COUPS DE COEUR

Daniel Benoin, directeur du Théâtre Anthéa, comédien et metteur en scène, en interview

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En tant que public, il est difficile de jauger le véritable impact que les mesures sanitaires peuvent avoir sur le milieu artistique… On sait que certains spectacles s’annulent, que d’autres se reportent, que nous, nous sommes privés de quelques soirées et on devine, évidemment, que la situation n’est pas « facile » pour les professionnels du secteur mais à quel point ?… D’où l’idée d’en discuter avec les principaux intéressés dont Daniel Benoin, metteur en scène et directeur du Théâtre Anthéa d’Antibes qui jongle entre reports, annulations, programmations, spectacles en direct (réservés aux abonnés), remboursements (pas moins de 95 000 remboursements entre mars et décembre 2020) et préparation d’un nouveau spectacle avec Sami Bouajila – Disgraced – dont il n’est toujours pas certain qu’il pourra avoir lieu dans quelques semaines…


🎟️ Inconnu à cette adresse avec Daniel Benoin & Michel Boujenah en direct GRATUITEMENT d’Anthéa le 10 avril 2021

Interprété cette fois-ci par Boujenah Michel & Daniel Benoin, ce texte poignant nous plonge dans la correspondance de 2 amis avant que la Seconde Guerre Mondiale n’éclate. Martin (allemand) retourne vivre en Allemagne tandis que son ami, Max (juif), reste aux Etats-Unis… Au fil de leurs échanges, ce dernier va voir le ton de son ami changer et observer à travers ses lettres le nazisme monter…
 
Pour accéder au direct :
1 – Contactez la billetterie au 04 83 76 13 00 ou à l’adresse contact@anthea-antibes.fr
2 – Réservez gratuitement la pièce « Inconnu à cette adresse »
3 – Un mot de passe vous sera transmis pour accéder au direct
4 – Connectez vous le jour-J et profitez de la représentation de chez vous !

🎟️ Disgraced avec Sami Bouajila à Anthéa du 11 au 30 mai 2021


« Diriger un théâtre n’est pas un métier, c’est une véritable mission… »


« Ça devient insupportable d’être l’exemple donné par le gouvernement… »

Morgane Las Dit Peisson : Comment peut aller un directeur de théâtre en ce moment ?

Daniel Benoin : Franchement, aujourd’hui, pas très bien ! (rires) Je dois commencer à répéter dans 3 semaines Disgraced – qui a eu le prix Pulitzer en 2013 – avec Sami Bouajila – qui vient d’avoir le César du Meilleur acteur – dans le rôle principal et je ne sais pas du tout si le théâtre sera ouvert pour la première du 11 mai… Alice Pol est sur un tournage qui aura 10 jours de retard à cause d’un cas de Covid et qui retardera donc le début de nos répétitions de 10 jours également… C’est une pièce qui a déjà été achetée par le Théâtre Edouard VII à Paris pour la saison prochaine, donc si on n’arrive pas à la monter en mai, on ne pourra pas la jouer…

Il y a la nouvelle saison d’Anthéa à peaufiner alors qu’on ne sait toujours pas dans quelles conditions elle pourra se tenir… Si la distanciation imposée est trop importante, on ne pourra financièrement pas maintenir la programmation et on aura à nouveau travaillé pour rien…

Et puis il y a la saison actuelle qui me déprime… Elle devait débuter en novembre dernier et puisque le second confinement nous est tombé dessus, on n’a jamais rouvert au public…

Le Théâtre Anthéa n’a pas ouvert ses portes de la saison…

Ça devient insupportable d’être l’exemple donné par le gouvernement pour prouver qu’il prend les choses très au sérieux… Il a fermé les théâtres, les musées et les cinémas mais ça n’a pas pour autant stoppé la pandémie ! De là à penser que ce n’était peut-être pas dans ces lieux que les contaminations faisaient rage, il n’y a qu’un pas ! Et puis, ça a été prouvé scientifiquement, il n’y a pas plus de risques dans une salle où les gens sont distanciés, où ils portent un masque et où ils sont tous tournés dans la même direction… J’ai la sensation que l’on sert de victime expiatoire…

 

« Il y aura évidemment de la casse ! »

Un rythme cassé et des spectateurs à re-séduire pour la prochaine saison…

Je crois profondément en l’abonnement au théâtre… Ça permet d’attirer des gens vers des spectacles qu’ils n’auraient peut-être jamais eu l’idée d’aller voir et qu’ils vont trouver formidables ! Notre rôle n’est pas uniquement de « fournir » au public ce qu’il est certain d’aimer mais de l’inciter à la découverte et de « l’éduquer ». À mes yeux, diriger un théâtre n’est pas un métier, c’est une véritable mission…

Déshabituer le public est dangereux pour  l’avenir tant on sait que c’est difficile de lui faire faire le premier pas…

Pour moi, c’est la question capitale. Sur les 14 000 abonnés que l’on avait en octobre 2019, j’estime à 3000 les spectateurs « pointus » qui reviendront dès qu’on rouvrira les portes, à 3000 ceux qu’on perdra et dans les 8000 restants, il y aura évidemment de la casse. Certains se seront déshabitués, certains auront trouvé d’autres occupations et d’autres, malheureusement, auront peut-être d’autres priorités financières que le théâtre à la fin de cette crise…

 

« Toute ma vie, j’ai travaillé à « préparer » le public de demain… »

Il y a la question des spectacles en live qui oblige à s’interroger sur l’avenir de la scène et sur les dangers qu’ils représentent sur l' »éducation » du public…

Je suis entièrement d’accord avec ça. Il y a toujours eu des spectacles diffusés à la télé et c’est très bien parce que ça participe à la démocratisation et à la découverte du théâtre ou de l’opéra mais, trop de spectacles à disposition en ligne pourrait provoquer l’effet inverse…

À Anthéa, on propose quelques spectacles en direct les soirs où ils étaient prévus initialement, mais ils ne sont accessibles qu’aux gens qui avaient déjà acheté leurs billets et qui sont d’ailleurs remboursés s’ils le souhaitent. Ça ne reste qu’un petit substitut pour le public et un soutien aux artistes mais en aucun cas, je n’ai voulu céder à la « vente » de retransmissions bien que la situation financière aurait apprécié quelques rentrées d’argent en ce moment ! (rires) C’est un problème moral, il ne faut pas combler toutes les attentes du public en lui laissant entendre que le spectacle en ligne est « pareil » que le spectacle en salle. De cette petite frustration, j’espère, ressurgira l’envie de retourner dans une salle pour y ressentir tous les plaisirs que seul l’art vivant peut procurer.

Toute ma vie, j’ai travaillé à « préparer » le public de demain, à organiser des séances scolaires pour donner le goût du spectacle aux plus jeunes qui rempliront les salles 20 ans plus tard. C’est capital de prendre cette question au sérieux car la moyenne d’âge dans les théâtres privés à Paris, par exemple, est de 70 ans et si on ne fait rien, ce théâtre là ne survivra pas au manque de renouvellement de génération. Le théâtre public est moins concerné puisque la moyenne y est de 39 ans.

Annulations, reports, remboursements…

Les deux saisons qui ont été perturbées vont avoir un impact sur celle à venir car on reporte des spectacles qui étaient complets et qui auraient besoin de séances supplémentaires si une distanciation s’impose mais, qui dit plus de séances dit plus de frais sans rentrées d’argent supplémentaires, alors qu’on ne trouve notre équilibre qu’en étant complet à au moins 90%. Sincèrement, c’est devenu un vrai casse-tête !

Même rembourser nous coûte cher car ça représente un staff de 12 personnes ! On est devenus de grands experts en remboursement ! (rires)

 

« On mettra des années à se relever ! »

Un théâtre fermé est un théâtre actif malgré tout…

Malgré la fermeture, je travaille énormément mais avec l’insatisfaction d’avoir l’impression de tourner en rond, de faire et défaire en permanence et surtout, de ne pas faire ce que j’aime ! Ça fait plus d’un an que je n’ai pas fait de mise en scène et au delà de ma frustration personnelle, ce sont surtout des spectacles qui n’ont pas vu le jour… Du point de vue de la création, on vit réellement quelque chose de dramatique dont on mettra des années à se relever !

La préparation de Disgraced

On a hâte de pouvoir commencer et on avance comme si on allait jouer normalement en mai. Disgraced est une pièce qui me tient à coeur et que je piste depuis 5 ans ! (rires) L’auteur ne voulait pas me donner les droits car il était amoureux d’une metteure en scène française à qui il les avait promis… Par chance pour moi, ça ne s’est pas fait et j’ai enfin pu avoir son aval… Mais juste avant le Covid… (rires)

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • PhotoPhilip Ducap


Interview parue dans Le Mensuel n°419 d’avril 2021

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