantôme de ce dernier a souvent tendance à planer un petit peu au dessus des textes qu’il a joués tant son style et son phrasé étaient marquants… Je l’ai vu au moins sept fois dans Joyeuses Pâques et j’ai encore sa voix en tête ! (rires) Mais heureusement, quand on endosse un rôle qui a déjà été interprété, on arrive à ne pas se laisser influencer, à condition, bien sûr, de partir de soi…

On n’entre donc pas dans la peau du personnage, on lui prête la nôtre ?

Les gens pensent toujours qu’on joue des rôles pour être quelqu’un d’autre mais non… On interprète des personnages afin d’être soi-même et surtout se trouver soi-même… Pour construire un rôle, il est inévitable de tisser autour de sa propre vérité, de sa voix, de sa pensée, de son corps et de sa personnalité. Il existe des tonnes de théories sur le métier d’acteur mais je crois qu’en réalité, il n’y en a qu’une qui soit vraiment vraie : « Jouer est un jeu »… En disant ça, Peter Brook a rappelé l’essentiel… On ne devient jamais le personnage et heureusement, car avec le nombre d’enfoirés que j’ai joué, je serais devenu un monstre s’il n’y avait pas ce recul et ce rappel constant du réel ! (rires) On n’est pas dans une schizophrénie, juste dans un lâcher prise éphémère…

Hugh Preston a une classe naturelle…

Je crois que la prestance de mon personnage doit énormément à l’élégance de l’écriture de William Douglas Home… Mais bien qu’il soit chic, il est complètement barré ! (rires) J’aime aller le chercher dans sa folie du jeu… C’est un joueur invétéré qui s’éclate, qui mise et qui bluffe sans cesse pour récupérer sa femme, la séduire à nouveau en ridiculisant un amant qu’il feint d’accepter et en essayant de la rendre jalouse… Il veut plaire… Je dirais peut-être qu’il est plus charmeur qu’élégant mais souvent, l’acteur est le plus mal placé pour définir ce qu’il joue ou ce qu’il est d’ailleurs… (rires)

Un homme qui se rend compte de l’amour qu’il a pour sa femme au moment où il la perd…

C’est un peu ce que la version française laisse entendre mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir l’orgueil gigantesque et le cynisme qui transpirent un peu plus dans le texte originel. La fin n’est d’ailleurs pas exactement la même et elle révèle un caractère plus ambigu chez Preston. C’est quelque chose que j’ai essayé de ne pas perdre de vue car j’aime ce jeu à l’anglaise et ces personnages qui, comme dans la vraie vie, ne sont jamais lisses et sans aspérités…

Des personnages profonds sous une apparente légèreté…

Cette pièce  est en effet aussi drôle qu’intelligente et elle déclenche des cascades de rires impressionnantes ! Je n’avais jamais vécu ça au théâtre et je dois reconnaître que c’est réellement extraordinaire à vivre…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à Paris au Théâtre de la Michodière • Photos Shoky van der Horst, Céline Nieszawer & Jean-Claude Hermaize


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Interview parue dans les éditions n°404 #1, #2, #3 et #4 du mois de juin 2019

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