COUPS DE COEUR
Arthur Jugnot en interview pour la pièce « Le jour du kiwi »
« Ça nous rend encore plus pudiques et attentionnés… » Arthur Jugnot
Pour la première fois réunis sur les planches bien que l’un et l’autre soient totalement rompus à l’exercice, Arthur et Gérard Jugnot se donnent la réplique dans une pièce imaginée par Laetitia Colombani, Le jour du kiwi. Oscillant entre profonde inquiétude et pure drôlerie, celle-ci nous fait pénétrer l’appartement d’un homme persuadé qu’on lui vole régulièrement des denrées alimentaires chez lui. Virant à l’obsession, ce mystère de prime abord absurde et sans intérêt va alarmer son fils avec qui les relations ne sont pas au beau fixe. Ce dernier, campé par Arthur – comédien certes mais également metteur en scène et co-directeur de plusieurs théâtres – va, en tentant de dénouer le vrai du faux, se rapprocher de ce père esseulé. Si, au fil des représentations et de la promo, les Jugnot se sont livrés l’un à l’autre avec tendresse, leurs personnages en font autant sur scène et rappellent ô combien il faut se rappeler de l’essentiel…
Arthur Jugnot en interview pour la pièce Le jour du kiwi
interview / théâtre / comédie
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Morgane Las Dit Peisson : Pour la 1ère fois, on te retrouve sur scène en compagnie de ton père dans Le jour du kiwi…
Arthur Jugnot : Ce qui est très chouette avec cette pièce, c’est qu’elle parle de plusieurs choses à la fois mais il y a évidemment cette relation entre un fils et un père qui ne se comprennent pas et qui vont devoir apprendre à s’apprivoiser et à se re-aimer. Quand on est acteur, on joue avec son bagage émotionnel, donc forcément, on dit certaines phrases qu’on a déjà dites ou des choses auxquelles on a déjà pensé. Le fait de jouer le rôle du fils avec mon père qui joue quant à lui le rôle du père, ça fait inévitablement se mélanger un peu plus les émotions, surtout au début des représentations. Je ne pensais pas, avant qu’on se lance dans ce projet, que ça démultiplierait autant les sensations. C’est très étonnant car notre parenté a aussi un impact sur le spectateur. Quand je rentre sur scène et que je dis « bonjour papa », les gens rient alors que ce n’est pas particulièrement drôle ! (rires) Ils sont au courant du lien qui nous unit et forcément, ça crée une connivence, une complicité supplémentaire entre eux et nous.
Avec Le jour du kiwi, tout est un peu mélangé et amplifié, que ce soit dans le public, entre nous, entre le public et nous… Les gens se demandent beaucoup si on se parle à travers la pièce et si on pense la même chose que nos personnages, donc ça renforce le message que fait passer le texte.
Vous avez tous les deux tissé votre propre lien avec le public…
Oui et je crois que c’est en ça que cette pièce est arrivée au bon moment pour nous… J’ai maintenant 43 ans, j’ai fait 25 spectacles, j’ai beaucoup travaillé donc je me sens plus légitime pour jouer avec mon père. Les gens se disent que c’est sympa de nous voir ensemble tandis que si c’était arrivé à mes 19 ans, j’aurais été le « fils de » qu’on projette là pour bénéficier de la notoriété de son père. Ça aurait peut-être été mal venu…
Et puis, même vis à vis de mon père, il fallait qu’il puisse jouer avec quelqu’un en prenant du plaisir. C’était essentiel que je fasse mes armes avant de me pointer en face de lui pour lui donner la réplique ! (rires) Maintenant, on est un peu plus d’égal à égal, pas au niveau de la notoriété évidemment mais de l’expérience. Il a fait des dizaines et des dizaines de films et moi ça fait 20 ans que je suis sur scène presque tous les jours, donc en nombre d’heures de vol, on est à peu près à égalité. C’est comme en sport, le fait que ça ne soit pas déséquilibré permet d’éprouver un véritable plaisir dans le jeu.
L’envie s’était déjà fait sentir ?
Oui on avait tous les deux cette envie-là mais il fallait trouver la bonne pièce et que ça n’arrive pas trop tard non plus… Mon père a la chance d’être encore en pleine forme mais plus on attendait et plus on prenait le risque que ça ne soit plus le cas… Donc je crois que Le jour du kiwi est tout simplement arrivée au bon moment dans nos carrières et ce pour plein de raisons différentes.
Jouer avec quelqu’un qui nous connaît par cœur, c’est plus facile, libérateur ou intimidant ?
C’est extrêmement agréable mais en ce qui nous concerne tous les deux, je crois que ça nous rend encore plus pudiques et attentionnés. On s’excuse plus qu’on ne le ferait avec d’autres acteurs quand on se coupe ou qu’on se trompe. Je m’aperçois qu’on fait très attention l’un à l’autre… Peut-être parce qu’inconsciemment, on sait que personne n’est fait, à nos âges respectifs, pour passer autant de temps avec son parent ou son enfant. Il faut donc que ça se passe bien et que cette expérience n’abîme pas notre relation… Du coup, on est aux petits soins ! (rires) Par exemple, moi qui fais beaucoup d’improvisation et qui déconne souvent sur les planches, là je me tiens vraiment plus à carreau ! (rires) Je n’ai pas envie de le mettre en difficulté d’une part et surtout, je ne veux pas qu’il ait honte de moi ! Donc je me tiens bien quand je suis avec papa ! (rires)
L’auteure de la pièce, Laetitia Colombani, semble réussir tout ce qu’elle touche…
En effet, elle a touché 2 ou 3 trucs qui ont bien marché ! (rires) Elle connaît une success story énorme avec son film qui vient de faire 1 million d’entrées, ses millions de livres vendus et cette pièce qui cartonne, mais c’est une pièce qui traîne dans les tiroirs depuis une dizaine d’années. Elle a souvent failli se faire et c’est à chaque fois tombé à l’eau jusqu’à ce qu’on décide de jouer ensemble avec mon père et qu’on tombe dessus.
On a eu de la chance, ça s’est bien goupillé et en plus ça cartonne ! Mais entre nous, les spectateurs voient rarement les spectacles qui ne cartonnent pas, tout simplement parce qu’ils n’en entendent pas parler ! (rires)
C’est l’écriture qui t’a séduit ou plus le fait qu’il y ait un véritable suspense dans cette pièce ?
Son écriture évidemment est intelligente, ciselée et pétillante donc c’était déjà un magnifique atout. Mais je dois reconnaître que c’est tout aussi essentiel que le spectateur ait envie de savoir ce qui va se passer, tout au long du spectacle, tant dans la forme que dans le fond…
Dans Le jour du kiwi, on se retrouve avec un monsieur qui pense que son yaourt au kiwi a disparu et qui va devenir fou à cause de ça. Il va demander à son fils, avec qui il est en froid, d’installer des caméras de surveillance alors que celui-ci le soupçonne d’avoir Alzheimer…
À partir de là, les spectateurs vont s’interroger… Est-il fou ? Malade ? Est-ce que quelqu’un le vole vraiment ? Il y a cette progression narrative pour le spectateur qui est très chouette et en même temps, c’est rigolo parce que ça amène des situations évidemment loufoques et drôles.
Ensuite, le spectacle se transforme en une boule de tendresse et d’émotion et c’est ça qui, dès la lecture, m’a attiré. C’est typiquement le genre de théâtre que j’ai envie de voir. C’est dense et très riche sans être bavard pour autant. On se dit plein de choses sans s’en rendre compte.
C’est de la culture « indolore » ! (rires) C’est à dire qu’on se dit qu’on s’est bien marré mais qu’on va peut-être bien appeler son père, juste pour entendre sa voix… Il y a beaucoup de pères et fils qui viennent nous voir et qui nous disent que la pièce leur a rappelé à quel point c’était important de communiquer un peu plus.
Une pièce qui permet aussi de faire évoluer son jeu…
Oui, c’est une pièce où les personnages vont tous un peu mal au début mais – je t’accorde que c’est un peu utopique (rires) -, vont aller mieux grâce aux évènements qui vont se produire. Il y a un côté feel good assez sympa mais surtout, en tant que comédien c’est agréable à jouer parce qu’il n’y a aucun personnage qui ne sert à rien et qui stagne du début à la fin.
Ils ont tous leur trajectoire, ils évoluent tous et c’est aussi plaisant pour les acteurs que pour les spectateurs.
Vous auriez pu l’un ou l’autre vous coller à la mise en scène mais c’est finalement Ladislas Chollat qui la signe…
Ce mec est brillant et tous les spectacles sur lesquels il travaille sont magnifiques donc c’est un cadeau de l’avoir eu à nos côtés ! Et puis, c’était essentiel que ni mon père ni moi n’endossions ce rôle-là car ça nous permet de n’être que comédiens. Il n’y a pas de rapport hiérarchique entre nous et on écoute tous les deux de la même manière quelqu’un qui nous guide. Ladislas a vraiment été le metteur en scène parfait pour ça car il est talentueux, ingénieux et en même temps, il a l’habitude de travailler avec de vraies vedettes, qui sont par définition des bêtes sauvages… (rires) Des artistes comme mon père, Arditi ou Darmon ont une expérience dingue, ils ont leur façon de jouer donc ce n’est pas forcément évident de les faire aller en dehors de leurs lignes. Lui, il a le tact et la finesse de réussir à les emmener quelque part sans les bousculer et en étant toujours poli et respectueux. C’est vraiment un super bonhomme…
Partager chaque soir la scène avec ton père t’a révélé des choses sur lui ou sur sa façon de travailler ?
Pas tellement parce qu’on se connaît vraiment bien. Ce qui a été assez marrant en revanche, c’est la promo car on nous a posé pas mal de questions personnelles sur nos rapports… C’est bizarrement là qu’on a découvert des choses sur nous, c’est en verbalisant certaines sensations ou impressions qu’on ne se dirait pas spécialement à table entre le fromage et le dessert ! (rires)
Ça nous a poussés à nous dire des choses assez jolies et assez tendres que je suis content d’avoir dites ou entendues… Un genre de grande psychanalyse familiale ! (rires) D’ailleurs, j’ai eu un professeur de théâtre qui disait que chaque comédien avait besoin de régler quelque chose avec son père… (rires) De toute façon, acteur ou pas, on se construit toujours avec ou contre son père et même quand on est contre, c’est qu’on a quelque chose à lui prouver.
Passionné de jeu bien sûr mais de théâtre tout court au point d’être devenu directeur de plusieurs salles…
Oui, j’ai commencé à produire des spectacles très tôt… J’ai eu une compagnie puis, avec des copains, on a pris un théâtre à Avignon, ensuite on a monté une boîte de tournée, on a commencé à produire des spectacles et petit à petit, j’ai repris plusieurs salles.
Par envie de liberté de production, je voulais pouvoir jouer ce que je voulais, quand je voulais et comme je voulais. Je me suis créé cette autonomie en étant producteur, directeur de théâtre, tourneur etc. Au début, c’était pour me produire moi-même et en effet, ça a dévié ! (rires) Les boîtes se sont agrandies, ça a pris de l’ampleur et j’en suis heureux parce que j’aime profondément l’idée de dénicher des spectacles et d’essayer de les accompagner au mieux.
Je co-dirige 5 théâtres donc ça prend beaucoup de temps, j’ai plusieurs métiers à la fois mais je m’éclate complètement ! C’est évidemment plein d’emmerdes et de problèmes à gérer mais ça en vaut tellement la peine ! J’ai adapté il n’y a pas longtemps Denver, le dernier dinosaure en comédie musicale au Théâtre de la Renaissance et je me suis fait un kiff absolu ! Il y a 10 décors, ça part dans tous les sens, il y a des marionnettes, un énorme dinosaure, de la musique en live, des comédiens descendent en rappel (dont Arnaud Maillard qui est exceptionnel !)… Je suis extrêmement fier de ce spectacle et je n’aurais jamais pu le faire si je n’avais pas été directeur du théâtre. Je serais arrivé et on m’aurait restreint pour des questions de budget… Tout d’un coup, en voyant le résultat, j’ai su pourquoi je faisais autant de réunions et pourquoi j’acceptais toute cette dose d’emmerdes supplémentaires dans mon quotidien : c’est pour avoir cette liberté de création.
Denver est un spectacle qui n’est pas exclusivement destiné à la jeunesse…
En effet, on a vraiment créé ça comme un Pixar. On pense jeunesse parce qu’il y a un dinosaure et que les mômes sont contents mais c’est complètement un spectacle pour tous. On l’a traité en se disant que ça ne serait pas un spectacle pour les mômes mais pour la famille entière. Et en même temps, il faut habituer les enfants dès le plus jeune âge à venir au théâtre car c’est le public de demain…
© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Théâtre Anthéa d’Antibes pour Le Mensuel / Photos Cyril Bruneau / avril 2024
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