CINÉMA

Agnès Jaoui en interview pour le film « La vie de ma mère » de Julien Carpentier

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« Un rôle pareil, c’est un cadeau ! » Agnès Jaoui

 

 

Tout juste récompensée d’un César d’honneur (le 7ème de sa riche carrière), Agnès Jaoui est à retrouver au cinéma dans le tout 1er long-métrage de Julien Carpentier, intitulé La vie de ma mère. Pas tout à fait autobiographique mais fortement inspiré de son expérience personnelle, le réalisateur a tenu à dévoiler les dessous de la bipolarité dont sa propre mère est atteinte. Campée par une Agnès Jaoui habitée d’une liberté folle, Judith réapparaît dans la vie de son fils Pierre – fleuriste – qu’elle n’a plus vu depuis deux ans. Alors qu’il mène une vie stable, sereine et qu’il s’épanouit dans sa boutique, il va à nouveau devoir « subir » les hauts et les bas de cette femme – tantôt fantasque tantôt dépressive – qu’il est difficile d’haïr… Car si son comportement oblige son fils à devoir se comporter tour à tour comme un pote, un père voire un infirmier, elle n’en est pas responsable voire pire, elle en est la première victime…

 

 

 

 


 

 

Agnès Jaoui en interview pour le film La vie de ma mère

interview / cinéma / film / comédie dramatique

 

 


 

 

 

Morgane Las Dit Peisson : Participer à des festivals comme les RCC de Cannes permet de se retrouver à nouveau en équipe…

Agnès Jaoui : Vous avez complètement raison, c’est ça qui est compliqué dans le cinéma… On peut vivre des moments privilégiés où l’on est extrêmement entourés et d’autres où l’on est plongés dans une immense solitude. Ce qui n’arrange rien, c’est que la durée des tournages est maintenant de plus en plus courte et que quand ça s’achève, on est toujours un peu paumés.

Accompagner un film en festival ou sur des avant-premières permet en revanche de prolonger nos relations avec les équipes et surtout de rencontrer le public. J’aime profondément ça et encore plus quand c’est un film qui me tient autant à cœur que La vie de ma mère et que le réalisateur est aussi gentil, humain et méritant…

 

Le terme « gentil » est malheureusement trop souvent galvaudé…

Pour moi la gentillesse est une qualité essentielle mais effectivement, le terme est de plus en plus vide de sens… Julien Carpentier (le réalisateur) est un vrai gentil donc ce n’est pas étonnant que les autres membres de l’équipe le soient aussi. En choisissant William Lebghil ou Salif Cissé, il s’est automatiquement entouré des personnalités qui lui ressemblent et c’est particulièrement agréable de travailler avec des gens comme eux. Je suis toujours heureuse de les retrouver.

 

 

Julien Carpentier a été tenace pendant une décennie avant de sortir son 1er film…

C’est plus que beau, c’est assez remarquable parce que même si ce n’est pas rare d’avoir besoin de beaucoup de temps pour mettre sur pied un projet, 10 ans à œuvrer pour faire son premier film, c’est énorme ! 

Un acupuncteur m’a dit, quand je devais avoir 20 ans et que j’étais en plein doute, que ce qui faisait la différence, c’était la persévérance… Et c’est vrai ! Ce n’est pas le talent, ni le réseau, ni la chance, ni la beauté, ni l’intelligence… Ça y contribue certainement, mais la « réussite » c’est d’abord être capable de persévérer, de rencontrer des échecs, de s’en relever et de décider de continuer même si peu de gens croient en vous. C’est ça qui fait réellement la différence entre les gens qui « font » et ceux qui passent à autre chose…

 

 

En tant que comédienne et réalisatrice, comment perçoit-on ce travail autour d’un premier film ? C’est touchant ?

Étant passée par là, je sais à quel point c’est fort – comme toutes les premières fois – de façonner son 1er film et de l’accompagner jusqu’à sa sortie car chaque étape de sa construction est, pour Julien Carpentier, une 1ère fois. J’ai conscience de l’importance que ces 1ers films occuperont dans les vies de leurs auteurs et en même temps, même si ce sont des débuts, on voit tout de suite si ce sont de vrais cinéastes ou pas… Ceux qui, comme Julien, ont un point de vue sur tout (comédiens, maquillages, décors etc.) et savent exactement ce qu’ils veulent avant même de commencer à tourner, sont des cinéastes « nés ».

C’est un peu comme les acteurs, ça se sent immédiatement. Mais il y a aussi, heureusement, des gens qui progressent…

 

La vie de ma mère est une histoire particulière, intime, presque autobiographique…

Dès la lecture du scénario, il y avait plein de scènes que j’avais envie de jouer et ça, c’était déjà un signe. Et puis, chaque jour, j’étais contente de tourner telle ou telle scène, j’avais même hâte d’en interpréter certaines. Les rôles comme ça, qui offrent des scènes de folie, de saoulerie, de fous rires ou d’autres comportements démesurés ont une particularité, une difficulté supplémentaire, mais ils sont agréables à incarner. Quand on veut devenir comédien, c’est pour se glisser dans la peau de personnalités complètement différentes de la nôtre, c’est pour faire ce qu’on ne ferait jamais dans la vie, c’est pour être quelqu’un d’autre que soi… 

En même temps, je pense qu’on est tous multifacettes et pleins de richesses mais que dans la vie de tous les jours, on n’a pas l’occasion de laisser tout ça s’exprimer… C’est pour ça qu’un rôle pareil, c’est un cadeau !

 

 

Ce sont des personnages extrêmes mais lumineux à la fois et qui nous donnent parfois quelques leçons de vie… 

Oui, ce sont des personnages intenses, flamboyants, hauts en couleurs, dont on peut parfois désirer le sentiment de liberté… Dans le cas de Judith dans La vie de ma mère, c’est en revanche une véritable maladie donc ça n’a rien d’enviable mais c’est vrai que ces moments de pure joie de vivre et de lâcher-prise ne peuvent que nous faire réfléchir… 

 

 

L’énergie que requiert un personnage comme Judith demande plus de préparation et de concentration qu’un autre ?

Sincèrement, tous les rôles dans tous les films demandent de la préparation et surtout de la concentration. Il faut penser son personnage dans les moindres détails et réussir à ne plus réfléchir au moment où l’on entend « action » ! (rires) C’est ce drôle de va-et-vient qui est compliqué. Il faut en amont avoir imaginé des choses, des gestuelles, des intonations et des regards tout en réussissant à se laisser aller pour être dans le moment présent du tournage et ne pas être corseté par une idée préconçue qu’on pourrait avoir du rôle.

Ce qui a énormément facilité ce travail d’élaboration de Judith, c’est que c’était bien écrit et que j’étais avec des partenaires formidables. C’est tellement important quand on joue… Le regard de William Lebghil sur moi a créé la moitié du personnage et la façon dont on s’est lancé les répliques a fait le reste. Ce n’est pas toujours le cas mais avec lui, l’alchimie était complète. 

 

 

Pour rendre attachant un personnage malgré ses défauts et ses erreurs de parcours, il faut apprendre à l’aimer avant de l’incarner ?  

Je pense qu’il faut toujours défendre son personnage parce qu’il faut le jouer de l’intérieur. C’est ma mission d’essayer de faire comprendre d’où viennent la folie et les travers, par exemple, de Judith donc je dois tenter de la comprendre moi-même. Si je me mets à la juger, je serais automatiquement mauvaise car je risquerais de plaquer un cliché sur elle et de ne pas la rendre réaliste. Je dois lui donner vie avec tous ses bagages, qu’ils soient bons ou mauvais et c’est le texte qui dira si c’est une garce ou une personne formidable. Ce n’est pas à l’acteur de surligner quelque chose que le spectateur va très bien comprendre de lui-même.

Cette démarche de compréhension du rôle, c’est quelque chose que je fais pour tous les personnages que j’interprète. Et dans le cas présent, je pense que c’est le regard de Julien qui fait qu’on ne la condamne pas, bien qu’on comprenne le calvaire que ça a pu être – et que c’est toujours – pour son fils que joue William.

C’est l’humanité de Julien, le travail qu’il a fait sur son histoire et le fait qu’il soit un peu plus apaisé par rapport à ce qu’il a dû traverser, qui fait que le film La vie de ma mère ne juge ni ne condamne personne.

 

Julien Carpentier, réalisateur

 

Pour se lancer corps et âme dans des personnages aussi denses et complexes, il faut s’intéresser profondément à l’Humain ?

Je ne suis pas sûre que tous les comédiens aiment tous leurs prochains… (rires) On pourrait aussi se dire qu’on a besoin de devenir quelqu’un d’autre parce qu’on ne s’aime même pas suffisamment soi-même mais ce dont je suis certaine, et je ne parlerai qu’en mon nom, c’est que l’idée de n’avoir qu’une seule vie, un seul métier, un seul environnement et un seul pays, était et est inconcevable pour moi. Les gens « normaux » qui n’ont pas besoin de montrer des choses et de s’exprimer en permanence me paraissent hyper bizarres ! (rires) Tout autant que je leur semble anormale ! 

Comme quand j’étais petite, j’aime me déguiser, être quelqu’un d’autre, évoluer dans des milieux complètement différents. Être dans un bel hôtel sur la Côte un jour, dans une salle de théâtre avec des musicos roots le lendemain et jouer avec un orchestre classique le surlendemain ! Changer en permanence d’environnement me permet d’apprécier réellement chaque chose à sa juste valeur.

 

 

En parlant de musique, on vous retrouve dans le film en train de chanter dans la scène du karaoké…

Ça m’a bien plu cette scène car c’est vrai que cette partie de ma carrière est un peu moins connue par le grand public alors que je suis régulièrement sur scène pour des concerts et que j’adore ça ! Il y a le flamenco, le fado, l’opéra, le répertoire classique… Là aussi, comme au cinéma, c’est très large et hyper éclectique ! (rires)

 

Un autre premier film, Le dernier des Juifs de Noé Debré…

Je fais beaucoup de premiers films en ce moment et je crois qu’aucun comédien ne refuserait un bon film parce que c’en est un premier. Personnellement, ça me remplit de joie de savoir que de jeunes réalisateurs s’intéressent à moi, à mon jeu et puissent avoir envie de travailler avec moi. En même temps, quand je travaille avec eux, j’ai l’impression d’avoir le même âge ! (rires) Que ce soit Le dernier des Juifs ou Le livre de ma mère, ce sont d’excellents films donc ça rassure sur l’avenir du cinéma français et je ne peux qu’être fière d’en être à l’affiche !

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel à l’Hôtel Spelndid pendant les RCC Cannes / Photos Silex Films / mars 2024

 

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