CINÉMA

Romane Bohringer en interview pour son film « Dites-lui que je l’aime »

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« J’aime vivre le cinéma dangereusement ! » Romane Bohringer

 


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Pour son 2nd long-métrage dans le « rôle » de réalisatrice, Romane Bohringer nous ouvre à nouveau les portes de son intimité, elle, la discrète… Frappée par les similitudes entre l’histoire de la famille de Clémentine Autain et la sienne, elle n’a su résister au désir d’adapter l’ouvrage de la femme politique pour le mettre en images. Mais rapidement, le projet s’est transformé et leurs regards d’enfants délaissées par des mères fragiles aux destins funestes se sont entremêlés. « Dites-lui que je l’aime » nous dévoile – à travers des documents personnels, des souvenirs, des scènes de fiction et des témoignages – le cheminement de ces quatre êtres en quête d’identité qui, à deux époques différentes, tentent de trouver la paix…

 

 

 

 

 


 

 

Romane Bohringer en interview pour son film « Dites-lui que je l’aime »

interview / cinéma / drame / adaptation / autobiographie

  • le 03 décembre 2025 au cinéma
  • de Romane Bohringer
  • avec Romane Bohringer, Clémentine Autain, Eva Yelmani

 

 


 

 

Morgane Las Dit Peisson : Comment vous sentez-vous à quelques jours de la sortie de Dites-lui que je l’aime ?

 

Romane Bohringer : C’est une période tout à fait bouleversante… J’ai mis 5 ans pour faire ce film alors, à quelques jours de sa sortie, aller à la rencontre des gens dans les salles, c’est un peu comme si j’étais hors du temps. C’est un moment de passation, de partage et sans mentir ou vouloir être démagogique du tout, c’est une phase où je me sens presque en convalescence de ces années d’implication. Quand le film sortira, il ne sera définitivement plus à moi, donc il n’y a qu’à l’occasion des avant-premières que je peux encore l’accompagner et découvrir dans les yeux des gens la vérité de sa réception.

Quand je sens le pouls de la salle, c’est vraiment un instant très intense, extrêmement attendu, unique à vivre et presque vital…

 

 

Un 2ème film qui s’intéresse à votre famille et à son intimité, alors que vous êtes une femme pudique et discrète…

 

C’est vrai que c’est très paradoxal ! (rires)Je suis quelqu’un qui, en dehors de mon travail de comédienne, rase les murs et déteste se montrer… J’ai moi-même beaucoup de mal à comprendre pourquoi mes deux films dévoilent tellement mon intimité. L’amour flou a carrément été tourné chez moi, avec mes enfants et tous les membres de notre famille et là, dans Dites-lui que je l’aime, ce sont mes véritables archives et des gens de la vraie vie qui témoignent… Je vous avoue que je me suis demandé comment je pouvais avoir l’outrecuidance de faire ça. Mais c’est plus fort que moi, pour l’instant, en tout cas… J’ai l’impression que je dois connaître étroitement ce que je vais raconter.

Pour ces deux films, c’est à chaque fois parti d’une intime conviction que je saurais parler de ces sujets, puisqu’ils sont mon histoire. Donc c’est un besoin de loyauté, d’honnêteté très poussée qui fait que je n’arrive pas à passer par une autre matière que moi-même pour relater une vérité.

Quand on s’est séparés avec Philippe Rebbot (le père de mes enfants), on a inventé ce drôle d’appartement où l’on vivait, plus en couple, mais tous ensemble. J’ai voulu faire un film sur ça, non pas pour regarder mon nombril – j’en aurais eu honte – mais parce que j’étais persuadée que cette histoire concernait beaucoup de gens. Se séparer mais s’aimer encore, protéger les enfants, leur montrer la voie d’une sorte de paix, de vibration, d’amour… 

C’est parce que j’avais cette conviction que j’ai eu le culot de me raconter comme ça, et c’est exactement la même chose avec Dites-lui que je l’aime, le livre de Clémentine Autain que j’ai adapté. Bien sûr, je passe par un chemin ultra intime en présentant ma mère, en dévoilant de quoi j’ai souffert et comment j’ai essayé de me réparer, mais c’est pour mieux parler de tous les enfants que nous avons été, de toutes les marques qu’on porte et dont on tente de se soigner pour devenir soi-même quelqu’un, une femme, un homme, un parent… Comment se construit-on en dépit des manques, des absences, des choses qui nous ont heurtés et qui restent très prégnantes malgré les années passées.

Si je m’expose ainsi, c’est guidée par l’impression que cette histoire est aussi celle de nombreux enfants silencieux. C’est ça qui me donne de la force. 

 

 

Ce film-là offre une autre lecture du 1er. On comprend pourquoi vous avez tenu à éviter la séparation et l’éloignement à vos enfants…

 

Je n’y avais pas vraiment pensé mais c’est vrai que mon acharnement à ne pas vouloir rompre le lien, à ne pas fabriquer de trauma, d’absence ou de manque, vient certainement de mon expérience… Vous avez tout à fait raison, cette obsession d’inventer un appartement aussi fou résulte sans doute du déséquilibre et de l’insécurité que j’ai ressentie enfant…

C’est drôle ce que vous dites mais c’est exact, un film éclaire l’autre…

 

 

Un film totalement atypique entre biographie, documentaire, fiction, récit, témoignages et archives personnelles où tout cohabite de façon cohérente…

 

J’ai eu peur tellement de fois à cause de cette forme ! L’écriture a été intense pour faire coexister ces quatre récits et ces deux époques. C’était compliqué de trouver la structure du scénario, le maillage de nos histoires… Puis, le montage du film a été une espèce de réorganisation complexe de tout ça… J’aime vivre le cinéma dangereusement ! (rires) Je suis une amoureuse du 7ème art, je voulais faire un film de cinéma qui soit en même temps très ludique.

J’espérais qu’on puisse livrer différemment une histoire aux gens, en les prenant par la main. J’ai veillé à ce que la ligne de récit soit tout le temps la plus claire possible, en revanche, dans la manière de raconter, j’ai eu envie de croire qu’on pouvait être totalement libre avec les formats.

Je rêvais de fiction, je voulais filmer cette femme et cette enfant en les regardant avec ma distance de réalisatrice, tout en ayant un besoin fou de vérité. Les gens qui ont croisé mon destin ont une humanité magnifique, alors j’avais envie de les immortaliser… Je désirais du faux, du vrai, des images, de la fantaisie, de l’enfance… Pendant que j’étais dedans, je n’arrêtais pas de me demander si j’avais le droit de sortir des cadres et de tout m’autoriser, tout en restant bien agrippée à mon histoire.

J’ai voulu le croire en permanence mais, la vérité, c’est que j’ai douté terriblement. Vous ne pouvez pas imaginer les heures d’angoisse que j’ai vécues pour réussir à créer ce que j’avais en tête, cette espèce de film opératique à quatre voix ! 

Avec mes producteurs et mon scénariste, on s’est raccrochés à l’idée qu’on pouvait faire du cinéma comme on voulait. On a eu raison d’y croire car aujourd’hui, je suis absolument bouleversée en voyant que c’est un objet qui arrive à parvenir au cœur des gens, qui leur fait écho à leur histoire, à leurs enfants, à leur maman, à leurs joies, à leurs peines, à l’envie de se faire un câlin, de se dire qu’ils s’aiment, à pardonner, à regarder autrement.

 

 

Ce n’est pas un film à charge contre vos mères, à Clémentine Autain et vous, mais un film sur la compréhension des femmes qu’elles ont été…

 

C’est juste ce que vous dites, maintenant que je vois le résultat dans son ensemble, je comprends mon propre film. Ça me fait penser à la lune… En la regardant un soir, on ne voit qu’un petit croissant, puis un quart, puis un autre jour, on l’admire dans toute sa rondeur. Le film m’a permis de voir mon histoire dans son intégralité.

Il y a tout un moment dans la vie où l’on est en construction et où l’on a besoin de déployer tellement de forces qu’on ne peut pas s’accorder le temps de la compréhension totale… Et puis, on s’accroche aussi à ce qui nous aide à avancer, comme le rejet, l’oubli ou la colère. À un moment donné, le chemin se fait et on est un peu plus aptes à observer les choses sous différents points de vue et prêts à regarder ceux qui étaient les « adultes » avec plus d’empathie. Mais c’est grâce aux années qui passent qu’on peut prétendre à ça. Quand on est jeunes, on ne réalise pas la difficulté que c’est d’être un parent, d’être celui qui se doit d’être fort et inébranlable…

Le livre de Clémentine retrace toute cette volonté de comprendre, et je n’ai fait que le suivre comme un guide pour tenter d’expliquer qui étaient ces deux femmes, nos mères.

 

C’est aussi un film de « sensations » et de détails…

 

J’ai vraiment essayé de rendre compte de ce dont Clémentine et moi, nous nous rappelions… Il y a des choses très précises dans ses souvenirs. Elle a en mémoire des scènes entières donc ça m’a permis de déployer de la fiction pour recréer ces moments. Chez moi, c’est beaucoup plus morcelé, alors j’ai cherché une manière organique et cinégénique de décrire ce que c’est que de n’avoir qu’une sensation ou un flash, sans souvenir complet et sans visage. Le manteau Camel de cet homme dont la présence m’avait tellement dérangée… Un peu trop chic dans cet endroit qu’était l’appartement de ma mère… Je ne me demandais ce qu’il faisait là, pourquoi je ne pouvais pas monter…

J’ai vachement essayé de restituer ça, la sensation des pieds qui collent sur le carrelage sale et froid, le vieux pot de moutarde qui sèche à l’air libre et qui me dégoûte… Pourquoi je me rappelle de ça plutôt que de moments plus importants passés avec ma mère ? Je me suis beaucoup interrogée là-dessus et c’était difficile à mettre en image.

 

 

J’imagine qu’on ne peut pas ressortir d’une telle réalisation indemne…

 

J’ai une espèce d’immense sensation d’accomplissement à titre personnel, en tant que « fille »… J’ai l’impression d’avoir rendu justice, quelque part, à ma maman et de lui avoir rendu sa place dans mon existence. Et puis, ça a changé aussi quelque chose chez la mère que je suis aujourd’hui, car j’ai délivré un récit à mes enfants qui, je crois, leur donnera de la force. Et puis, comme réalisatrice, j’éprouve une sorte de fierté d’avoir réussi à fabriquer un objet de cinéma atypique, assez inattendu et périlleux qui semble communier avec les gens.

J’arrive à mieux parler en faisant des objets, des films et des pièces de théâtre que dans la vraie vie ! (rires)

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson à l’Hôtel Le Splendid pendant les RCC de Cannes pour Le Mensuel / Photo Escazal Films

 

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