INTERVIEW

Bruno Solo en interview pour Les Molières

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À l’affiche en ce moment d’une comédie amèrement réaliste – Baby – qui nous plonge dans une Amérique à deux vitesses et donc à deux visages, Bruno Solo incarne un mari dans un couple qui a tout pour être heureux… Ils sont riches et ils s’aiment mais ne peuvent pas avoir ce bébé qu’ils désirent tant… En face, un couple qui s’adore également mais qui n’a pas les moyens de garder le cinquième enfant à venir… À travers ces deux histoires intimes, c’est celle de nos sociétés consuméristes, racistes, violentes et finalement si humaines que l’on découvre. Une pièce une fois de plus différente des précédentes et très certainement des prochaines à venir où cet amoureux du jeu, du labeur et de la recherche apparaît si animal, juste et émouvant que le « métier » n’a pas eu d’autre choix que de reconnaître son savoir-faire en le nommant pour Les Molières.

 

BRUNO SOLO dans « BABY » à Paris jusqu’au 13 mai nommé pour le Molière du Comédien dans un second rôle de la « 30ème NUIT DES MOLIÈRES » en direct de la Salle Pleyel de Paris sur France 2 le 28 mai

 


« Je fais en sorte de ne pas « jouer » mais de « devenir »… »


Morgane Las Dit Peisson : On te voit régulièrement au théâtre dans des registres très différents… 

Bruno Solo : C’est vrai qu’on peut difficilement comparer L’heureux élu à Inconnu à cette adresse ou L’ouest solitaire à Tilt ! (rires) Dans cette dernière, par exemple, j’étais plongé dans la folie surréaliste de Sébastien Thiéry pour y incarner à la fois le mari d’une chouette et la mère de l’auteur ! (rires) Comme ça, ça semble n’avoir ni queue ni tête mais je passais d’un rôle à l’autre avec une sorte de cohérence inhérente à cette écriture tout aussi dingue que poétique… C’est un de mes plus beaux souvenirs de théâtre ! 

Varier les plaisirs, c’est vivre plein de vies différentes…

Il y a énormément de ça dans l’envie de faire ce métier… Devenir comédien, c’est s’offrir l’opportunité merveilleuse de pouvoir vivre d’autres vies, de pouvoir passer d’un personnage monstrueux à un poète, d’une femme à un homme, d’un naïf à un cynique, d’un chauffeur de taxi à un clown ! Tout ce qui est imaginable devient possible quand on joue alors, tant qu’on m’offre la possibilité d’être tout cela, tant qu’on me le propose et tant que je m’en sens capable,  je ne m’interdis rien… Je me sens libre d’aller où je veux, de passer d’un Feydeau à un Éric Assous et c’est exactement ce dont j’ai rêvé quand j’étais un tout jeune débutant. Tant que ce rêve continuera à se réaliser, je ne ferai rien pour le contrecarrer ! (rires)

Un appétit de vivre qui ne signifie pas pour autant que ta propre vie ne te convient pas…

Je crois que cette gourmandise est quelque chose que l’on a tous en nous même si chez moi, elle tend, c’est vrai, vers une certaine goinfrerie ! (rires) J’ai envie de goûter à tout, j’ai développé une curiosité insatiable et c’est, je crois, la seule qualité que l’on puisse revendiquer soi-même… À ce sujet, je conseille vivement à tout le monde de lire Un homme sans qualités de Robert Musil ! J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui participait à ma soif de connaître, de tester, de chercher, de questionner, de prospecter, de me balader, de flâner et ça, je ne m’en départirai jamais même si demain, on m’empêchait de jouer sous prétexte que je suis devenu dépassé, obsolète ou trop vieux ! Je crois et j’espère que j’aurai éternellement en moi cette curiosité là car, c’est elle qui a fait naître cette passion dévorante que j’ai pour mon métier…

Te voir avant de monter sur scène offre un regard différent sur toi…

Quand je joue, je suis dans un état quasiment second et je fais partie de ceux qui ont besoin d’être complètement concentrés pour aller sur scène… Quand je deviens le personnage, il faut absolument que rien ne puisse venir me perturber et me faire sortir de mon rôle. L’unique chose qui m’importe quand le rideau s’ouvre, c’est d’être au service de cet être que j’incarne. Si mon corps à moi vient à souffrir d’une démangeaison ou d’une douleur pendant une représentation, elle devient celle de mon personnage et elle doit vivre en lui, pas en moi… Je fais en sorte de ne pas « jouer » mais de « devenir » et tout ce à quoi j’aspire, c’est que le public ne me voie plus moi, Bruno Solo, quand je suis sur scène mais qu’il s’attache à Jeff dans L’heureux élu ou à Richard dans Baby. Une fois, dans L’ouest solitaire, des amis ne m’ont pas reconnu tout de suite sur scène et ça, c’est la plus belle récompense qu’ils pouvaient m’offrir !

« Devenir » ne passe pas que par l’apprentissage du texte…

Les gens sont souvent impressionnés par la mémoire mais ce n’est en effet qu’une petite partie du processus… Le travail corporel, la respiration et la gestuelle sont fondamentaux. On intègre d’abord le texte puis on s’en défait pour passer à un apprentissage avec les pieds. Répéter les déplacements et les actions est primordial car ça permet de rendre charnels tous les mots que l’on prononce, de les incarner sans les réciter. On perd très peu la mémoire sur scène si on a bien respecté chaque regard et chaque déplacement…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à Cannes pour « L’heureux élu » • Photos Sindbad Bonfanti


Interview parue dans les éditions n°392 #1, #2 et #3 du mois de mai 2018

 

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