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« La lignée » : Aurélie Valognes explore le pouvoir et le poids de l’écriture chez Fayard

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La lignée d’Aurélie Valognes

lecture /  livre / roman épistolaire / correspondance

  • Paru le 28 février 2024 chez Fayard / 360 pages / 21,90€

 

 

La lignée d’Aurélie Valognes : Relation épistolaire

Autant vous prévenir tout de suite, ceci n’est pas à proprement parler un roman. Il n’y a pas d’intrigue policière, pas de courses poursuites ni d’énigmes à résoudre, c’est résolument différent, voire infiniment mieux. À première vue, ce n’est qu’une simple correspondance fictionnelle entre deux écrivaines. On pourrait croire à une sorte de documentaire à deux doigts de virer au soporifique et pourtant, étonnamment, La lignée réussi ce tour de force de devenir un ouvrage palpitant.

Une des deux protagonistes, Louise – qui laisse à penser que derrière elle se cache en réalité l’autrice Aurélie Valognes – va, à 10 ans, proposer un manuscrit à un éditeur qui le refusera. Après cet « échec », elle va avoir l’idée d’écrire une première lettre à Madeleine, une écrivaine de grande renommée, qui aurait l’âge d’être sa grand-mère. Cette dernière, pourtant réputée pour ne pas être adepte des mondanités, va lui répondre.

Il se passera ensuite une vingtaine d’années avant que la correspondance ne reprenne. Louise a désormais un emploi « honorable », est mariée, vient d’avoir son premier enfant mais malheureusement pour son entourage, son besoin d’écrire la reprend et elle recontacte Madeleine.

 

 

L’une n’est encore qu’une écrivaine inconnue qui achève son premier manuscrit, l’autre est une auteure de nombreux best-sellers qui vient de prendre la décision d’arrêter d’écrire… Il va en résulter des échanges réguliers pendant des années durant lesquelles la plus jeune livrera ses angoisses et questionnements tandis que la plus sage couchera sur le papier ses bienveillants conseils… Elles vont évidemment aborder les difficultés et les astuces de l’écriture, la fameuse peur de la page blanche mais aussi ce que les lecteurs soupçonnent beaucoup moins comme les conflits avec les éditeurs et les incompréhensions d’un entourage qui peut parfois faire preuve d’une pointe de jalousie.

Mais elles vont aussi effleurer des sujets variés tels que la jeunesse de Madeleine qui se rappelle qu’un demi-siècle plus tôt, les femmes obtenaient à peine le droit de vote alors qu’elles n’avaient pas encore celui d’ouvrir un compte bancaire ou de porter un pantalon ! Alors oser écrire…

 

 

Elles vont également s’inquiéter de la disparition de la lecture chez les jeunes au profit des écrans, des jeux vidéo et des « réseaux sociaux » qui n’ont de « sociaux » que le nom… Et vont rappeler la pensée des anciens qui avaient constaté qu’une génération qui ne lisait plus engendrait l’effondrement de la société…

En parallèle, le premier roman de Louise devient un succès phénoménal alors qu’elle voit sa vie familiale se disloquer. On comprend alors que Madeleine a vécu la même chose et qu’elle a fini par aller s’installer, seule, sur une petite île bretonne. Notre société « bon chic, bon genre » et pleine d’idées arrêtées n’admet pas si facilement qu’une femme ne soit pas avant tout une « bonne mère » ou une bonne « femme au foyer ». Son propre fils ne lui a plus jamais adressé la parole depuis et elle n’a jamais pu rencontrer sa petite-fille, étrangement prénommée Louise, elle aussi… Mais la vieille dame se réjouit du petit rouge-gorge qui vient la voir régulièrement dans son jardin et semble enfin s’être dessiné un « vrai » bonheur tout simple, loin de celui « formaté » et imposé par une société qui nous a habitués à surconsommer voyages, loisirs et objets coûteux pour tenter d’aller mieux.

Un livre à ne pas rater, à méditer, à lire et relire dans son intégralité ou même par épisode, dans l’ordre comme dans le désordre !

© Jean-Louis Las Dit Peisson pour Le Mensuel / photos Éric Garault Pasco / juin 2024

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