CINÉMA

Alexandra Lamy en interview pour le film « La promesse verte » d’Édouard Bergeon au cinéma

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« L’Humain oublie très vite… » Alexandra Lamy

 

 

Multiple à souhait, Alexandra Lamy, qu’on aime autant retrouver dans une pure comédie que dans des rôles dramatiques grâce à une capacité assez exceptionnelle à passer d’une vérité à une autre, nous donne rendez-vous, en ce mois de mars, dans deux films ayant pour points communs l’éducation et l’engagement. À l’affiche des avant-premières de Louise Violet (qui ne sortira qu’en novembre prochain et qui met en scène une institutrice en charge, à la campagne, d’obliger les enfants à venir à l’école) organisées par le Rotary pour soutenir la recherche sur le cerveau ; la comédienne sera également dans les salles obscures pour y défendre le 2nd long-métrage d’Édouard Bergeon – La promesse verte -, à qui l’on doit déjà Au nom de la terre mais aussi des documentaires poignants. Si son 1er film racontait l’histoire (malheureusement toujours d’actualité) du suicide de son père agriculteur, celui-ci aborde les ravages sur la planète mais aussi sur l’humanité de nos pratiques dévastatrices et irraisonnées. Au cœur du film, la production d’huile de palme et la déforestation en Indonésie, l’omerta, la corruption, la violence, l’injustice, le rôle des ONG et de nos politiques mais aussi l’impuissance d’une mère lambda qui voit son fils accusé de trafic de drogue alors qu’il est en réalité condamné à mort pour avoir voulu dénoncer cette industrie destructrice mais tristement rentable… Un film fort qui suit le parcours de cette mère qui, comme son fils, ne lâche rien et qui rappelle en filigrane que le consommateur a un pouvoir qu’il ne soupçonne pas : celui d’enrayer la machine en arrêtant d’acheter…

 

 

 

 


 

 

Alexandra Lamy en interview pour le film La promesse verte

interview / cinéma / film / drame / thriller

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : En pleine tournée d’avant-premières avec La promesse verte

Alexandra Lamy : Je suis ravie d’être là, au Cineum, de vous présenter La promesse verte et plus généralement, je suis toujours heureuse de rencontrer le public et d’aller dans les cinémas ! Et puis, j’aime bien pouvoir accompagner les films et avoir le retour direct des spectateurs surtout quand ce qu’on vient défendre a quelque chose de profond à raconter. Ça crée de vrais débats, on échange avec ferveur et ça, c’est merveilleux ! Même si on est crevé à force de courir de salle en salle, c’est essentiel de prendre ce temps-là. En plus, ça nous rebooste ! (rires)

 

Édouard Bergeon, réalisateur

 

Un film qui ne laisse personne indifférent…

J’adore toutes sortes de films y compris les comédies car c’est essentiel d’avoir du divertissement mais il y en a, comme La promesse verte, qui sont si forts que les gens prennent vite la parole tant il y a de choses à dire. Ce long-métrage d’Édouard Bergeon est un thriller écologique, il y a du suspense, il y a tout ce que ça raconte sur la déforestation, sur notre surconsommation, il y a cette mère qui va se battre pour son fils et qui va, à travers son regard, faire que le spectateur se rendra compte de tout ce lobbying industriel, politique et social. Ce sont tellement de thèmes qui nous concernent tous que l’échange est très facile.

Ce qui est formidable aussi, c’est que ça réunisse toutes les générations tant l’écologie concerne tout le monde. C’est un endroit où les jeunes sont très ouverts et plus investis que leurs parents. C’est d’ailleurs ce que représente mon fils dans le film – incarné par Félix Moati -, une jeunesse prête à se sacrifier pour une cause juste. Donc, évidemment, dans les salles on a beaucoup de jeunes mais aussi des familles entières. Je trouve ça génial parce que ça enrichit le débat.

La promesse verte, c’est une grosse prise de conscience sur l’huile de palme, sur la déforestation, sur ces lobbyings mais aussi sur cette jeunesse qui ne se tait pas, qui va jusqu’au bout et surtout, qu’on ne peut pas museler. Et puis c’est également cette mère, ce combat intime… C’est un film qui raconte plein de choses et qui est très actuel tout en étant, en même temps, un vrai thriller avec un suspense haletant. On voyage, la musique est magnifique, les images d’Édouard sont sublimes… C’est un grand film, sincèrement.

 

 

Le plus effrayant, c’est que bien que ce soit une fiction, c’est très réaliste…

Comme Édouard Bergeon, le réalisateur, vient du documentaire et a fait du journalisme, on sent que son scénario est terrible car extrêmement bien documenté et qu’il est donc, malheureusement, très réaliste… Bien sûr le combat de cette mère a été fictionné mais il reflète la réalité des familles qui traversent cette épreuve. Dans le travail d’Édouard, il y a une grande vérité et on a remarqué, avec Félix Moati, que si dans son premier film – Au nom de la terre avec Guillaume Canet – il rendait hommage à son papa, dans celui-ci il rend grâce à la force et à la ténacité de sa mère. Même dans le personnage de mon fils, inconsciemment certainement, il y a beaucoup de lui-même, de sa faculté à prendre des risques avec sa caméra ou son appareil photo afin de défendre ses valeurs. La promesse verte ne raconte pas une histoire personnelle mais n’en est pas moins intime pour autant…

 

 

Dès la lecture, aucune hésitation ?

Aucune ! Avec Édouard, on s’était rencontrés quand il préparait Au nom de la terre et on s’est découvert plein de points communs. On vient tous les deux du monde agricole, on a une sensibilité commune et puis j’aime beaucoup son univers et ce qu’il raconte car c’est un passionné ! J’aime les gens comme ça ! C’est vraiment quelqu’un de documenté donc j’adore l’écouter parler car j’apprends plein de choses ! Parfois, j’ai l’air un peu débile mais peu importe ! (rires) C’est génial d’être au contact de personnes aussi engagées, ça nourrit énormément… 

Et puis j’aime bien, dans un film, retrouver la « petite » histoire dans la grande, que nos destins individuels s’inscrivent dans le temps. Là, cette mère vit un drame personnel qui est indissociable d’une actualité qui la dépasse et qui se dessine en trame de fond… C’est assez grandiose à jouer ! 

 

Un film tourné entre la France et l’Asie…

On a tourné une partie du film aux Sables d’Olonne, quelques images ont été faites en Indonésie mais pour des raisons logistiques, tout le reste du tournage s’est déroulé en Thaïlande. C’est un pays qui a l’habitude de recevoir des équipes étrangères et l’accueil a été formidable. 

 

 

Participer à ce genre de films pousse à changer ses propres habitudes ?

On est un peu des artivistes. L’art permet l’échange, la discussion, le débat et voir un film, par exemple, est toujours plus ludique et facile d’accès que de décider de se rendre à une conférence ou à un meeting sur la déforestation. La culture ouvre les portes, offre la possibilité d’aborder des sujets essentiels sans le côté plombant ou moralisateur et, inconsciemment, ça agit sur nos habitudes de vie… 

Je viens des Cévennes, en plein milieu d’une montagne, donc je suis « obligée » de faire attention. Je mange local, j’ai toujours cuisiné même si c’est hyper basique (rires) mais j’évite les plats cuisinés et les aliments ultra transformés. On a beau dire, mais quand on fait le calcul, c’est certes meilleur pour la santé et l’économie locale mais ça l’est aussi pour notre propre porte-monnaie…

 

 

Tout ça, on le sait, je le sais mais voir ou participer à un film comme celui-ci, ça remet une petite couche et c’est pas mal parce que l’Humain oublie très vite… C’est peut-être grâce à ça qu’une femme est capable de faire un 2ème enfant ! (rires) Par instinct de protection, elle oublie la douleur du 1er accouchement ! (rires) Pour réussir à vivre sans devenir fous, on est un peu obligés de faire abstraction de pas mal de choses et c’est pour ça que des cures de rappel sont essentielles.

Dans La promesse verte, on a des images magnifiques de cette forêt primaire et on ne peut pas ne pas réaliser en les voyant que c’est le poumon de notre planète ! Et si nous, on n’est pas capables de la respecter un peu plus, on disparaîtra pour lui permettre de se régénérer. Je crois sincèrement qu’elle, elle continuera à exister après nous mais c’est terrible de se rendre compte de notre propre bêtise… Du coup, après le tournage, je me suis remise au compost, j’ai recommencé à faire attention aux plastiques et cetera. Ce n’est pas inutile que des films comme ça nous remettent un peu les idées en place ! (rires) C’est pour ça que c’est important de le voir avec la jeune génération car c’est par elle que les choses vont pouvoir changer et c’est tôt qu’il faut commencer à prendre de bonnes habitudes. Ça leur demandera moins d’efforts qu’à nous s’ils grandissent avec une véritable logique de production et de consommation. 

 

 

On peut tous, à notre échelle, œuvrer à remanier les cartes…

Parfois on se demande ce qu’on peut faire pour changer les choses profondément mais je crois qu’on peut tout faire ! Mes parents étaient commerçants et me disaient toujours que le client était roi… Alors si demain, le client décide de ne plus jamais acheter de produits conçus avec de l’huile de palme, il arrivera un moment où les industriels arrêteront de lui en proposer ! C’est important de prendre conscience qu’en tant que consommateurs, nous sommes les vrais maîtres. Et il ne faut pas oublier qu’en France, on est tout à fait capables de s’allier, de manifester, de gueuler, de révolutionner et de changer les choses. C’est dans notre ADN donc si on veut, on peut ! (rires)

 

Mais on se donne bonne conscience en voyant qu’un peuple vit de cette industrie néfaste…

En effet, on se retranche souvent derrière de faux problèmes mais c’est un chantage auquel il ne faut pas céder. Oui, des gens travaillent « grâce » à l’huile de palme mais à quel prix et dans quelles conditions ? Ils sont expropriés, sous-payés, des enfants sont exploités… Et ils sont tellement travailleurs et volontaires que si demain, le marché de l’huile de palme venait à s’écrouler, d’autres industries trouveraient toujours quelque chose à leur faire faire…

Et puis nous aussi, on subit les conséquences de ce qui ravage ce territoire lointain. La plupart de nos agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Je ne dis pas que c’est pire parce que ça nous touche de près, mais il ne faut pas ignorer que ça a aussi un impact sur nous… Nous sommes un pays agricole et tout ce qu’on importe n’est pas, par définition, fabriqué chez nous. 

Donc il faut faire extrêmement attention à la planète et aux humains qui l’habitent, qu’ils soient à proximité ou à l’autre bout de la planète. Rappelez-vous des petits SOS brodés par des enfants à l’intérieur de vêtements de marque… Quand on se donne bonne conscience en se disant qu’on fait travailler des gens, il faut essayer de se souvenir de ça et se bouger pour changer véritablement les choses… 

 

 

On a la chance de vivre dans un pays où, même si le film dénonce également des dérives de nos politiques, il peut être diffusé librement…

C’est hyper important de vivre dans un pays qui possède cette liberté culturelle. On ne s’en rend pas compte parce qu’on y est habitués mais pour avoir parfois tourné dans des endroits où la culture est maîtrisée, avoir cette liberté d’expression est une chance. C’est essentiel d’avoir du cinéma, du théâtre, de la littérature, des concerts ou des expos dans un pays pour ouvrir des réflexions. Quand on n’a plus accès à ça et que notre seule préoccupation est de survivre, on voit bien que c’est une catastrophe. Priver un peuple de ça, c’est le tenir en laisse donc peu importe le prix à payer ou les difficultés rencontrées, il faut continuer coûte que coûte à créer et à défendre des idées ! La culture n’est pas « juste » un loisir, un divertissement et une détente…

 

 

Dans l’idée d’un loisir utile, on vous verra aussi dans le film Louise Violet qui sortira le 06 novembre prochain et en avant-première en mars avec le Rotary…

C’est un film d’Éric Besnard avec Grégory Gadebois et en effet, on remercie le Rotary qui nous permet de faire autant d’avant-premières dans toute la France, au profit de la recherche sur le cerveau. Louise Violet est une ancienne communarde qui va débarquer dans ce qu’on appelait à l’époque un « pays », c’est-à-dire des terres paysannes, à la campagne. Je joue une institutrice qui va devoir faire venir les enfants à l’école puisque celle-ci est devenue obligatoire, gratuite et laïque. C’est son combat et ça nous fait réaliser qu’à l’époque, les enfants étaient de la main d’œuvre et que les paysans qui avaient besoin d’eux dans les champs n’avaient pas du tout envie de les laisser aller s’instruire ! L’époque et le sujet ne sont pas les mêmes que ceux de La promesse verte mais quelque part, ces deux films ont un lien. 

 

 

Un rôle de mère courage en pleine prise de conscience écologique…

C’est la force d’Édouard… Il sait, avec équilibre sur ce sujet de fond écologique, ajouter des couches : la violence, l’injustice, la corruption, l’amour d’une mère. Et cette maman, c’est vraiment l’œil du spectateur car c’est à travers elle qu’on va suivre la réalité, les incompréhensions, les émotions… Tout le monde se retrouve en elle car un père se battrait de la même façon pour son fils. Quand on est parent, défendre son enfant est viscéral. Et puis, elle a ce côté Madame Tout-le-monde. Ce pas une héroïne, elle n’a ni connaissances particulières ni force physique extraordinaire pour mettre la pression à qui que ce soit. C’est une femme complètement impuissante face à ce qui arrive à sa famille et qui va puiser dans son énergie pour trouver des solutions. Ce personnage-là fait l’unanimité car il est le spectateur qui se demande comment il ferait s’il était à sa place…

 

Comédie, drame ou tragédie, vous avez une capacité incroyable à passer d’un registre à l’autre… Au théâtre, c’était flagrant dans Deux sur la balançoire où vous passiez du rire aux larmes… 

C’est ce que j’aime parce que le rire amène aux larmes et les deux se nourrissent mutuellement. J’ai besoin de ça parce que si je ne faisais que de la comédie ou que du drame, ça aurait toujours la même saveur… Ce qui nous grandit en tant qu’acteur, c’est d’apprendre à jouer avec toutes les émotions, comme dans la vie.

Quand je travaille sur un scénario, j’étudie les nuances possibles pour ne pas offrir la même couleur tout au long du film. On a besoin par exemple que, pour que le film soit « digérable » et intéressant à regarder, Carole – mon personnage – respire, s’écroule, soit en colère, impuissante et même qu’elle sourie…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel au Cineum Cannes / Photos Nord Ouest Films / mars 2024

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