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Grégori Baquet en interview pour la pièce « L’hirondelle » et le « Collectif Occupation des Théâtres 40 »

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S’il a voyagé à travers quasiment tous les registres artistiques, de la comédie musicale à la série télé, c’est au théâtre que Grégori Baquet a choisi de consacrer la majeure partie de son talent et de sa vie. Amoureux fou de l’incarnation, fervent défenseur du travail et passionné par la transmission du savoir, il lui était inconcevable de rester les bras ballants face à l’insoutenable injustice dont son métier fait les frais depuis plus d’un an… Actif au sein d’un des mouvements d’occupation des théâtres, le comédien, certes, manifeste pour faire entendre ses idées mais s’adonne surtout à ce en quoi il croît le plus pour changer durablement les choses : l’échange…


 

✊ Grégori Baquet, « Collectif Occupation des Théâtres 40 »

🎭 En préparation de la pièce « La Golondrina » (« L’hirondelle ») avec Carmen Maura prévue au Théâtre Hebertot à Paris en janvier 2022

📺 Pièce « On ne voyait que le bonheur » disponible en replay sur france.tv

📺 Pièce « Adieu Monsieur Haffmann » disponible en replay sur france.tv

 


« J’ai choisi que tout ce qui m’arrive devienne une force ! »


 

Morgane Las Dit Peisson : Les salles sont fermées depuis la rentrée…

Grégori Baquet : Mais les supermarchés sont ouverts… D’autres pays, qui sont dans le même cas que nous, ont décidé de rouvrir les salles voire, comme l’Espagne, de ne jamais les fermer… Depuis le début de la crise, je fais partie de ceux qui comprennent que la position de l’État est compliquée, que c’est normal qu’il ne sache pas tout mais là, j’ai malheureusement l’impression d’être face à des incompétents ou des cyniques ! Mais dans un cas comme dans l’autre, la situation est catastrophique ! La saison est morte donc même en rouvrant maintenant, ça ne sera que de la « bidouille » et on va se retrouver avec un monstrueux embouteillage de spectacles à la rentrée !

 

Avec des spectateurs à séduire à nouveau…

Il ne faut pas se leurrer, on va en perdre… Assister à un spectacle, particulièrement en région, ça exige un engagement, une organisation, une véritable volonté de la part du public. Il faut s’informer, réserver, se déplacer, payer une nounou, un péage, un parking et donc ça restera toujours plus simple et confortable d’allumer sa télé ! Je ne le critique pas, loin de là, mais je regrette que sachant ça, le gouvernement ait tout de même décidé de déshabituer les gens à faire cet effort-là. Tout ce dont le capitalisme rêve depuis des années est devenu réalité : on ne bouge plus, on ne fait pas de vague, on réfléchit moins mais surtout, on consomme… Le milieu culturel va en pâtir, je suis malheureusement convaincu que rien ne sera plus totalement comme avant…

On peut craindre un appauvrissement théâtral en région…

C’est quelque chose que je pensais jusqu’à ce je vienne vivre ici dans les Landes. Il y a 15 compagnies qui travaillent, qui proposent des spectacles à 8 ou 10 comédiens et qui vivent de leur métier. Il n’y a pas de pub, pas de gens connus, pas de grosses productions, juste des artistes qui se produisent devant des spectateurs ravis de voir des pièces de qualité à un prix tout à fait raisonnable. En fait, la question à se poser c’est : pourquoi fait-on ce métier ? C’est ce que j’enseigne dans les ateliers pédagogiques et les master class… Il faut savoir si on veut être connu ou si on veut jouer la comédie… Un acteur peut jouer n’importe où s’il le désire vraiment mais, si son ambition est d’être une star sur TF1, ce sera non pas plus qualitatif, mais bien plus sélectif. Je ne juge pas, je dis juste que c’est un choix… J’ai connu les grosses productions et si tu y prends trop goût, ça peut devenir compliqué d’en sortir. Si tu as un appartement qui te coûte 4000 € par mois, deux bagnoles et trois pensions alimentaires et que tu as le « malheur » d’être médiatisé, tu te retrouves pieds et poings liés à devoir jouer des pièces qui ne te passionnent peut-être pas mais qui te rapportent. Ça a été mon train de vie à une époque mais j’ai fait le choix de m’extraire de ce cycle, de m’installer à la campagne, de vivre de mon métier et de revenir de temps en temps à Paris pour des projets qui valent le déplacement. Je passe mon temps à écrire, à jouer mais aussi à transmettre et ça, c’est un véritable aboutissement ! Je prône les petites villes mais quand je fais ça, on me prend pour un bouseux… (rires) En tous cas, je m’y sens bien, plus calme et plus épanoui…

Grégori Baquet en interview

Les petits théâtres ont prouvé, de juillet à octobre dernier, qu’ils pouvaient être prudents tout en acceptant de sacrifier une partie de leurs recettes en appliquant la distanciation…

Ne pas monter sur scène, savoir qu’on n’en a pas le droit est un crève-cœur mais, si ça avait suffi à éradiquer l’épidémie, je n’aurais pas discuté. Par contre, je ne peux pas admettre cette absence de logique ou pire, cette logique atroce qui se dessine… Pourquoi laisse-t-on des gens s’entasser dans des trains et dans des rayons de supermarchés mais leur interdit-on l’accès aux théâtres, aux cinémas, aux restaurants, aux écoles et aux musées ? La seule explication logique à tout ça me fait froid dans le dos… Nos dirigeants ne sont pas si idiots que ça, ils ont fait de hautes études, ce ne sont pas des débiles profonds donc je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est fait exprès… Et la seule raison que je vois à ça, c’est qu’ils essayent de nous empêcher de réfléchir, de nous réunir et d’échanger sur les questions qu’on se pose. Ils sont à la solde de grands industriels qui augmentent leur bénéfice tout en licenciant des gens ! Accroître son patrimoine de 140% dans l’année alors qu’on met des salariés sur le carreau, c’est juste aberrant ! Si on laisse faire ça sans se révolter, c’est qu’on est fatigués et abrutis… Et c’est, je crois, ce que l’État essaye de faire de nous… On reste assis devant les pubs de TF1, on dit amen aux allocutions du Président parce qu’on est prêt à tout pour retrouver notre vie d’avant et on va nous relâcher en juin pour nous mettre de bonne humeur juste avant les élections ? J’ai peut-être tort mais je ne veux pas de cette vie-là alors j’ai décidé d’agir. Pourtant, au début, ça n’a pas été facile pour moi qui suis plutôt pacifiste et partisan de l’échange…

L’infantilisation et la surinformation…

Je suis désolé d’être un peu cash mais je crois que 100 000 morts, ce n’est rien… Chaque année, on ne sauve pas les 300 000 morts du cancer ni les 100 000 personnes qui décèdent à cause du tabac ou de l’alcool… Si on voulait vraiment protéger le citoyen, on le ferait ! On se sert d’un épiphénomène pour propager la peur et nous rendre dociles. Je ne dis pas que le Covid n’est pas grave, je dis qu’il n’est pas le seul virus capable de tuer et on n’a jamais enfermé les gens pour autant… Ils en profitent pour nous faire passer des lois parmi lesquelles la plus importante à mes yeux, la loi Climat ! On peut tout faire pour sauver l’Humain mais si on ne s’attèle pas à sauver d’abord la planète sur laquelle il vit, ça ne servira pas à grand-chose sur le long terme. Je ne comprends pas que ça ne soit pas la priorité de tout le monde ! C’est toujours triste pour une famille de voir partir un proche, même âgé, mais je préfère qu’une personne de 90 ans meurt du Covid plutôt que de voir les jeunes générations grandir en sachant qu’elles n’auront aucun avenir…

C’est désespérant de voir que ça n’avance pas dans le bon sens… À mes yeux, la seule chose à faire pour s’en sortir actuellement, c’est d’éteindre la télé et ne pas « bouffer du BFM en permanence ! Il serait important que les journaux rapportent aussi que beaucoup de gens ne meurent pas, que beaucoup de gens n’ont pas peur, que beaucoup de gens ne pensent pas au Covid toute la journée ! Les médias participent malheureusement énormément à la propagation, non pas du virus, mais de ses dommages collatéraux. Évidemment, je ne pense pas que le Covid a été inventé par l’homme pour éradiquer une partie de la population mais je pense qu’il est une aubaine pour une partie de la classe dirigeante qui « l’utilise » à son profit… La majeure partie des problèmes que l’on a sur cette Terre ne sont dus qu’à l’argent qu’une poignée de puissants se « partage » en bousillant la planète, c’est quand même dingue !

« Adieu Monsieur Haffmann » avec Grégori Baquet

La scène, dernier espace de liberté…

Je ne te le fais pas dire ! Et pendant qu’on ne peut pas s’y exprimer, les tournages de films ou de séries, eux, peuvent continuer… De là à s’imaginer qu’une forme de censure commence à pointer le bout de son nez, il n’y a qu’un pas… Après avoir eu la chance de passer par de nombreux domaines et donc de nombreux styles différents dans ce métier, que ce soit le cinéma, la télé à haute dose ou la comédie musicale, je me suis concentré sur le théâtre car effectivement, j’ai trouvé que c’était le dernier endroit où l’on pouvait tout se permettre, dire des choses aux gens en direct, sans aucune censure… C’est vivant et incontrôlable donc « dangereux » si l’on souhaite bannir certaines idées…

Tu t’étais imaginé que ça pouvait arriver ?

Oui, bien sûr… À force de lire plein d’auteurs de science-fiction comme Isaac Asimov ou George Orwell et son fameux 1984, on ne peut qu’avoir peur que la réalité dépasse la fiction ! C’est d’ailleurs assez effrayant avec 1984 car on a l’impression que nos gouvernements s’en sont servi comme d’un manuel ! Fermer des librairies et « cellophaner » les rayons de livres en supermarché, ça m’a choqué et glacé le sang !  J’ai peur que ça ne fasse que commencer, que ce qu’on vit actuellement ne soit qu’un test grandeur nature d’une future politique dictatoriale… On observe à quel moment on se révolte et surtout à quel moment on ne se révolte plus, on nous met sous cloche, on nous redonne une mini liberté puis on nous renferme…

 

Malgré tout, tu n’es pas pessimiste…

Bizarrement non ! (rires) Je suis en colère et révolté mais je ne suis pas résigné car je reste persuadé que rien n’est encore perdu ! Je crois en la prise de conscience et surtout au fait qu’il n’en tient qu’à nous de changer les choses. Les vrais décideurs, c’est nous et on pourra faire bouger beaucoup de lignes rien que par nos modes de consommation. Coluche disait « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne vende pas ! » et il avait pleinement raison ! Le jour où on arrêtera de donner nos bulletins de vote à des mecs qui se foutent royalement de ce qui peut nous arriver, les choses changeront…

Le problème c’est que l’humain s’habitue à tout…

C’est ce qui le perdra. Quand une espèce s’adapte pour sa survie, c’est un signe d’acceptation d’une situation extérieure qu’elle ne peut pas gérer et qu’elle décide d’affronter avant de la transformer en force. Quand elle finit par s’habituer à la situation, c’est qu’elle est dans une phase de résignation et ça, c’est le début de la fin ! C’est pour ça que, même si occuper les théâtres ne permet pas de les rouvrir miraculeusement en un clin d’œil, c’est vital de continuer à dire haut et fort que l’on n’est pas d’accord avec ce que l’on nous impose ! 80% des gros médias ne prennent pas la peine de parler de notre action bien qu’il y ait plus de 100 théâtres occupés… Ça montre d’ailleurs à quel point le système est gangrené !

 

« Manifester » est aussi une démarche pédagogique…

Tout à fait, il faut éduquer les gens et surtout ne jamais se décourager car c’est un travail qui ne pourra se faire que sur le long terme. Des camarades souhaiteraient parfois mener des actions plus percutantes et plus frontales mais je suis intimement persuadé que rien ne vaut le dialogue, le partage et l’écoute. D’ailleurs, ça paye ! On le voit de samedi en samedi, pendant nos actions, les gens sont de plus en plus nombreux et surtout de plus en plus intéressés et curieux. Si on veut que notre société change et que ce soit durable, ça ne se fera pas en une seule journée ! Il faut accepter que l’on incarne la transition, on ne peut pas avoir l’usufruit de tout, tout de suite et tout le temps… Si on veut que notre espèce perdure, il va falloir qu’on admette de se sacrifier un peu afin que les générations suivantes se sacrifient quant à elles, de moins en moins.

Ce qu’on essaie d’inculquer aux gens, c’est que si l’on veut un changement, il faut bien le réfléchir, avancer lentement et agir en profondeur sans jamais céder à la colère, aux pulsions et aux instincts car c’est le meilleur moyen que ça ne tienne pas…

Là où je suis très optimiste, c’est que j’ai l’impression qu’énormément de jeunes l’ont compris ! Beaucoup construisent des fermes écologiques, vont vers des habitats zéro déchet ou, plus simplement, décident d’acheter plus local ou de saison… Je crois sincèrement que l’on est sur le bon chemin !

Plus qu’une contestation, ces réunions sont sources d’échanges…

Artiste, en général, n’est vu par les gens que de deux manières : d’un côté il y a le glandeur un peu lunaire qui vit sur le dos de la société et de l’autre, il y a la superstar inaccessible pour qui tout va super bien ! Pourtant, la majeure partie des artistes est pile entre les deux. On n’en parle pas, ils ne font pas la Une, mais ils vivent de leur métier et c’est pour ça que c’est essentiel de pouvoir expliquer au public quel impact le Covid a sur eux. Ici, à Mont-de-Marsan, on a beaucoup de chance car Antoine Gariel, le directeur du Théâtre Molière, nous soutient et nous a ouvert ses portes sans qu’on ait à les forcer ! (rires) Je le connais depuis plusieurs années et c’est un des rares directeurs de scènes conventionnées – donc subventionnées par l’État – qui met un point d’honneur à ce que la majeure partie des artistes qui se produisent dans sa salle soient des locaux. Bien sûr, il n’y a pas qu’eux qui sont programmés mais il ne cherche pas à se faire mousser en faisant venir uniquement des stars chez lui.  

Grégori Baquet décortique la subtile notion de bonheur…

La pédagogie a toujours été essentielle pour toi…

Primordiale même ! (rires) Avec ma compagnie Vive, on mène des actions auprès des collèges, des lycées, des centres d’éducation pour les mineurs ou des centres pénitentiaires car c’est, je crois, la transmission qui nous sauvera. Il faut évidemment débuter le plus tôt possible et c’est pour ça que j’adore rencontrer les enfants ! Avec eux, même s’ils sont déjà pollués par les écrans, les pubs ou les réseaux sociaux, tout est encore possible. Après, je ne force jamais personne à rien du tout mais je veux pouvoir contribuer à donner un choix aux gens, qu’ils ne s’imaginent pas qu’ils sont enfermés dans un moule sans aucune possibilité d’en sortir.

 

Tu ne joues malheureusement pas en ce moment mais ça ne t’empêche pas d’avoir des projets…

Heureusement, sinon j’aurais un pied dans la tombe ! (rires) J’ai un très beau projet qui devrait, j’espère, voir le jour dans quelques mois… Je vais jouer une pièce espagnoleLa Golondrinade Guillem Clua, qui connaît un beau succès en Espagne. Je serai accompagné d’une des actrices fétiches d’Almodòvar – Carmen Maura – qui est également la comédienne qui a tenu le rôle dans la version d’origine. On ne sera donc que tous les deux sur scène pour cette première adaptation française qui s’intitulera L’hirondelle et, si rien ne bouge d’ici là, on devrait avoir une quinzaine de dates en octobre / novembre avant de débuter à Paris au Théâtre Hebertot en janvier 2022 ! C’est une magnifique pièce sur le pardon et sur la relation qu’entretiennent une mère et un fils… C’est hyper beau et émouvant mais c’est aussi très drôle ! Je suis très excité à l’idée de commencer ce projet !

Le fait de ne pas avoir joué pendant des mois ajoute un stress ou une hâte supplémentaire ?

Chez moi, ce temps de latence n’a fait qu’accentuer l’envie… Ça fait longtemps que je ne ressens plus vraiment de trac ou de peur avant de monter sur scène, un peu comme dans la vie en fait… J’ai décidé de travailler sur tout ça et de m’en libérer à travers une psychothérapie. Ça m’a énormément aidé car on ne cherchait rien de sombre ou de dramatique dans mon passé, on a juste échangé sur mes envies de bien-être en général, de bienveillance et c’est en grande partie grâce à ça que j’ai compris qu’être dans l’acceptation plutôt que la résignation, ça changeait tout ! Je ne suis pas positif à tout prix et je ne vis pas dans un monde de Bisounours mais j’ai choisi que tout ce qui m’arrive devienne une force.

Je pense que la période qu’on aura traversée apportera quelque chose à mon jeu et j’ai hâte de découvrir quoi ! Je trouve déjà qu’elle m’a permis de m’adonner à d’autres choses comme l’écriture, la réflexion, la méditation… Je me suis nourri de tout ça et de ce mouvement citoyen, essentiel à mes yeux. Sans ce virus, on serait peut-être passé à côté de cette prise de conscience…

« Le K » avec Grégori Baquet sur scène

Tu n’es jamais allé sur scène en dilettante mais les prochaines représentations seront-elles encore plus précieuses qu’avant ?

Je pense que ça va en effet ajouter de la « préciosité » à cet acte… Peut-être que le métier va changer, peut-être qu’il y aura plus de streaming, peut-être qu’on jouera moins mais ce dont je suis certain, c’est qu’il y aura toujours du théâtre… Les baladins, les spectacles de rue, les orateurs, les gens qui colporteront des idées existeront toujours car ils ont toujours existé ! Les crieurs, les griots africains ou les conteurs asiatiques ne s’arrêteront jamais !

 

Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos par Thibault Grabherr


Interview parue dans Le Mensuel n°420 de mai 2021

 

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