CINÉMA

Roschdy Zem en interview pour la pièce « Une journée particulière » et le film « Vivants »

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« Ce métier, paradoxalement, m’a rendu humble… » Roschdy Zem

 

 

Bientôt 50 ans après sa sortie dans les salles obscures, le film d’Ettore ScolaUna giornata particolare – reprend vie sur les planches dans une adaptation théâtrale mise en scène par Lilo Baur et portée par Laetitia Casta et Roschdy Zem. Malgré des carrières denses et des projets couronnés de succès, les deux comédiens, modestes face à ce chef d’œuvre et aux deux immensités qui l’ont incarné au cinéma (Sophia Loren et Marcello Mastroianni), se sont jetés corps et âmes dans les personnages d’Antonietta et Gabriele. Ce dernier, campé par l’acteur et réalisateur dont le nombre de films tournés donnerait presque le tournis (au moins 80 longs-métrages à son actif !), a gagné en sensibilité et en luminosité. Journaliste homosexuel risquant la déportation dans une Italie dominée par le fascisme, le destin de ce personnage donne malheureusement encore à réfléchir aujourd’hui et c’est une des raisons pour lesquelles Roschdy Zem a désiré l’incarner. Les deux pieds dans la société actuelle et animé par une volonté féroce de la représenter sans compromis, le comédien ne choisit aucun rôle par hasard. Preuve en est avec un des films dans lesquels on le retrouvera dans les mois à venir, Vivants d’Alix Delaporte, où il campera le rédac’ chef d’une équipe de reporters spécialisés dans le journalisme de terrain. Brossant un portrait de ce métier qui s’est peu à peu perdu, ce long-métrage (à découvrir dès le 14 février prochain) dresse un état des lieux peu reluisant, voire inquiétant, de nos nouveaux supports d’information…

 

 


 

 

Roschdy Zem en interview pour la pièce Une journée particulière et le film Vivants

interview / théâtre / cinéma

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : On va vous retrouver sur les routes au Théâtre National de Nice, à Toulon et à Aix-en-Provence avec la pièce Une journée particulière… Rencontrer tous ces publics doit être assez excitant…

Roschdy Zem : Oui et peut-être encore plus pour quelqu’un qui, comme moi, vient plutôt du cinéma. J’adore tourner évidemment mais la caméra n’offre pas cette possibilité-là d’aller à la rencontre du public, en chair et en os. Parfois, on a la joie de faire des tournées d’avant-premières mais ce n’est pas comme se présenter chaque soir sur scène avec un spectacle dont le message est si fort qu’il fait encore écho aujourd’hui… Alors oui aller de ville en ville – comme ça va être le cas à Nice, Toulon et Aix notamment -, ça a une saveur particulière parce qu’on sait qu’on va être confronté à un public qui ne sera pas indifférent au message colporté par le texte d’Ettore Scola.

Le plus effrayant dans tout ça, c’est que ces messages nous parlent encore. Ça signifie que le temps a passé mais qu’il y a encore des combats à mener… On voit dans votre carrière que chaque projet est le fruit d’un choix mûrement réfléchi, ça a sûrement été également le cas pour Une journée particulière

C’est vrai que je n’ai jamais choisi à la légère les films ou les pièces que j’allais jouer. Pour Une journée particulière, j’ai bien sûr été séduit par la puissance des propos mais j’ai également été très étonné qu’on me propose ce rôle. Quand on parle d’interpréter un artiste homosexuel qui va bientôt être déporté dans les années 30, je ne suis pas sûr qu’en règle générale ce soit mon nom qui arrive tout de suite à l’esprit. Donc j’ai été agréablement surpris et intrigué par cette idée qu’ont eue les productrices (Valérie Six et Claire Béjanin) de m’imaginer sous les traits de Gabriele mais aussi que ce soit validé par Lilo Baur, la metteure en scène. 

En toute honnêteté, ça m’a flatté parce que c’est exactement la direction vers laquelle j’ai de plus en plus envie d’aller en campant des personnages beaucoup plus vulnérables. Ça me parle et ça m’intéresse parce qu’on a souvent pensé à moi pour des rôles plus solides, plus durs ou plus rassurants.

 

« Jouer cet homme, ça me bouleverse… » Roschdy Zem

 

Jouer cet homme dont le temps est compté et qui va faire une rencontre qui va aussi bien troubler sa vie à lui que celle de cette femme, ça me bouleverse ! C’est exactement l’état d’esprit dans lequel je suis, à savoir qu’on peut tout régler, arranger ou en tout cas assainir par l’échange. Ces deux personnes que tout oppose vont justement apprendre à s’aimer et à se respecter grâce au dialogue.

C’est intéressant de constater qu’à chaque fois qu’un fait comme celui-ci se produit – je n’irais malheureusement pas jusqu’à dire qu’on peut faire changer d’avis quelqu’un qui a des idées radicales avec un simple dialogue -, personne n’en ressort indifférent. Et c’est ce que raconte cette pièce. Dès qu’on s’entretient, qu’on communique et qu’on échange, il y a cette part d’humanité en nous qui renaît et qui donne de l’espoir.

 

 

« Il y a de la virtuosité dans cette rencontre ! » Roschdy Zem

 

Ces deux personnages ne se voyaient pas et grâce à l’évasion de son oiseau, Antonietta va regarder Gabriele. Ensemble, ils vont à leur tour s’octroyer un peu de liberté pendant quelques heures et se rencontrer vraiment…  

Le texte est d’une grande intelligence. Honnêtement, avec Laetitia, on découvre encore chaque soir des finesses, des métaphores et des références. C’est comme s’il y avait des galeries inexplorées à l’intérieur de chaque réplique ! Il y a de la virtuosité dans cette rencontre improbable provoquée par cet oiseau empreint de liberté.

Et puis il y a en effet ce regard qui tout à coup s’impose et devient évident. Antonietta a énormément de préjugés sur ceux que les fascistes appelaient les « défaitistes » (qui ne pensaient pas comme le parti national) mais Gabriele n’est pas mieux au début de la pièce, lorsqu’il fait preuve de snobisme face à cette femme populaire et soumise. 

C’est ça qui est intéressant, c’est que l’échange soit véritable et qu’il aille jusqu’à changer le regard de cet homme sur ces gens qui ont basculé dans le fascisme par ignorance, par faiblesse ou par peur. C’est exactement ce qu’on observe aujourd’hui quand certains se réfugient dans des extrêmes… Le texte de Scola est passionnant et me saisit parce qu’on s’aperçoit que les mêmes outils sont encore utilisés de nos jours et qu’ils ont les mêmes conséquences.

 

« Il m’est essentiel d’aller vers ce genre de rôle, de quête… » Roschdy Zem

 

Le théâtre c’est de l’artisanat, c’est remettre son titre en jeu, c’est essayer de se surpasser chaque soir, c’est avoir le sens du détail…  

C’est un peu aussi la seule façon que j’ai trouvée d’entretenir la flamme. J’ai une chance incroyable d’être sollicité mais on peut très vite – si on n’est pas vigilant, si on n’est pas alerte ou si on est mal entouré -, s’installer dans sa zone de confort et éviter d’explorer ce qui pourrait exiger un peu plus de rigueur.

Or, j’ai le sentiment que pour ne pas tomber dans ces travers, il m’est essentiel d’aller vers ce genre de rôle, de quête et de réflexion qui forcent à l’introspection. Ça permet de découvrir des choses chez vous en tant qu’homme – je ne parle même plus en tant qu’acteur – que vous ignoriez et ça, c’est fascinant. J’ai ce plaisir d’explorer tout ça à titre personnel et de pouvoir le restituer à travers un texte et un personnage. Je crois que c’est comme ça que je trouve ma vérité…

 

 

« J’essaye de rester ouvert à tout… » Roschdy Zem

 

Vous avez incarné tous types de rôles, du gangster à l’avocat en passant par l’amoureux ou le père de famille protecteur et y compris dans vos six réalisations, on découvre des thématiques et des esthétiques différentes. C’est une curiosité sans faille qui vous anime ? 

Sans faille je ne sais pas… (rires) Mais une curiosité, oui, certainement… J’essaye de rester ouvert à tout car tout peut être captivant. Ce métier, paradoxalement, m’a rendu humble. Ça permet d’explorer les choses modestement tout en m’autorisant l’erreur. Je pense en effet qu’on fait un métier où, que ce soit dans la réalisation et encore plus dans l’interprétation, tout est perfectible.

C’est à dire que vous ne pouvez pas faire un film ou interpréter un personnage en disant « Les gars, là franchement, je ne vois pas ce qu’on peut faire de mieux » ! (rires) La perfection n’existe pas. C’est à la fois terrifiant et extrêmement grisant parce que c’est une quête perpétuelle. On essaie de flirter avec le chef d’œuvre sans réellement y parvenir. Mais c’est cette ambition-là qui fait l’essence même des projets dans lesquels je me trouve. Le fait même tout simplement « d’essayer » donne une matière organique au travail et c’est ce qui, il me semble, est intéressant.

 

« Le théâtre est passionnant ! » Roschdy Zem

 

Mais évidemment, que ce soient les films que j’ai réalisés ou les rôles que j’ai pu interpréter, si on me donnait à les refaire, je les ferais différemment et c’est en ça que le théâtre est passionnant. C’est clair que la représentation de la veille ne ressemble pas à celle du soir ou du lendemain et c’est là toute la magie du théâtre.

C’est le seul endroit qui permet d’explorer cet aspect-là du travail. C’est particulièrement flagrant avec la pièce Une journée particulière et c’est pour ça que j’ai le plus grand respect pour Ettore Scola. Tous les soirs avec Laetitia on s’amuse de tous les tiroirs que renferme la pièce et on se rend compte qu’on n’aura pas fini de l’explorer le jour où l’on arrêtera de la jouer…

 

 

Une pièce adaptée avec respect et fidélité au film d’origine qui était parfait pour les planches… 

Quand j’ai vu le film, j’étais en effet persuadé qu’il était lui-même adapté d’une pièce avec ses unités de lieu, de temps et d’action. C’est très étrange… Comme si Ettore Scola l’avait à l’origine pensé comme une pièce avant de se lancer dans le tournage. Tout ne tourne qu’autour de cet immeuble et de ces deux personnages au point que même la foule, le monde et l’Italie n’existent qu’à travers le son ambiant et le regard des deux personnages. Cette histoire était déjà taillée pour la scène !  

Vous qui êtes habitué à façonner de toute pièce des personnages, vous avez évité de regarder le film avec Marcello Mastroianni afin que son jeu et sa musicalité ne vous influencent pas ? 

Non au contraire j’étais curieux de le revoir… Malgré l’interdiction ! (rires) Notre metteure en scène nous a déconseillé de regarder le film mais je n’ai pas pu m’en empêcher… Peut-être parce que c’était « interdit » ! (rires) Sérieusement, j’ai la faculté de pouvoir me détacher complètement de ce que je peux voir et de regarder un film comme un simple spectateur. Et puis, honnêtement, c’était facile de ne pas reproduire ce que proposait Mastroianni tant il est impossible de rivaliser avec lui. Je n’ai ni son élégance ni sa classe donc même inconsciemment, je savais pertinemment que j’allais faire une autre proposition en me servant de l’homme que je suis aujourd’hui en 2024. De toute façon, s’il y avait eu une comparaison, j’en aurais souffert… Laetitia et moi, on est deux acteurs, deux artisans. Sophia Loren et Marcello Mastroianni sont des légendes donc on les a regardés avec beaucoup d’admiration puis on a retroussé nos manches, on a travaillé et on a fait des propositions en fonction de nos parcours et de nos singularités.

 

 

Vous semblez apporter à Gabriele une tendresse et une douceur qui le rendent moins sombre… 

Je me suis accroché à un aspect du personnage… Sans spoiler, ça commence de façon assez dark et ensuite, il n’a plus qu’une obsession : il se demande en permanence pourquoi on ne rit pas alors qu’on en a encore le droit. Fort de cet aspect-là du personnage, je lui ai construit un caractère plus lumineux. Je l’ai imaginé comme s’il était en stade terminal et que, n’ayant plus qu’1h30 à vivre, il décide de la vivre à fond ! C’est vraiment mon leitmotiv pour l’interpréter, c’est de ça dont je m’inspire pour l’incarner. Il m’a semblé que c’était intéressant de lui apporter cette couleur-là…

 

 

Parmi tous les films à venir où l’on vous retrouvera, Vivants d’Alix Delaporte sortira au cinéma le 14 février. Vous y êtes le rédac chef d’une équipe de journalistes de terrain en proie aux restrictions budgétaires, aux changements de mentalités et à l’info racoleuse… Plus que jouer, vous semblez incarner pour défendre, dénoncer, représenter…

Jouer c’est aussi laisser une trace… On est rentré dans une ère où, avec les médias surtout, on sent qu’il y a un changement de paradigme. On a maintenant tellement de supports à travers différentes plateformes qui proposent du rêve, du bien-être et de l’aventure que raconter la réalité – comme le proposaient les agences de presse telles que celle que l’on retrouve dans le film – ça n’intéresse plus personne. 

 

« Le film Vivants met en scène la fin d’une époque… » Roschdy Zem

 

L’actualité dans sa forme originelle n’est plus quelque chose de vendeur, sauf si on la propose dans un format un peu original ou racontée en trois minutes… C’est du consommable et c’est entre autres ce que raconte ce film. Il met en scène la fin d’une époque où l’on donnait des caméras à des aventuriers comme pouvait l’être Patrick Chauvel et ils allaient en Irak ou en Palestine où ça pétait de tous les côtés.

 

 

Ça, ça n’existe quasiment plus. D’ailleurs, on le voit aujourd’hui dans le conflit israélo-palestinien où les caméras sont totalement interdites et où pas un journaliste n’a d’accès sur le terrain à Gaza. C’est la fin d’une information. Aujourd’hui, et c’est intéressant parce que ça nous renvoie à la pièce, elle est transmise, rédigée et expliquée par la force en présence. Ce n’est généralement plus un journaliste qui part avec un regard objectif et factuel sur la situation. Ça, c’est quelque chose qui se perd. 

On est là pour matrixer une population donc on décide des images et de l’information qu’on lui donne afin de la faire adhérer à une idéologie, un parti etc.

Le film raconte ça, raconte que seuls aujourd’hui des reportages sur des choses beaucoup plus légères et vendeuses attirent ou alors il faut du sensationnel… Et puis on est rentré aussi dans l’ère de l’info en continu qui a pour principal travers d’être en continu ! Que raconter 24/24 et 7/7 quand il n’y a plus rien à dire ? (rires) On suppute, on analyse et on étire des faits divers qui deviennent l’info « star » avant de retomber dans l’oubli au bout de quelques jours, comme si ça n’avait jamais existé…

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos DR & Simon Gosselin / janvier 2024

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