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CINÉMA
Jérôme Commandeur & Laurent Lafitte en interview pour le film « T’as pas changé »
« Je suis toujours avide du personnage que je n’ai jamais joué… » Laurent Lafitte
Devenu une véritable référence dans l’humour, Jérôme Commandeur s’est naturellement tourné vers la comédie pour son 3ème long-métrage. Mais, bien que « T’as pas changé » – dont il partage l’affiche avec Laurent Lafitte, François Damiens et Vanessa Paradis – soit évidemment drôle, il s’appuie (comme toute bonne comédie) sur un drame : celui de l’existence, du temps qui passe et de la mort qui nous attend tous – tôt ou tard – au bout du chemin ! Au décès d’un ancien copain de classe, les amis se replongent dans leurs vies d’avant, quand ils n’avaient alors que 18 ans et des rêves plein la tête…
Jérôme Commandeur & Laurent Lafitte en interview pour le film T’as pas changé
interview / cinéma / comédie
- le 05 novembre 2025 au cinéma
- de Jérôme Commandeur
- avec Laurent Lafitte, François Damiens, Vanessa Paradis
Morgane Las Dit Peisson : Une rencontre dans une salle parisienne…
Jérôme Commandeur : Exactement ! Avec Laurent, on s’est rencontrés au Petit Palais des Glaces en 2008 quand nous jouions tous les deux nos spectacles l’un après l’autre. On partageait la même salle, la même loge et on riait beaucoup ! Lui sûrement un peu plus, car il était plein tous les soirs alors qu’à l’époque, moi, je l’étais légèrement moins… (rires)
Sur scène, on a un retour immédiat alors qu’en plateau, on ne peut que se fier aux réactions de l’équipe…
Laurent Lafitte : Il faut faire très attention à ça, surtout en comédie car il y a des pièges. On peut rire beaucoup pendant qu’on travaille, mais ça ne signifie pas que l’effet comique est réussi. Il y a d’ailleurs cet adage très juste qui dit que « qui rit au tournage pleure au montage » ! Ce qui fonctionne très bien en live ne colle en effet pas toujours aux besoins cinématographiques et, lorsque l’on s’en aperçoit, il est souvent trop tard… Une comédie, c’est un rythme à trouver et il peut devenir trompeur si des variations ou des accélérations manquent. On est obligé, dans ces cas-là, de les recréer en coupant et en optant pour des champs-contrechamps qu’on n’avait pas forcément envie de faire à l’origine. Le problème, c’est que, quand c’est tourné, c’est tourné tandis qu’au théâtre, le lendemain, on peut réajuster en fonction des réactions de la veille.
Quand on crée, on cherche à peaufiner en permanence…
Jérôme : Oui, du coup, quand on fait un film, il nous faut des obligations et des dates sinon on continue jusqu’à ce que mort s’ensuive ! (rires) Il arrive un moment où c’est le directeur de postproduction qui te fout dehors pour que tu lui rendes ta copie… Comme à la fin d’une épreuve au BAC où le candidat s’acharne à écrire jusqu’à la dernière seconde ! (rires)
C’est normal d’être un peu insatisfait et d’ailleurs, je trouve que c’est bon signe. Ça prouve qu’on a encore des choses à dire, qu’on a toujours envie de faire mieux. Aujourd’hui, je vois mille choses qui ne me vont pas mais je dois me faire une raison et faire la paix avec ça.

C’est cette petite insatisfaction qui donne envie de se lancer dans le projet suivant… On est toujours en quête d’un mieux…
Jérôme : Oui, je suis tout à fait d’accord avec ça… Au point que je m’étais dit qu’après T’as pas changé, je repartirais sur un one-man mais maintenant qu’il est fini et que je vois ses défauts, j’ai envie de retourner derrière la caméra pour améliorer plein de détails !
Laurent : Alors que le film est formidable ! (rires)
T’as pas changé parle du temps qui passe et des souvenirs…
Jérôme : C’est effrayant d’ailleurs de réaliser qu’on a désormais des souvenirs qui remontent à plus de 30 ans ! (rires) Ce sont les producteurs Richard Grandpierre et Dimitri Rassam qui m’ont contacté pour imaginer un film de retrouvailles. J’aimais beaucoup le concept, mais sur le moment, j’ai manqué d’idées. C’est en vivant, en prenant des coups dans la gueule et en perdant des amis, que je me suis intéressé au sujet. J’ai eu envie de montrer qu’à 50 ans, bien qu’on croie être « assis » dans sa propre existence avec une certaine vitesse de croisière, la vie nous rattrape en nous rappelant qu’on fait simplement ce qu’on peut. On boitille, on prend des culs-de-sac ou des nids de poule sans arrêt et c’est ça qui me captive. Ça m’a donné l’idée de réunir des gens dans cet état-là.

Toutes vos créations font l’éloge des gens « normaux »…
Jérôme : En effet, j’aime les antihéros, alors je reste toujours très attentif à ce qu’aucun de mes personnages ne perde pied. François Damiens campe par exemple un avocat qui a réussi mais dont la femme réussit mieux que lui, et surtout, son milieu social d’origine est modeste. J’adore les gens « de tous les jours »…
Faire un bond dans le passé, c’est aussi l’occasion de faire un film « d’époque »…
Jérôme : Nos personnages avaient 18 ans en 93, donc, même si c’était plus leurs 18 ans qui m’intéressaient que l’époque en elle-même, c’est vrai que c’était plaisant de se replonger dans tout le décorum. Surtout qu’on voit que cette période est constamment remise au goût du jour en ce moment. Malgré tout, je ne voulais pas faire un film de « gadgets » avec le Kitkat, le Cacolac, le Minitel, les 6 chaînes, etc.
Ce qui m’a passionné, c’était d’observer ce que c’était d’avoir 18 ans et de vouloir bouffer le monde. Je me souviens qu’on était très « définitifs » et peu nuancés. On savait ce qu’on voulait assez fermement même si ça ne nous empêchait pas de changer d’avis 6 mois plus tard ! (rires) On avait des envies de carrière ou de mariage alors que, 30 ans après, on s’aperçoit qu’on n’a pas forcément pris la direction qu’on s’était choisie.
Nos personnages sont comme ça, on dirait des boules de flipper qui se cognent contre les murs tant ils ne savent absolument pas où ils vont aujourd’hui…

Cette détermination des jeunes de l’époque contraste avec l’errance et l’angoisse de ceux d’aujourd’hui…
Jérôme : Oui et en ça, je trouve que se replonger dans une décennie pas si lointaine est intéressant aussi. Par rapport aux jeunes de maintenant, j’ai la sensation qu’on était très cucul, presque un peu nunuches !
Laurent : J’avais ressenti ça en voyant des archives des années 60 où régnait une insouciance totale ! Et aujourd’hui, j’ai l’impression que la jeune génération observe notre jeunesse à nous avec le même regard que celui que je portais sur mes parents… C’est triste car ça signifie qu’on perd peu à peu une certaine légèreté…
Laurent, vous qui avez fait une école de comédie musicale, vous êtes un chanteur à succès dans le film…
Laurent : Et bizarrement, ça ne m’a pas beaucoup aidé pour le rôle ni pour l’interprétation de mon « tube » ! (rires) Hervé – mon personnage – a une manière particulière de chanter… C’était d’ailleurs assez amusant de trouver le « truc » avec quelque chose d’un peu nasillard, un vibrato un tantinet trop large, quelque chose de variétoche avec du coffre partout, tout le temps et des petits accents musicaux latino… (rires) C’était très drôle à façonner !

Laurent a une capacité à littéralement se transformer physiquement de film en film…
Jérôme : C’est incroyable à quel point il est tout-terrain, donc travailler avec lui est un pur plaisir ! Dès l’écriture, je l’avais vraiment en tête, j’entendais sa voix et son phrasé sur les répliques, j’ai alors prié pour qu’il accepte le rôle ! (rires) J’ai réalisé que j’étais allé un peu trop loin – ce qui m’arrive souvent d’ailleurs – dans le projet et que s’il me disait non, j’allais, comme un ado (rires), être terriblement déçu au point, peut-être, de supprimer ou modifier le personnage… Quand il m’a dit oui parce qu’il était à la fois désireux et disponible (ce qui, avec son rythme de travail, n’était pas gagné…), j’ai réellement été soulagé.
C’est tout un art de donner vie à des personnages crédibles qui aient un petit trait de ridicule ou de ringardise, mais sans le surjouer pour qu’on soit avec lui, qu’on ait de l’empathie. Il fallait qu’il apparaisse comme quelqu’un qu’on aurait pu croiser, connaître ou aller applaudir dans les tournées dédiées aux années 80 ou 90. Ce qui est merveilleux avec Laurent, c’est qu’on n’a pas besoin de lui expliquer. Je pense qu’il est tellement habitué à tourner qu’il arrive à s’installer dans la tête du réalisateur pour comprendre ce qu’il attend. C’est si confortable de ne rien avoir à dire et de laisser un comédien faire exister le personnage qu’on a imaginé…
Laurent : De mon côté, c’était surtout agréable de ne rien avoir à faire parce que c’était bien écrit. Dans ces cas-là, ça ne demande pas d’effort particulier, il faut juste être « premier degré » et jouer les situations le plus sincèrement possible. Mais c’est uniquement quand le scénario et les dialogues sont aboutis qu’on peut procéder comme ça… Plus c’est bien préparé, plus c’est facile et meilleur on est. Là, le personnage d’Hervé est tellement drôle, très caractérisé mais jamais caricatural, très nuancé, attachant, ridicule, pathétique et bouleversant, que je n’avais qu’à l’accueillir et le défendre.
À force de passer de rôle en rôle, où puise-t-on l’envie d’aller dans la peau suivante ? C’est une curiosité permanente ?
Laurent : Pour ma part, oui… Je peux passer des heures à regarder les gens marcher, boire un café, se parler et puis il y a un désir de se renouveler, de ne jamais être dans la répétition. J’ai un défaut qui peut parfois devenir une qualité, c’est que je m’ennuie très très vite. Donc j’ai tout le temps besoin de mouvement, de renouveau et je suis toujours, comme beaucoup d’acteurs je crois, avide du personnage que je n’ai jamais joué, qui va me mettre dans une zone d’inconfort.
Je ne suis pas suicidaire, je ne vais pas accepter un rôle pour lequel je ne me sens vraiment pas apte, mais en tout cas, ce que j’attends à chaque fois, c’est qu’un personnage me déplace à un endroit que je ne connais pas. Et puis, ce n’est pas une démarche volontaire mais, forcément, au bout d’un moment, chaque rôle m’apprend des choses sur moi…
Jérôme : J’adore, quand je suis en tournée et dans le TGV, écouter les gens. J’essaye de me concentrer pour travailler mais c’est plus fort que moi, j’observe ceux qui m’entourent, je m’imagine leurs vies, leurs caractères… L’autre jour, il y avait plusieurs couples et l’une des femmes semblait tétaniser tout le monde ! (rires) On sentait que c’était la leader, voire la tortionnaire du groupe ! Je trouve ça passionnant car ça nourrit inconsciemment l’écriture…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Negresco de Nice pendant le festival Cinéroman pour Le Mensuel / Photo Dorian Prost – Studio Canal
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