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Interview de Lorant Deutsch dans Le songe d’une nuit d’été pour Le Mensuel en 2012

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Lorànt Deutsch 

en interview 

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LORÀNT DEUTSCH

 

 

  
« Je crois qu’être acteur c’est avant tout raconter des histoires,

et avoir envie de transmettre quelque chose… »

 

Physiquement, Lòrant Deutsch n’est pas si différent de l’adolescent qu’il était dans la pub « Yop » et pourtant, la vingtaine d’années qui le sépare de ces premiers pas devant la caméra l’a vu se transformer ou plus exactement se révéler. Curieux et passionné, il excelle dans tous les domaines auxquels il s’essaye !
Et c’est pendant ses allers retours
entre les planches et les caméras que l’artiste a su trouver le temps de peaufiner ses connaissances sur l’histoire de la Capitale et nous offrir « Métronome ». Désireux de continuer à mener à bien sa mission de « transmetteur », l’acteur ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisque depuis quatre ans déjà, il planche sur un prochain ouvrage… Les voyages ont formé la jeunesse tandis que les routes ont dessiné notre pays et fait évolué nos esprits…
Un sujet de réflexion à découvrir très prochainement !

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Morgane L : Qu’est ce qui vous a séduit dans cette réadaptation du « Songe d’une nuit d’été » ?
Lorànt Deutsch : « Le songe d’une nuit d’été » a été énormément jouée, c’est une pièce qui fait partie du « grand répertoire », elle fait partie des pièces les plus emblématiques, les plus éternelles de Shakespeare… C’est une pièce qu’il faut avoir jouée lorsque l’on est acteur. J’ai commencé le théâtre avec Jean Piat il y a maintenant une douzaine d’années, et il m’avait dit « Tu joueras Puck »… Aujourd’hui, on peut dire que c’était une espèce de prophétie ! (rires) À l’époque, je ne savais pas ce que c’était, et bien plus tard, je me suis rendu compte que c’était la pièce que Robert Sean Leonard jouait dans « Le cercle des poètes disparus ». Dans la peau du jeune Neil, qui finit par se suicider, il jouait Puck, le rôle le plus incontournable de tout le répertoire anglais. Jouer Shakespeare est un pur bonheur, en particulier cette pièce qui reste indémodable quelle que soit l’époque. Elle est magistrale ! Et en s’associant à des génies, quelque part, vous en bénéficiez un petit peu, il y a des éclats qui vous touchent et vous vous sentez un peu investi de quelque chose de majeur.

Cette adaptation est surprenante… Vous êtes une vingtaine avec les danseurs non ?
C’est sûr que la transposition « années 60, Chapeau Melon, Bottes de Cuir » et plateau télé style Carpentier, alors qu’on croit aller voir une pièce soi-disant classique, ça peut-être déroutant ! On ne s’y attend pas du tout ! Mais le bonheur de cette pièce incontournable est qu’elle s’adapte à tout, à toutes les époques et à toutes les transpositions. Le génie de l’auteur reste, vous aurez vraiment du Shakespeare « pur jus » mais avec une adaptation un peu originale et singulière mais complètement dans l’esprit de la pièce et de ce que raconte l’auteur.

Et le texte est resté identique ?
Oui c’est le même texte, mais vous savez Shakespeare en coupait tous les soirs ! Chez lui, une pièce n’était jamais identique d’une représentation à l’autre. Le spectacle vivant prend tout son sens avec Shakespeare. Il coupait des actes entiers, des morceaux de scène, supprimait même des personnages ! Il était toujours dans un dynamisme évolutif permanent et en plus il faisait des références à l’actualité de son époque, aux endroits à la mode où il fallait être vu. Les acteurs sous Elisabeth étaient déjà très « people » finalement (rires) et Shakespeare se moquait de ses contemporains et de ce « théâtre Elisabéthain ». C’est pour ça que parfois des choses passaient et d’autres pas, alors il coupait. D’ailleurs certaines références ne passeraient plus aujourd’hui et pour le coup il a fallu revisiter ce texte là sans trahir l’esprit de l’auteur tout en essayant de le réadapter au présent, avec notre vocabulaire à nous afin que ce soit audible.

Il y a des références à notre actualité ?
Ah oui ! Vous verrez, à un moment, un type un peu bedonnant sort d’une suite d’hôtel avec un peignoir et ça évoque nécessairement quelque chose… Une histoire de rapports un peu délicats avec une jeune fille de « couleur »… Oui il y a des références ! (rires)

Qu’est ce qui est le plus troublant ou perturbant pour un acteur ? Jouer une pièce classique ou la jouer d’une façon aussi peu conventionnelle ?
Elle a tellement été jouée qu’heureusement que l’on a cette originalité et un plan d’attaque un peu nouveau. À quoi bon essayer de recopier les originaux ? On sera toujours moins bon alors autant être nous-mêmes !

Votre rôle, le personnage de Puck ?
C’est une espèce de petit « Iznogoud » qui voudrait être Calife à la place du Calife, c’est un mauvais esprit. Certains acteurs le traitent comme quelqu’un de distrait, un « Pierrot » un peu lunaire, mais ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. J’ai voulu montrer quelqu’un qui, consciemment, est malveillant. Evidemment, quelque part, je passe un peu pour une ordure sur scène, mais pour le rôle en lui-même, il y a une certaine véracité à jouer un peu plus néfaste. C’est lui qui empêche aux problèmes de se résoudre normalement, c’est lui qui va toujours mettre son grain de sable partout, qui va créer des quiproquos, qui va entraîner des incompréhensions… Ce personnage joue avec ça, c’est une grande mascarade dans laquelle il s’amuse avec ce théâtre des humains, un théâtre misérable selon lui.

Mais vous, vous y avez apporté des choses différentes par rapport à l’adaptation de départ ?
Oui j’amplifie un peu le côté ordurier de Puck.

Comment trouve t-on le juste équilibre entre la version originale et la version qu’on en fait, comment sait t-on qu’on ne dépasse pas les limites ?
C’est l’avantage d’une très grande pièce. Elle se dresse malgré vous. Vous pouvez l’accompagner mais vous ne pouvez pas la contredire. C’est un mur. Vous ne pouvez pas jouer contre la pièce. Si vous êtes dedans, le texte est plus fort que vous et vous pouvez l’accompagner.

Mais alors quelle est la réaction du public, du moins celui qui connaît la pièce ?
On s’aperçoit qu’il y a quinze à vingt minutes où les gens sont pleinement perdus, où ils sont circonspects, où ils se demandent où ils sont et ce qu’ils font là. On les entend consulter le programme et les prospectus pour savoir si ils sont bien dans la bonne salle. Mais ils se laissent gagner petit à petit. Ce temps d’adaptation est inévitable. Vous allez voir une pièce renaissance du répertoire anglais du XVIème siècle et vous tomber sur des filles en latex et en cuir qui se trémoussent autour des mats. Il y a un esprit anglo-saxon proche d’Orange Mécanique. On est dans une période d’écartèlement entre un monde ancien avec son protocole, ses étiquettes etc., et les années 60 qui arrivent avec une grande libéralisation des mœurs. On retrouve la préfiguration de mai 68 et des années 70 où tout était permis et où il était « Interdit d’interdire ». Shakespeare pose exactement cette problématique là dans sa pièce. Il s’agit au départ d’un mariage dans le monde antique chez les Grecs, très hiérarchisé, très structuré, avec tout le carcan que cela génère, comme dans la société Elisabéthaine (référence de la société anglaise de son époque) et tout d’un coup, vous avez des adolescents qui vont s’enfuir et se retrouver dans un bois pour laisser libre cours à leurs émotions, à leurs pulsions, à leur inconscient… Une forêt où tout est permis, comme dans un jardin d’Eden où l’on peut être totalement libre et s’affranchir de toute contrainte imposée par la société, comme dans les années 60 où l’on est passé d’un monde très fermé, très patriarcal à un monde très ouvert.

Qu’est ce qui vous a mené au théâtre ? Car on vous connaissait bien au cinéma et à la télé…
Ça a été l’attirance d’un nouveau support. Dans ce métier, je n’ai jamais bien compris quelle pouvait être la différence entre un comédien et un acteur. Quand on est acteur, on fait un rôle de composition, alors que ce soit pour la télévision ou pour le théâtre, la manière de l’appréhender n’est pas pareille, il y a un problème géographique, une question d’acoustique. La caméra vient vous chercher alors qu’au théâtre il faut aller chercher le public. Il y a un univers un peu en extension d’un côté et en retenue de l’autre, mais c’est la même chose. Maintenant, en plus, j’ai eu la chance d’écrire des histoires et pour moi ce sont les mêmes métiers, que ce soit avec des mots que j’apprends ou avec mes propres écrits. Je crois qu’être acteur c’est avant tout raconter des histoires et avoir envie de transmettre quelque chose.

 Vous avez commencé le théâtre après le cinéma et la télé ?
Non, j’avais joué quand j’étais petit à l’école mais ce n’était même pas de l’amateurisme, c’était juste un loisir qui occupait mon temps libre du mercredi après-midi. Il n’y avait aucune formation et je n’y voyais pas l’antichambre d’une formation professionnelle ou d’un apprentissage. C’était simplement pour canaliser mon énergie !

Vous avez toujours su que vous vouliez faire ce métier ?
Ah non pas du tout, au contraire ! (rires) Maintenant la question ne se pose plus, ça fait vingt ans que je fais ce métier, mais je ne voulais pas spécialement faire ça. J’ai voulu tout faire ou presque ! (rires) Je voulais être policier, joueur de tennis, prof d’histoire, prof de français ou de langues orientales, journaliste, scientifique, travailler à Interpol, archéologue aussi… Mais comédien pas vraiment… Pour moi ce n’était qu’un divertissement, un jeu. C’est incroyable de dire que c’est mon métier. Souvent, il y a un côté fastidieux dans une carrière professionnelle, alors que là, je passe mon temps à m’amuser !

Vous avez également une fascination pour la littérature et pour Paris…
Paris, j’y habite depuis que j’ai quinze ans, c’était mon terrain de jeu. Je venais de la campagne et je n’avais pas d’amis alors j’ai commencé à me promener dans les rues. Puis j’ai commencé à me poser la question de savoir ce qu’il y avait derrière le nom des rues ou des stations de métro. Et je me suis rendu comte que ces noms là, qui pouvaient ne pas nous parler de prime abord, comme Etienne Marcel, comme La Chapelle, comme Philippe Auguste, comme Arts et Métiers, racontaient en fait une histoire incroyable, celle de notre Histoire. Finalement pour moi, l’Histoire de Paris n’est qu’un prétexte pour raconter la grande Histoire de France.

Combien d’années de recherche ont été nécessaires pour écrire « Métronome » ?
Je n’ai pas compté. Là aussi c’est une passion alors c’est difficile à dire. J’avais fait une émission télé, un genre de quiz où l’on avait essayé de me piéger mais je m’en suis plutôt bien sorti et c’est après ça que mon éditeur m’a poussé à en faire un livre pour attirer les gens car il pensait que ce que je racontais était très intéressant. Alors j’ai commencé à écrire à ce moment là.

Le plus important dans ce projet serait la transmission du savoir alors ?
Ah oui c’est le plus important car nous ne sommes que des transmetteurs. Je n’ai rien inventé, je n’ai rien créé, je ne suis pas original. Tout ce que j’ai écrit, je le tiens d’auteurs plus ou moins lus, peu connus mais qui devraient l’être autrement plus que moi tellement ils sont fascinants, connaisseurs, compétents et capables de nouslorant-deutsch-songe-nuit-ete-theatre-metronome-interview-2013a emmener sur des terrains magnifiques pour nous raconter des histoires passionnantes ! Moi je ne suis simplement qu’un relais entre des connaissances et les gens… Peut-être parce que je sais bien parler des choses. Je réemplois leurs travaux, ce n’est qu’un travail de seconde main mais j’espère que ça permet aux gens de nourrir leur curiosité et d’aller un peu plus dans la spécificité des choses pour mieux comprendre et alimenter leur connaissance.

Un autre livre est à venir ?
Oui, un livre sur l’Histoire de France à travers les voies de communication. La France s’inscrit dans une géographie précise et les voies de communication sont une colonne vertébrale dans un grand corps alimenté par un système nerveux que sont ses routes. Elles peuvent être fluviales ou des lignes de crête, des chemins romains, le chevelu médiéval, ces petites routes tortueuses qui respectaient les fermes de tel ou tel paysan vassal d’un seigneur. Toute l’évolution de ces routes, de ces moyens de communication et d’échange a finalement créé la France. C’est devenu la France grâce à ces routes qui ont relié tous ces peuples qui s’ignoraient.

C’est un immense travail de recherches ?
Enorme ! Ça fait quatre ans que je suis sur ce projet ! Dès que j’ai eu fini « Métronome », je me suis lancé dessus et je me suis mis à travailler sur quelque chose de plus vaste… C’est ainsi que je me suis attaqué à l’Histoire de France, depuis 2009.

Beau projet ! Et le cinéma est toujours présent ?
Oui j’ai toujours des projets. Mais comme dans beaucoup de milieux, les choses se décident dans l’urgence, au dernier moment. On est dans un métier qui est de plus en plus tendu où les choses se débloquent au dernier moment parce que les budgets sont de plus en plus difficiles à obtenir, on est dans des conjonctures de plus en plus étroites, on tourne dans des périodes de plus en plus raccourcies. Tout est dans l’urgence. Alors oui il y a bien des projets mais qui ne se feront qu’au dernier moment…



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Montage vidéo par Aurélien Didelot
Interview parue dans l’édition n°336 d’Avril 2013

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