INTERVIEW

Interview de Roberto Alagna pour Le Mensuel en 2013 – Tournée Little Italy

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Roberto Alagna

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ROBERTO ALAGNA

 

 

  
« Une passion permet de tout supporter. On n’a plus besoin de rien, elle vous nourrit totalement.

Ma passion m’apporte tout. Je n’ai besoin de rien. »

 

Ce n’est ni en Roméo, ni en Rodolfo, ni même en Don José que Roberto Alagna illuminera les scènes méditerranéennes cet été.
Désireux de ne pas s’enfermer dans la divine caste des chanteurs d’opéra, il ne s’est jamais contraint à abandonner les autres musiques qui le faisaient vibrer. Populaire dans l’âme et proche de son public comme peut-être aucun autre chanteur d’opéra ne l’avait été avant lui, le ténor, profondément attaché à ses racines, s’offrira, accompagné d’un extraordinaire Big Band, un voyage dans le temps qui devrait lui rappeler quelques beaux souvenirs de cabaret…

INTERVIEW-ROBERTO-ALAGNA-02Morgane L. : Vous passerez par Fréjus au mois d’août prochain avec la tournée « Litlle Italy »…
Roberto Alagna : Ce sera un beau spectacle avec un vrai tour de chant et un « big band » de vingt musiciens et un répertoire très large, des chansons les plus américaines aux plus françaises. C’est un hommage à tous les « Italos » du monde entier mais surtout américains et francophones.
Il y a même une chanson que j’ai composée… C’est un spectacle avec de belles lumières et ça, on n’en parle pas assez souvent, pourtant, c’est en partie ce qui fait que c’est un très beau show. La mise en espace est soignée et il y a un réel contact avec le public sans que ce soit pour autant quelque chose d’hyper calculé, on laisse une grande part à l’improvisation. Chaque soir c’est différent grâce à l’interaction avec le public. C’est ça qui est assez agréable.

« Little Italy » était un quartier…
Des « Little Italy », il y en a un peu partout. Je me souviens, quand j’étais adolescent, qu’il y en avait un aussi à Paris. Aujourd’hui, on en trouve un peu car les Italos se sont parfaitement intégrés, ils se sont confondus dans le paysage, mais lorsque je revois de vieux films, je note toujours quelque chose de très touchant car avec ma famille, on vient de là alors ça me parle énormément.

L’idée de départ, c’était donc de rendre un hommage à vos origines ?
Il n’y avait pas vraiment d’idée ni de fil conducteur. En réalité, j’avais envie de faire un spectacle, qui, comme les précédents, permette au public de me connaître davantage. Je m’y dévoile beaucoup plus qu’à l’opéra où je ne suis qu’un personnage. Dans ce tour de chant, je ne suis pas Don José mais le petit « Robertino » de l’époque, qui rêvait malgré les doutes et la déchirure d’être un enfant de l’immigration. C’est un peu tout ça qui parle et les gens qui me connaissent peuvent lire à travers le répertoire ce que j’ai envie de dévoiler.

Votre dernier album est un hommage à Verdi à l’occasion du bicentenaire de sa naissance…
Vous savez, quand on est un ténor, si on ne chante pas Verdi on n’a plus rien à faire à l’opéra ! (rires) Cette année, il y a cet anniversaire mais je chante Verdi tous les ans ! Il fait partie de mon répertoire et il n’y a pas une saison où je ne le chante depuis trente ans. Quand on parle d’Opéra, on pense d’abord à Verdi !

Tout jeune, votre passion, votre idole a été Pavarotti…
Ah oui j’aimais beaucoup ce personnage !
J’aimais sa voix qui était exceptionnelle. C’était un véritable phénomène vocal. Dans les violons il aurait été un Stradivarius, mais un Stradivarius créé par la Nature. J’ai toujours beaucoup aimé Pavarotti.

On aime vraiment le classique et l’art lyrique quand on est tout petit, ou apprend-on à l’aimer au fil du temps ?
Moi j’ai aimé tout de suite alors je pense que ça coulait dans mes veines ! C’est une sensibilité en vérité. Une sensibilité par rapport à une belle chose. Pourquoi est-on attiré par un beau tableau ? On n’y connaît rien mais il nous plait. Pour la musique, c’est la même chose. J’étais très rêveur, romantique, l’Opéra me parlait sincèrement. J’aimais beaucoup cet ensemble, les histoires, les spectacles, la danse, les costumes… J’aimais tout ça et il y avait tout ça à l’Opéra, rendez-vous compte ! (rires) C’est un art qui arrive à tout réunir, enfin tout ce que j’aimais moi.

Lorsque l’on débute, n’a-t-on pas un peu peur de l’exigence du public ?INTERVIEW-ROBERTO-ALAGNA-03
Cette exigence, il faut l’accepter d’entrée même s’il faut garder à l’esprit que personne n’a la science infuse surtout dans un Art comme celui-ci où la voix est un miracle de chaque jour. Beaucoup de gens croient savoir parce qu’ils écoutent des disques, parce qu’ils répètent ce que disent certains critiques depuis des années, parce qu’ils lisent des bouquins et voilà ils pensent tout savoir sur l’Opéra. Mais l’Opéra est quelque chose qu’un ne peut pas dompter comme ça. C’est quelque chose qui évolue, dont l’interprétation est différente tous les jours. L’instrument évolue, quand je parle d’instrument, je parle de l’homme, le chanteur. Il est un instrumentiste et un instrument en même temps, c’est quelque chose de miraculeux.

La pression n’est-elle pas parfois trop forte ?
C’est vrai que le public est souvent exigeant et c’est pourquoi on nous appelle Diva ou des Divo, car ça touche au divin. On a l’impression que les chanteurs d’opéra sont de supers héros qui ne peuvent jamais défaillir ! Et dès qu’il y a un petit quelque chose, ça devient tout de suite une sorte de mini scandale alors que ce sont des choses normales et indépendantes de la volonté de l’artiste comme lorsqu’un artiste « accroche » une note. On s’empresse de dire qu’il est fini alors qu’en réalité, il s’agit tout simplement d’une goutte de sueur qui s’est mise entre les cordes vocales. Mais ça devient tout de suite une catastrophe inter planétaire ! (rires) En même temps, c’est peut être ça aussi qui contribue à la magie de cet art…

Et ça ne fait pas peur quand on est tout jeune ?
Si mais ça fait peur également quand on est plus vieux. Au début, on est moins connu alors on y va avec l’inconscience de la jeunesse. Mais lorsque l’on commence à être vraiment reconnu et que l’on atteint un certain niveau, les gens vous pardonnent de moins en moins. Les gens ne comprennent pas qu’un chanteur d’opéra puisse vieillir autant qu’eux, comme tout le reste de l’humanité. Ils voudraient que le Ténor soit immuable et conserve à vie sa voix. Mais elle évolue avec le temps et devient souvent même plus belle en gagnant en maturité. Il y a la souffrance de la vie qui se rajoute, il y a l’expérience et ça la rend encore plus profonde, plus émouvante, plus touchante. Lorsque l’on écoute les enregistrements de Caruso à ses débuts, en 1903, c’était superbe, mais en entendant les derniers, on découvre une sorte de râle dans la voix, un léger souffle, on INTERVIEW-ROBERTO-ALAGNA-04perçoit la souffrance de ce type presque malade, et là, ça devient beau à pleurer ! Je pense sincèrement qu’il faut respecter ça.

Ténor, ça véhicule une image assez lointaine, intouchable, insaisissable, un peu austère. Vous n’avez pas eu peur de casser ça en visitant des répertoires plus populaires ?
Je ne me suis jamais soucié de ça en fait. J’ai commencé à chanter il y a trente ans et à l’époque le chanteur d’opéra avait une autre dimension. On allait aux répétitions en costume-cravate et moi je venais en jeans ! J’arrivais du cabaret et on me regardait un peu comme un zombie ! (rires) Il a fallu s’imposer, séduire, convaincre, ça a été un boulot monstre ! Ça a été dur. Au début on disait de moi que je venais de nulle part, que j’étais autodidacte et que je ne pouvais pas être bon. J’ai dû lutter contre ça et la critique ne m’a pas épargné… Ça a peut-être été bénéfique, ça a dû m’obliger à me botter les fesses moi-même pour me dépasser et atteindre cette inaccessible étoile. Quelque part, j’ai réussi, grâce à cette attitude, à être très proche du public et accessible.

C’est le plus beau des cadeaux, c’est de faire cette carrière tout en étant populaire ?
Le vrai cadeau est de pouvoir continuer à faire ça après trente ans de carrière, avoir la chance de le faire encore, de conserver la possibilité vocale, physique et d’avoir la santé. Souvent avec l’âge on commence à être malade et avoir des problèmes. J’ai vraiment beaucoup de chance parce que, même si ma vie a souvent été difficile et a connu de dures épreuves, l’opéra m’a aidé à les surmonter. Une passion permet de tout supporter. On n’a plus besoin de rien, elle vous nourrit totalement. Ma passion m’apporte tout. Je n’ai pas besoin d’une belle voiture, de sortir ou de faire la fête. Je n’ai besoin de rien.



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°338 de Juin 2013

Dates de tournée ici

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