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INTERVIEW

Grégori Baquet en interview

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Après avoir foulé plus de 600 fois les planches avec Adieu Monsieur Haffmann, Grégori Baquet a poursuivi sa route théâtrale en se voyant offrir un rôle dont rêvent la plupart de ses confrères : Hamlet… En compagnie de dix autres comédiens et de trois techniciens, ce fervent défenseur du théâtre – que beaucoup ont entre autres découvert grâce à la série Extrême limite ou la comédie musicale à succès Roméo et Juliette – permet au célèbre personnage classique de retrouver une personnalité que les diverses traductions avaient jusqu’à présent eu tendance à édulcorer. Curieux, passionné, perfectionniste et fougueux,  Grégori Baquet, qui a préféré s’éloigner des plateaux de tournage pour se consacrer aux arts vivants, semble, entre inacarnation, écriture, mise en scène et production, planer à mille lieues de toute lassitude…

 


« Avoir la chance de savoir à quoi on sert, ça n’a pas de prix… »


MORGANE LAS DIT PEISSON : La tournée est un plaisir particulier…

GRÉGORI BAQUET : Le théâtre dans l’absolu et la tournée en particulier sont les deux facettes que je préfère dans le métier de comédien car ce que j’aime plus que tout, c’est rencontrer les êtres humains… Indépendamment de la technique du théâtre qui permet de jouer un rôle dans son entièreté en une seule fois et de reprendre chaque soir son ouvrage dans l’espoir de l’améliorer, j’adore aller de ville en ville avec des pièces ! Ça fait plus de trente ans que je pars en tournée et ça me permet de voir chaque année la France changer, évoluer et se transformer… C’est passionnant !

Tu aurais presque pu te lancer en politique…

J’ai donné des cours à des politiciens ! (rires) Ils ont en effet besoin, comme les comédiens, d’apprendre à se tenir, à parler, à capter l’attention, à préserver leur voix… C’est vrai que nos activités ont parfois quelques ressemblances mais on fait, sur scène, quelque chose de beaucoup moins compliqué, avec moins de conséquences…

Le théâtre a conservé une fibre artisanale…

C’est véritablement comme ça que je vois le théâtre, c’est un travail d’ébéniste… On me donne une matière brute – le texte – que je vais travailler et peaufiner avec un metteur en scène et c’est une fois qu’on a l’ébauche du projet, que sur scène, chaque comédien va tailler son propre rôle. Ça peut faire un peu cliché mais c’est vraiment la raison pour laquelle toutes les représentations, au théâtre, sont différentes. Et plus on est nombreux sur scène, comme c’est le cas avec Hamlet, plus ça bouge ! La télé et le cinéma m’amusent moins parce qu’en toute honnêteté, il faut beaucoup attendre et je suis un éternel impatient ! (rires) J’ai besoin d’être actif tout le temps alors arriver à 8 heures sur un plateau pour commencer à tourner à 14h et ne dire et redire parfois qu’une phrase, c’est compliqué ! (rires) On y gagne mieux sa vie mais ça ne m’a pas pour autant détourné du théâtre…

Un Hamlet moderne et plus cru…

Oui et non… En réalité, en France, on a connu Shakespeare à travers des traductions hyper romantiques du 19ème où étaient bannies toutes les grossièretés. Camilla Barnes et Xavier Lemaire, pour notre Hamlet, sont quant à eux revenus à la version anglaise d’origine et se sont aperçus qu’il y avait énormément de gros mots et de doubles sens donc Hamlet n’est pas le héros romantique qu’on nous a toujours joué. C’est une tragi-comédie avec un jeune homme pur et révolté, c’est le graal pour un comédien de l’interpréter alors je suis fier et heureux de le défendre sur scène. Je l’ai joué plus de 80 fois mais il est tellement riche comme personnage, que je continue à le découvrir chaque jour… C’est un rôle puissant tant psychologiquement que physiquement et je peux dire qu’il est mon « partenaire minceur » puisque le premier mois, il m’a fait perdre six kilos ! (rires)

Tu explores le théâtre sous tous les angles…

Je fais également de la mise en scène, j’écris, j’ai commencé à me lancer dans la production et j’ai monté une compagnie pour créer mes propres spectacles… Je rêve d’avoir un jour les moyens de créer une troupe à résidence et salarier une dizaine de comédiens mais de nos jours, c’est devenu quasiment impossible…  

C’est compliqué de « rester » artiste en s’occupant du reste ?

Pour moi c’est très simple, je suis schizophrène donc ça règle tous les problèmes ! (rires) Je rigole mais il y a un peu de ça ! J’ai développé une capacité à tout ranger dans des cases à l’intérieur de mon cerveau et quand je suis sur scène, je ne pense plus qu’à jouer ! J’oublie les questions économiques et logistiques et je redeviens instantanément un comédien. Ce qui m’y aide, dans le cas par exemple d’On ne voyait que le bonheur que je produis, c’est que même s’il ne marchait pas, il ne me mettrait pas, financièrement, sur la paille. J’équilibre les risques, je ne serais pas prêt à hypothéquer ma maison pour monter un spectacle alors ça me permet de ne pas être trop obnubilé et angoissé par cet aspect là quand je dois endosser le costume de mon personnage.

Surtout qu’être comédien, c’est savoir entretenir une âme d’enfant que les autres ont perdue…

Il faudrait que tout le monde puisse se permettre de la garder car je suis persuadé qu’un être humain gagnerait à rester un enfant… Coluche – mon maître absolu – disait qu’à un moment, en grandissant, on perd un truc et qu’on se transforme tout à coup en vieux con… Il avait malheureusement raison sauf que je n’ai toujours pas trouvé quand, précisément, ce phénomène  se produit ! (rires) Certains restent d’éternels enfants comme ça a pu être le cas de mon papa – comédien et musicien – qui, la veille de sa mort était encore un grand gamin de 94 ans ! (rires) J’espère que ce sera mon cas, en tous cas je travaille à garder cette part d’enfance en moi en restant curieux des choses et des gens…

Plus qu’un métier, un sacerdoce…

(rires) Il y a de ça… C’est dévorant, chronophage, ça nous fait partir pendant des semaines, ça nous fait perdre des gens qu’on aime… C’est parfois lourd de sacrifice mais je sais que c’est le but de ma vie et avoir la chance de savoir à quoi on sert, ça n’a pas de prix…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Théâtre Intercommunal Le Forum de Fréjus • Photos droits réservés

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Interview parue dans les éditions n°402 #1, #2, #3 et #4 du mois d’avril 2019

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