INTERVIEW

Tryo en interview

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Plutôt que de proposer un banal best of, c’est dans le titre Adulescent – extrait du dernier album Vent debout – que le groupe Tryo a retracé son parcours et l’amitié qui lie ses membres depuis désormais 22 ans… Fidèles tant à leur public, à leurs idéaux qu’à eux-mêmes, les cinq compères – dont seulement quatre sont visibles sur scène – n’ont jamais changé ni de style ni de discours toutes ces années. Déçus par notre société sans pour autant être désabusés, les messages qu’ils délivrent prônent une logique et une combativité que nos peuples occidentaux ont eu une tendance à mettre de côté.

Au Cannet le 24 mars 2017

 


« Tout ce qu’on souhaite, c’est que les gens reprennent la parole et laissent se réveiller l’âme citoyenne qu’ils ont en eux ! »


 

Morgane Las Dit Peisson : Tu es actuellement en pleine tournée avec Tryo…

Guizmo : C’est une tournée qui a commencé l’été dernier – donc avant même que le nouvel album Vent debout ne sorte – car on avait vraiment besoin de retrouver un contact avec les gens… C’était l’après attentat, les morceaux de l’album étaient prêts, on n’avait pas refait de festivals depuis longtemps alors c’était l’occasion de relâcher un peu la pression. Habituellement, les artistes doivent attendre les premiers retours sur les ventes d’albums pour mettre en place une série de concerts et on réalise, avec Tryo, le privilège que l’on a d’avoir un public qui est toujours au rendez-vous même sans grande promotion, c’est extrêmement touchant !

La tournée se passe très bien et ça fait d’ailleurs 22 ans maintenant que tout se passe bien…

C’est ça… 22 ans ! (rires) On réalise la chance que l’on a que ça dure comme ça, album après album même si très franchement, on n’a pas vu ces années passer ! Il n’y a qu’à des moments un peu spéciaux et des échéances comme des anniversaires ou des sorties d’albums que l’on s’aperçoit du chemin parcouru, sinon on avance sans se préoccuper du passé. En général, on est vraiment tous bien ancrés dans le moment présent, on le vit pleinement sans trop regarder en arrière et sans essayer de se projeter non plus. 

À notre époque, on est nostalgique et angoissé par l’avenir mais on délaisse beaucoup ce présent…

Oui et c’est exactement ce qu’on essaye de mettre en valeur dans notre album… Il faut que l’on arrive à reprendre la main sur nous, sur ce qu’on fait, sur ce qu’on vit, sur ce qu’on est… À force d’être axé sur l’avant et l’après, on est devenu peureux et notre pays finit, petit à petit, par se replier sur lui-même. On ne prend plus le temps de bien se connaître nous-mêmes alors il nous est impossible d’apprendre à bien connaître l’autre. 

Ça signifie qu’on peut, par petites touches, changer durablement les choses…

On est très optimiste chez Tryo ! (rires) Même si on part souvent de constats peu réjouissants, on reste persuadé que l’on peut tous, en effet, changer la donne. Il faut se sortir de l’esprit qu’on doit tout attendre des hommes politiques et ça je crois que c’est vraiment l’ADN de notre dernier album.

Dès le 1er titre de l’album, Souffler, le ton est donné…

(rires) On n’y va pas par quatre chemins, c’est vrai ! Mais quelque chose me dit qu’on n’a plus le temps pour ça. D’ailleurs, on l’a vu avec les primaires, quand on dit dans ce titre « Éléphants fatigués laissez la place », ça reflète bien ce que le peuple attend, il nous faut du changement et ça ne peut pas nous faire de mal. Et en même temps, nous qui sommes purement de gauche, on fait partie des déçus et actuellement, on se sent beaucoup plus proches de certaines associations comme Le chant des colibris que de nos représentants politiques. Alors c’est sûr qu’on ira voter car c’est autant un droit qu’un devoir inaliénable, mais on a un peu de mal à savoir pour qui… Si les gens se détournent, ce n’est pas qu’ils ne s’intéressent plus à leur pays mais c’est qu’ils ne se retrouvent plus dans la politique qui leur est proposée alors tout ce qu’on souhaite, c’est que les gens reprennent la parole et laissent se réveiller l’âme citoyenne qu’ils ont en eux.

Le titre Chanter rappelle combien la liberté d’expression peut être, même en France, très fragile…

Daniel, notre percussionniste, a été un réfugié politique qui a fuit la dictature de son pays après avoir vu des artistes se faire condamner au silence… La liberté d’expression fait peur à certaines personnes prêtes à tout pour l’étouffer et c’est vital de se rappeler que même en France, elle n’est pas un acquis. C’est quelque chose que l’on doit protéger et chérir car, on le voit par exemple dans ce que nous proposent les médias, les chansons engagées sont très rarement représentées au détriment de choses beaucoup plus futiles et légères… Parler de censure serait exagéré mais il faut rester vigilant.

Qatar 2022 n’a pas dû plaire aux millions de supporters…

Pour le sacro-saint football – et pourtant j’aime ce sport, je regarde des matchs, j’y ai joué plus jeune  et je fais encore des parties avec mes enfants – et sa puissance économique, on est prêt à tout et à tout laisser faire… Les gens ne sont pas si dupes et se rendent bien compte des abus qu’il y a autour de cette Coupe du Monde mais laissent quand même faire parce que ce foot est devenu une manne financière intouchable ! Amnesty International va lancer une campagne contre ce scandale tant humain qu’écologique ! On ne devrait pas, pour notre petit plaisir, accepter l’esclavagisme et l’illogisme qui ont accompagné la construction d’un stade… 

 

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Yann Orhan

Interview n°1011 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°379 éditions #1 et #2

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