COUPS DE COEUR

Waly Dia en interview pour la tournée du spectacle « Une heure à tuer »

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« On ne censure plus purement et simplement mais on complique… » Waly Dia

 


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À défaut de plaire aux institutions et à certains médias traditionnels, il convainc le public. Et c’est bien là l’essentiel ! Avec Une heure à tuer, Waly Dia dresse un état des lieux sans concession de notre époque, armé d’un humour aussi tranchant que salutaire… Comédien à l’aise à l’écran comme sur scène, il insuffle à son stand-up des moments de pure incarnation qui rappellent l’étendue de son talent tout en renforçant son propos. Car s’il est drôle, ce n’est jamais gratuit ou au détriment de ses idées. À force de pointer les incohérences de notre société – et de ceux qui la dirigent -, l’affiche de son spectacle, jugée trop provocante, avait même été interdite dans le métro ! Heureusement, ça ne l’a pas empêché d’avancer, de remplir les plus grandes salles de France, de créer un festival d’humour pour démocratiser l’accès à la culture en banlieue parisienne, ni de projeter de passer, bientôt, derrière la caméra…

 

 


 

 

Waly Dia en interview pour la tournée du spectacle Une heure à tuer

humour / stand-up / one-man

 

 


 

 

 

Énormément de dates s’enchaînent dans de grandes salles…

Waly Dia : Pour l’instant, c’est la meilleure tournée que j’ai faite et je crois que je ne réalise pas encore très bien. Remplir des Zénith peut être impressionnant alors pour ne pas me mettre de pression inutile, j’essaye de les considérer comme des salles « normales ».

Je ne me pose pas plus de questions parce que je ne veux pas accorder trop d’importance au nombre. L’enjeu est le même dans une salle de 200 personnes, donc je tente de relativiser comme ça… Ça ne marche pas tout le temps ! (rires)

 

Il faut que personne ne se sente délaissé dans l’immensité de la salle…

C’est vraiment le point qui change par rapport à une salle plus intimiste. Il faut élargir le jeu, prendre plus de place, plus de temps, plus de hauteur et plus de voix. C’est un autre rythme à adopter. Un rire qui dure 3 secondes dans une petite salle en aura besoin de 7 ou 8 dans une grande. J’aime bien, ça permet de ne pas être contraint de réagir au quart de tour. Et puis, quand je rentre dans un personnage, ceux qui ne sont pas au premier rang voient presque mieux les mimiques grâce aux écrans ! (rires) C’est un exercice intéressant, car ça me fait sortir de ma zone de confort en jouant différemment.

 

 

Que ce soit une grande ou une petite salle, est-ce qu’on s’habitue au fait que les gens fassent le déplacement pour nous ?

En réalité, j’ai compris que les gens ne viennent pas pour moi, mais pour ce que je dis, et ça change tout. C’est le travail que je fournis qui fait qu’ils sont là, ce n’est pas ma tête ou mon nom. Si je racontais autre chose, beaucoup ne feraient pas le déplacement… En être conscient permet de prendre du recul et de ne surtout pas se prendre pour quelqu’un d’autre ! Et puis, c’est la preuve que le travail paye…

 

Être conscient de ça permet de garder les pieds sur terre et d’être juste…

Oui, surtout avec les sujets que je traite… Il faut obligatoirement être renseigné pour être certain de la balle qu’on lance ! (rires) Il y a tellement d’experts bien plus informés que moi, que je suis constamment forcé de me remettre en question sur ce que je pense et sur ce que je crois. Tout évolue vite, les situations changent en permanence, alors il ne faut pas être trop sûr de soi…

 

Un spectacle qui tourne depuis début 2024 tout en s’adaptant à l’actu ?

Le fait de bosser l’actu depuis des années m’a fait réaliser que c’est vraiment un cycle qui se répète. Il n’y a pas forcément de grand bouleversement, il y a des changements de ministres ou de secrétaires d’État, mais le processus reste le même : les prix augmentent, les services publics se détériorent, il y a une menace de guerre permanente…

C’est pour ça que dans mon spectacle, je me penche sur les phénomènes au long cours plutôt que sur le nom des gens.

Pour les chroniques avec de l’actu immédiate, je suis obligé de m’intéresser aux personnalités, mais sur scène, je ne peux pas raisonner comme ça au risque de périmer le spectacle tous les six mois ! (rires)

 

« C’est le public qui décide et s’il s’empare de quelque chose, ça devient imparable ! » Waly Dia

 

C’est la tournée dont tu es le plus satisfait alors que c’est celle qui a commencé le plus étrangement, avec une interdiction d’affichage dans le métro… C’est la preuve que les Français en ont marre qu’on leur impose des choix…

C’est exactement ça. On s’imagine que le public est une espèce de chose uniforme qui suit ce qu’on lui dit de faire et de penser, alors que ce n’est pas le cas ! La preuve avec ces milliardaires qui sont obligés d’acheter des médias pour tenter de faire passer leurs idées… Sans ça, les gens ne les écouteraient pas !

Ils ont besoin d’une propagande permanente et lorsqu’il y a un contre-discours, ils font en sorte d’essayer de le bloquer… C’est bien le signe que les Français ont encore un libre arbitre.

C’est tout le paradoxe, aujourd’hui je suis du « mauvais » côté alors que je n’en ai pas l’impression ! J’ai plutôt tendance à dire que la guerre c’est pas fou, que la misère ce n’est pas bien et que le viol c’est mal… Je n’ai pas la sensation de dire des trucs complètement aberrants ! Mais apparemment ce ne sont pas des propos auxquels on a envie de laisser de la place…

 

 

C’est un poncif mais la scène apparaît comme le dernier endroit de liberté…

Le problème que beaucoup commencent à avoir, c’est que pour pouvoir remplir les salles, il faut passer par des canaux qui sont de plus en plus obstrués. Même les réseaux sociaux qui promettaient une certaine liberté ont cédé… Aujourd’hui, je le vois dans l’algorithme, je suis complètement effacé, donc si les gens ne partageaient pas massivement ce que je fais, ce contenu n’existerait quasiment pas…

C’est le public qui décide et s’il s’empare de quelque chose, ça devient imparable.

 

On n’est pas très loin d’une forme de censure…

On est dans de l’empêchement. Le mot « censure » ne sera jamais placé comme il faut parce qu’on nous rétorquera le non-respect de telle ou telle règle. On ne censure plus purement et simplement mais on complique, on trouve toujours que c’est contraire à une morale, que ça enfreint un principe de laïcité, que ça ne respecte pas la République… Mais dans le fond, c’est marrant car leurs procédés en disent plus sur eux que sur nous.

 

Le plus difficile dans un cas comme le tien c’est de savoir comment se frayer un chemin sans se trahir… 

Ça a été ça le plus dur : essayer de comprendre cet exercice et de maîtriser l’outil, avant de s’aventurer sur ces terrains-là. Si tu te prends les pieds dedans, c’est aussitôt fini. Donc il faut acquérir de l’expérience, en faire vraiment un métier et en vivre pour pouvoir t’y consacrer, sans pour autant être confortable non plus ! Il faut rester crédible et avoir toujours des choses à dire et à défendre.

C’est une navigation difficile, mais qui, ces derniers temps, fait des émules. Il y a un truc qui se libère parce que le contexte, le climat, le discours et les attaques sont devenus insupportables pour beaucoup de gens. J’ai l’impression qu’on n’a plus d’autres choix que de se dresser contre.

 

 

Tes observations sont jouissives et libératrices…

Je pense que c’est ça qui rapproche les gens sur ce spectacle. Moi j’ai le temps de résumer ce qui se passe, c’est mon boulot de faire de la formule autour de tout ça pour que ce soit impactant, mais je remarque que c’est ce qui traîne dans la tête des gens… Tout le monde n’a pas le loisir d’analyser toute la journée ce qu’il se passe, mais tout le monde l’a dans le crâne et le ressent, même si tout le monde ne peut pas le formuler…

Ce que les gens me disent souvent, au-delà du fait de bien se marrer, c’est qu’ils se retrouvent dans mes propos. Si, dans une salle, on est déjà des milliers à tendre vers la même direction alors qu’on ne pense pas tous pareil et qu’on n’a pas les mêmes vies, c’est que c’est symptomatique d’un problème profond. Et pourtant, ce que je défends n’a rien d’extraordinaire, ce ne sont que des valeurs comme la tolérance et le partage…

C’est intéressant de les rappeler et de voir qu’on est beaucoup à y adhérer, ça rassure ! (rires) Ce n’est qu’une goutte d’eau dans le processus, mais ça fait du bien.

 

« Ça me fait du bien de sortir de moi-même… » Waly Dia

 

Sur scène, on a un format stand-up qui inclut du jeu et des personnages qui surgissent…

J’ai vraiment envie de ça… Je m’éclate quand un personnage prend possession de l’espace. Ce ne sont pas des grands sketchs, ce sont des petites minutes par-ci, par-là mais ça me fait du bien de sortir de moi-même en forçant évidemment le trait. Et même quand je parle à la première personne, désormais, je joue aussi. J’ai la sensation d’avoir fait le tour du pur exercice stand-up.

J’ai besoin de comédie, j’ai besoin de jouer, j’ai besoin de casser le rythme et je trouve que ça rend le spectacle plus vallonné. Il s’y passe plus de choses, il y a plus de phases, et je crois que ça le rend aussi plus agréable à suivre grâce aux nombreuses variations. Ça permet aux spectateurs de pas être lassés d’un certain flow.

 

 

On (re)découvre un véritable savoir-faire de comédien…

Je suis ravi parce que même si c’était déjà un peu plus présent dans le précédent spectacle, c’est vraiment la dimension que j’ai voulu donner à celui-ci parce que ça m’amuse ! (rires) En ce moment, ce qui m’éclate c’est de faire l’abbé Pierre parce que c’est gênant tant on avait une image immaculée et parfaite de lui…

 

On te connaît aussi comme comédien en télé et au cinéma. C’est « reposant » de ne pas tout avoir sur les épaules comme en seul en scène ?

Alors oui, à condition de vraiment trouver des équipes de confiance. C’est le revers de la médaille à force de tout contrôler quand tu es seul et que tu as l’habitude d’avoir le fin mot… C’est pour ça que j’en fais peu et surtout que je les choisis avec soin. Une fois que c’est tourné, ton travail ne t’appartient plus donc j’ai vraiment besoin de bosser avec des gens avec qui je suis en phase. Il est essentiel qu’on ait une vision commune car je n’ai pas envie de faire quelque chose qui dénote de ce que je raconte et de ce que je défends au quotidien.

Tourner pour quelqu’un c’est accepter l’idée de faire confiance à une personne qui ne sait pas totalement où elle va non plus ! (rires) Elle a une idée, une envie mais elle doit elle aussi faire face à une part d’inconnu…

 

 

Ça ne t’a jamais donné des idées de réalisation ? 

Si, ça commence à germer… J’attendais vraiment d’observer et de comprendre comment ça marchait. J’ai eu besoin de prendre mon temps, d’acquérir de l’expérience sur les tournages et de regarder les films d’un autre œil… Je pense que c’est le bon moment pour sortir quelque chose, avant ça aurait été trop brouillon. Mais je ne suis pas pressé… Ou plutôt, je ne le suis plus ! (rires)

Maintenant, je veux juste faire des choses qui me font plaisir et qui me rendent fier donc je prends mon temps… Des choses sortiront après l’exploitation de ce spectacle et je pense que ça va être cool !

 

Créateur et entrepreneur dans l’âme, tu as monté le Festival d’humour de Saint-Denis

J’habite à Saint-Denis et je voulais faire naître ce truc-là sur ce territoire que je connais depuis l’enfance. Culturellement, c’est complètement délaissé. Les artistes ne viennent pas, il n’y a pas forcément les structures pour les accueillir, c’est une ville stigmatisée dans tous les sens et parfois, à juste raison malheureusement.

Je ne suis pas dans l’angélisme non plus mais une ville a toujours plusieurs visages et moi j’y ai fait mon petit monde. Il y a des gens qui, comme moi, ont soif de spectacles et ça se voit à la fréquentation du festival alors qu’on n’arrive qu’à la 3ème édition !

Et puis, je tenais à ce qu’on ne propose pas des places à 50€ alors la ville joue le jeu, les artistes aussi et on offre réellement un accès à la culture… On ne peut pas se permettre des folies mais l’équilibre financier est là, bien que les « bénéfices » aillent directement au Trésor public ! (rires)

À l’inverse des Bernard Arnault et compagnie, je n’ai aucun problème à ce que l’argent soit prélevé si c’est pour le redistribuer intelligemment… Mais ça reste à prouver ! (rires)

 

 

Il y aurait beaucoup de choses à revoir…

Ce qui est certain c’est qu’augmenter les bas salaires permettrait de stimuler la consommation et donc à l’économie de mieux se porter… Là, on ne change rien et on fait des cadeaux aux grandes entreprises qui se gavent en continuant à licencier…

Donc on sait que ça ne marche pas, mais on continue, on y va tout droit et on refuse de taxer les plus aisés sous prétexte qu’ils vont partir ! Mais ils se sont déjà barrés depuis longtemps et les entreprises avec !

On a des Bruno Le Maire qui nous ont expliqué pendant 7 ans ce qu’il fallait faire et qui sont partis comme des lâches une fois que le bilan s’est avéré catastrophique…

Dans n’importe quelle entreprise, quelqu’un qui gère comme ça se ferait rapidement virer mais eux restent… Et puisqu’ils n’ont ni honneur ni décence, ils osent en plus nous faire des leçons et on s’étonne que les gens soient énervés ! (rires)

 

« Je décale ma colère et je la passe par le tunnel de l’humour… » Waly Dia

 

Comment faire de ce qui t’exaspère une matière drôle ?

C’est une formation de l’esprit. À un moment, je décale ma colère et je la passe par le tunnel de l’humour… Je crois que c’est un instinct de protection, ça permet de moins la ressentir, de moins me faire mal. On souffre quand on est toujours dans cette espèce de crispation, de méfiance et d’angoisse.

C’est très mauvais pour la santé et ma protection à moi, c’est d’en faire des vannes et de réduire ça à de la logique. C’est ce qui m’apaise…

 

Tes propos dont factuels et très renseignés…

Sur des sujets comme ça, on ne peut pas se permettre de parler à tort et à travers. Pourtant, j’ai l’impression que ça se perd la preuve par les chiffres et les faits. Quand Trump raconte n’importe quoi, juste parce qu’il le dit très fort à des gens qui l’écoutent, ça devient une vérité.

Le problème c’est qu’en face, quand on veut s’opposer, on est souvent trop lisse, on manque de vices. Pour être efficace, on a peut-être besoin de moins jouer au « chevalier blanc ». Je ne parle pas de choses graves mais moi, j’ai mes petits procédés de filou ! (rires) Je sais qu’on se rapproche parfois du sophisme, mais ce n’est pas un drame, ça marche et le message passe pour contrer une idée complètement conne à la base !

À un moment donné, ça ne sert plus à rien de tout intellectualiser quand en face, on a des idiots de plusieurs villages ! (rires)

 

 

La 1ère chose qui t’a attiré, c’était jouer, faire rire, dénoncer ?

C’était un peu tout à la fois… Dans la vie, je suis quelqu’un d’assez discret mais j’ai toujours aimé la scène, l’idée du jeu… Et puis, les humoristes qui me faisaient rire étaient ceux qui avaient un fond assez intense. J’avais plein d’injustices et de problématiques en tête, j’aurais pu les sortir en musique ou en livres mais la formule la plus divertissante, pour moi, était celle-là…

 

Le rire utile…

Ça, je ne sais pas mais en tout cas, ça m’est utile à moi ! (rires) Et peut-être un peu aussi à ceux qui viennent dans les salles. Mon véritable objectif, c’est d’être marrant. Pour le reste, je laisse les gens trouver et piocher ce qu’ils veulent, car je n’ai aucun objectif politique ou idéologique.

 

Un seul truc mensonger : le titre…

(rires) Une heure à tuer… Au début, j’y étais presque ! Il durait 1h15 et puisqu’on me donne de la matière en permanence, il se prolonge jusqu’à faire quasiment 2h… On a clairement dépassé l’heure ! (rires)

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photo David Delaplace

 

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