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INTERVIEW

Stéphane Guillon en interview

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S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas reprocher à Stéphane Guillon, c’est la fadeur ! Depuis ses premiers pas comme chroniqueur chez Canal +, Comédie ! ou encore France Inter, celui qui était avant tout – on a trop tendance à l’oublier – comédien, s’est hissé, en un peu moins de 20 ans, parmi les personnalités médiatisées à la fois les plus attirantes et les plus exaspérantes. Réussissant à ne laisser personne indifférent à ses propos, ceux-ci ne lui ont pas uniquement valu la reconnaissance du public mais qu’importe les remerciements (dans les deux sens du terme), rien ne parvient – fort heureusement – à bâillonner celui qui, avec plus de panache que le commun des mortels, réussit à extérioriser ce que nous sommes nombreux à penser sur les aberrances d’une société que nous avons nous-mêmes façonnée…

⇒ À Nice le 28 février 2017
⇒ À Puget sur Argens FESTIVAL LES 3J le 24 mars 2017
⇒ À Contes le 01 avril 2017

 


« Une personne dans une salle est déjà un petit miracle et ça, ça exige qu’on le récompense en ne choisissant jamais la facilité… »


 

Morgane Las Dit Peisson : Après plus de trois mois à Paris, comment se sent-on quand la fin approche ?

Stéphane Guillon : Honnêtement, c’est un mélange d’émotions… On est à la fois content d’être arrivé au bout parce que jouer aussi longtemps à Paris de nos jours, c’est devenu une prouesse, on est très heureux et soulagé aussi que ça se soit si bien passé, qu’il y ait eu autant de monde et puis fatalement, on est également un peu triste de sentir que la fin est proche. Terminer quelque chose – surtout d’aussi positif – ça inspire inévitablement une certaine nostalgie…

La salle du Théâtre Dejazet a affiché complet quasiment chaque soir du 14 octobre au 31 décembre 2016…

Oui alors que ce n’était qu’une prolongation, c’est ça qui est complètement incroyable ! Ce spectacle Certifié conforme, je l’avais déjà joué de janvier à fin avril dernier sur Paris avant de partir en tournée, alors remplir de nouveau pendant trois mois et demi avant de repartir sur les routes, c’était inespéré ! D’ailleurs, on n’en a pas complètement terminé avec la Capitale puisqu’on va revenir au Trianon pour trois ultimes dates, dont celle du soir de l’élection présidentielle… (rires) Il n’y avait plus que ces soirs là de disponibles alors je me suis sacrifié… (rires)

Quand on s’aperçoit chaque soir que la salle sera pleine, ça procure quoi comme sentiment ?

Déjà, ça veut dire que je ne suis peut-être pas encore totalement ringard et qu’à 53 ans, j’arrive encore à remplir des salles… (rires) C’est une boutade mais quelque part, je suis quand même un peu persuadé que l’humour est quelque chose qui a une limite de péremption. Il y a je crois, un moment où l’on n’est plus vraiment dans le coup alors savoir que les gens sont toujours aussi présents dans les salles me laisse penser que je le suis peut-être encore un peu… (rires) Et évidemment, au-delà de ça, savoir que le public est resté fidèle, ça me touche énormément…

Certains ont parlé de retour mais trois ans entre deux spectacles, c’est tout à fait honorable…

Oui entre la fin de Liberté (très) surveillée et le début de Certifié conforme, il ne s’est finalement passé qu’à peine trois ans mais je trouve que c’est bien, c’est ce qui est nécessaire, pas plus, pas moins… Il ne faut pas perdre la main mais il faut réellement aussi avoir des choses à dire.

Qu’est-ce qui fait qu’on est toujours aussi inspiré au fil des années ?

Dans mon cas, pour le coup, c’est assez simple ! Il me suffit d’allumer ma télévision ou ma radio ! (rires) Quand on pratique mon type d’humour, il suffit malheureusement d’écouter nos politiques à longueur de journée… Ils sont étrangement beaucoup plus drôles que nous, humoristes ! Parfois, ça ne nous donne même pas de boulot, il ne nous reste qu’à recopier ! (rires)

Le soir de l’élection de François Hollande, vous avez offert des roses à votre public, il fallait y voir un soutien, une tendance politique ?

Non, d’ailleurs depuis, je ne me suis pas gêné pour lui taper dessus ! (rires) Distribuer des roses à l’Olympia était plus une forme d’ironie mais certainement pas un appui… Je sais que certains y ont vu ce qu’ils voulaient y voir mais je n’ai jamais soutenu François Hollande, ni en interview, ni en me rendant dans des soirées électorales car ce n’est pas mon rôle. Le mien, c’est de faire rire, faire réagir et faire réfléchir sur ce monde politique mais pas de guider la pensée des gens.

Voir partir Nicolas Sarkozy a été perturbant tant il a été une mine d’or pour de nombreux humoristes ?

Oui et non parce que Sarko finalement, ne part jamais vraiment ! Il nous le fait croire mais il revient à chaque fois, c’est un peu le Charles Aznavour de la politique, ce sont toujours de fausses sorties ! (rires)

Votre intérêt pour la politique a grandi avec votre métier de chroniqueur ou c’est quelque chose que vous aviez toujours eu en vous, même à l’époque où vous commenciez comme comédien ?

Je pense que ma période à France Inter m’a beaucoup politisé dans le bon sens du terme c’est à dire qu’il fallait traiter l’événement politique du jour et de facto, je m’y suis intéressé de plus en plus à ce moment là et en même temps, je serais tenté de dire que tout est politique… Tous les sujets sont politiques que ce soit la famille, la pollution, la santé… Tout… Tous les sujets de la vie courante sont politiques finalement. Qu’on nous laisse respirer de la merde et qu’on nous empoisonne avec des particules fines sans rien faire, c’est politique, c’est uniquement dans l’espoir d’avoir moins de retraites à payer à l’avenir, c’est pour qu’on crève plus tôt ! (rires)

C’est ce qui est dramatique finalement, tout est politique mais les hommes politiques font en sorte de se placer comme une race à part…

C’est certain qu’en soi, on ne devrait pas faire une distinction entre eux et nous, ils devraient vivre comme nous, c’est un de mes rêves les plus profonds… (rires) Mais c’est surtout une utopie ! On le voit bien aujourd’hui en fin de mandat car ce n’est que ce que nous avait promis Hollande, une présidence normale… Il nous a fait miroiter qu’il mettrait un terme à toute cette gabegie qui entoure la fonction présidentielle mais ce n’était juste qu’une belle idée qui a pourtant fait ses preuves dans d’autres pays comme les pays nordiques. On a eu l’espoir de voir arriver un citoyen lambda mais je pense malheureusement que le pouvoir du Président, tel qu’il existe actuellement dans la Vème République, est tellement fort que cette monarchie constitutionnelle est quasiment inévitable. Je crois que lors de son élection, François Hollande a été sincère et qu’il désirait réellement changer les choses en échappant à ça mais en fin de compte, j’ai l’impression que tout homme politique finit par se laisser piéger par tout cet apparat, ce Palais de l’Élysée et tout ce qu’il y a autour. Ce doit être extrêmement enivrant pour qu’ils finissent tous par y céder…

Patrick Chesnais nous disait, à propos de la pièce Le souper, que les hommes politiques sont des assoiffés de pouvoir qui, en se servant eux-mêmes, finissent parfois par servir leur Nation…

Ils nous servent peut-être à l’occasion en effet mais je demande à voir… (rires) Par contre, je me méfie du « tous pourris » car c’est très dangereux. Je pense qu’il y a des hommes politiques formidables mais il faut aller les chercher dans les mairies et dans les provinces car dès que vous arrivez à un très haut niveau dans ce domaine, je pense que vous finissez par céder et vous vous faites rattraper par l’aspect grisant du pouvoir et tout ce que ça impute…

Certifié conforme à quoi ? À vous ? À la réalité ?

Dans Certifié conforme, il y a en effet un double sens. J’ai voulu imaginer un spectacle qui puisse plaire à tout le monde et qui du coup soit certifié conforme autant par les Républicains, le Parti Socialiste, les djihadistes, la SPA, la Licra que la Ligue des Droits de l’Homme etc donc c’était évidemment un pied de nez et puis, dans le titre de ce spectacle, je voulais garantir également que c’était bien du Guillon certifié ! (rires)

Le précédent s’intitulait Liberté (très) surveillée et vous avez été la preuve vivante que la liberté d’expression à la télé ou à la radio, même en France, se paye… La scène reste le dernier endroit de véritable liberté aujourd’hui ?

Oui je crois que c’est un des derniers endroits de vraie liberté mais je trouve ça également intéressant de foutre un peu le bordel et de transgresser la radio et la télévision… Il y a encore quelques possibilités pour le faire… Moins certes puisque les chaines sont rachetées par des grands groupes qui mettent assez vite le curseur quand ça vient toucher leurs intérêts à eux, je l’ai vécu à différentes occasions. Ils veulent bien que l’on fasse rire mais il ne faudrait pas que ça déborde, par contre le rôle de l’humoriste c’est justement, à ce moment là, de transgresser, de franchir la ligne jaune alors que celui du patron sera d’avoir l’air outré… C’est une mascarade tout ça ! (rires)

Bien entendu vous parlez de politique et d’actu dans Certifié conforme mais pas seulement…

Comme dans Liberté (très) surveillée, je me permets en effet de parler un peu plus de moi, en tous cas plus ouvertement mais je crois qu’en réalité, dans n’importe quel sketch, je parle quelque part un peu de moi, de mes peurs, de mes craintes, de mes indignations, de mes révoltes… Par contre, c’est juste de préciser que Certifié conforme n’est pas qu’un spectacle politique, j’aime énormément mon travail de comédien, j’adore donner vie à des personnages, jouer véritablement des rôles tout en alternant avec un côté un peu plus stand-up qui me permet de m’adresser directement au public. Mes influences, ce sont vraiment Philippe Caubère pour l’incarnation des personnages et Pierre Desproges pour la qualité des textes… Quitte à avoir des références, autant qu’elles soient hautes ! (rires)

Je crois que de nos jours, si on ne fait qu’un spectacle de personnages, le public finit par s’ennuyer parce qu’à un moment donné il a besoin qu’on lui parle de lui mais a contrario, si on ne fait qu’un spectacle où l’on s’adresse uniquement à lui comme beaucoup le font désormais, il décroche car ça devient vite rasoir… Je crois que cette alchimie, ce mélange de sketchs et de moments parlés – comme je l’ai toujours un peu fait et comme le faisait si bien Guy Bedos -, c’est la bonne recette si tant est qu’il y ait une recette pour faire rire les gens ! (rires)

En parlant en partie d’actualité, vous n’avez pas choisi la facilité car ça demande à retravailler constamment le spectacle…

La base du spectacle non – heureusement (rires) – mais c’est vrai que se lancer dans ce type d’humour nécessite de lire chaque jour le journal et de s’intéresser régulièrement aux nouvelles fraiches pour avoir l’actualité immédiate au moment de monter sur scène ! Les gens aiment bien être en prise directe avec ce qu’il se passe, c’est d’ailleurs ce qui les fait le plus rire !

C’est loin d’être la partie la plus reposante si tant est que monter sur scène puisse l’être…

Je crois que vous avez raison, quand on fait quelque chose et qu’on essaye de le faire bien – en tous cas le mieux possible – ce n’est pas reposant… Ce que fait Florence Foresti par exemple, bien qu’elle soit dans un tout autre registre, n’est pas reposant non plus car si on fait les choses à fond, il faut être capable de se donner complètement donc être prêt à fournir un gros travail d’écriture, de préparation, de répétitions, de jeu et d’y aller même quand on n’a pas envie et qu’on est fatigué

Et même quand on n’a pas envie, un soir, de monter sur scène, quand on y est, tout s’oublie ?

C’est toujours un mystère car même quand parfois il m’est arrivé de ne pas avoir envie de monter sur scène, j’ai réussi à y aller, à tout oublier et à prendre du plaisir. Comme disait Michel Serrault, un succès est une tragédie et c’est vrai que tout à coup, devoir se retrouver sur scène quand vous êtes claqué ou malade, c’est dur ! (rires) Certains vous diront qu’ils ont toujours envie, qu’ils ne sont jamais lassés mais franchement, ils vous baratinent ! Il faut être honnête, quand vous jouez 100 ou 200 fois d’affilée le même spectacle et que vous répétez les mêmes mots, il y a des soirs où vous avez moins envie que d’autres et où vous aimeriez bien rester tranquille chez vous, devant la télé, mais c’est humain. C’est relativement rare mais il ne faut pas nier que ça arrive… Par contre, c’est vrai que sur scène, il y a une magie qui n’existe nulle part ailleurs… Il m’est arrivé d’y aller complètement fracassé et tout à coup, l’énergie des gens m’a porté. Il ne faut jamais oublier que les gens sont là pour la première fois, ils s’en foutent, eux, de savoir que vous avez fait un spectacle génial la veille ! Ils ont une fraicheur, ils ne sont là que pour un soir, ils ont des attentes, ils sont venus pour vous, ils se sont organisés, ont payé leurs places, ont fait garder les enfants, ils ont eu du mal à arriver au théâtre – surtout à Paris où certains mettent une heure et demi pour venir grâce à Mme Hidalgo -, c’est un vrai chemin de croix, ça coûte de l’argent au public d’aller au spectacle vivant, ça lui demande des sacrifices alors rien que pour ça, on se doit, sur scène, de tout donner. Pour moi, une personne dans une salle est déjà un petit miracle et ça, ça exige qu’on le récompense en ne choisissant jamais la facilité. Il doit repartir plus que ravi.

La solitude du one-man ne pèse jamais trop finalement grâce à la présence du public ?

C’est vrai que quand on ne fait pas partie d’une troupe, c’est parfois plus dur car il y a une certaine solitude qui s’installe et lorsque vous avez – ce qui peut arriver – un public un peu difficile, jouer avec d’autres acteurs – comme ça a été le cas dans Le système avec Lorànt Deutsch et Éric Métayer par exemple – ça fait du bien, ça détend, ça permet de se marrer en coulisses comme des baleines ! (rires) Tandis que quand vous êtes tout seul sur scène avec une salle un peu compliquée, et bien vous êtes seul ! (rires) Dans ces cas là, il faut avoir l’envie d’avoir envie comme le dit si bien Johnny ! (rires)

Stéphane Guillon dans La Séquence M sur Azur TV ici !

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo Pascal Ito

Interview n°991 parue dans Le Mensuel de février 2017 n°378 éditions #1 et #2

 

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