INTERVIEW

Interview de Eva Darlan pour Le Mensuel en 2013 – Crue et nue

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Eva Darlan

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EVA DARLAN

 

 

  
« Ce qu’il y a de formidable l’âge arrivant, c’est que je n’en ai plus rien à faire

du jugement des gens. Il y a d’autres choses à regarder que moi dans le monde, heureusement ! »

 

L’altruisme se fait de plus en plus rare de nos jours alors qu’Eva Darlan nous le prouve dans son ouvrage
Crue et nue qu’elle interprètera à Avignon cet été, c’est une démarche qui fait un bien fou à celui qui s’y attèle !
En nous parlant d’elle et de ce corps avec qui elle essaye de partager sa vie, la pétillante actrice nous parle en
réalité de la société, de la femme, de nous tout simplement…

eva-darlan-interview-2013-02Morgane L. :  Mon premier souvenir de vous, c’est dans Palace…
Eva Darlan : On n’a plus ce genre de programme, pourtant c’était insolent et poétique à la fois, c’était cinglé, c’était bien ! C’était très différent des Experts, de Docteur House et de tout ce qui tourne en boucle à la télé maintenant.

Devenir actrice venait d’un besoin d’être quelqu’un d’autre, de proposer quelque chose d’autre de vous ?
J’ai eu une enfance un peu particulière donc je crois que c’était un moyen d’évasion dans lequel je me suis engouffrée extrêmement tôt. Je pense que j’avais besoin de m’évasion du réel, j’avais besoin d’être ailleurs.

Et parmi tous les rôles que vous avez campé, lequel vous a le plus marqué ? Quelle femme auriez-vous aimer être ?
Je me souviens d’un très joli rôle dans « Violetta, Reine de la Moto » de Guy Jacques. C’était celui d’une femme extrêmement poétique et incroyablement drôle, qui ne disait pas toujours ce qu’il fallait dire, qui se mélangeait toujours un petit peu les pinceaux… C’est le seul personnage que j’ai eu du mal à arrêter. C’est la première fois que j’ai compris ce que d’autres acteurs entendaient par là. C’est la seule fois que j’ai ressenti ça. J’étais un peu triste de quitter cette femme… Probablement cela avait un écho en moi, elle était une femme extrêmement naïve, poétique, bienveillante et toujours gaie. Mais tous les rôles sont intéressants ! Même les plus médiocres mais il faut prendre le temps de les incarner et d’essayer de trouver leur part d’humanité. Sociologiquement, être acteur est intéressant, c’est un métier qui apprend énormément sur l’être humain.

Vous avez un peu touché à tout, télévision, théâtre, cinéma et ça vous a conduite là où l’on ne vous attendait pas spécialement, à l’écriture ?
J’ai toujours écrit en fait. J’ai commencé par l’écriture avec les Jeanne. Puis pour la radio, avant de m’attaquer à un premier livre et j’écris tout le temps pour la télévision, des scénarios, des projets. J’ai écrit un premier spectacle Divins divans il n’y a pas cinq ans. J’ai toujours énormément écrit mais jusqu’à maintenant, je n’osais pas vraiment publier. Ce qu’il y a de formidable l’âge arrivant, c’est que je n’en ai plus rien à faire du jugement des gens. Ça plait c’est bien, ça ne plait pas, ce n’est pas grave. Il y a d’autres choses à regarder que moi dans le monde, heureusement ! (rires)

Votre livre justement, Crue et nue, exprime cette idée qu’il ne faut pas avoir honte de soi. On est ce qu’on est et il faut apprendre à l’assumer sans craindre les autres.
Oui il ne faut pas craindre que les autres nous fassent du mal, ainsi on n’y est moins sensible. Mais tout le monde se fait du mal mutuellement et au nom de quoi ? Probablement d’un immense profit qui ne fait du bien qu’à une poignée d’individus…

C’est donc une sorte d’autobiographie mais qui ne parle pas vraiment de vous. Au travers de vous et de votre corps, vous parlez aux autres et vous parlez de l’autre.
C’est exactement ça, vous l’avez exprimé magnifiquement et avec votre permission je le répèterai si on me repose la question ! (rires)

C’est très original car la plupart du temps, on a besoin de vider son sac en parlant de soi pour parler de soi mais pas tellement pour aider les autres…
Oui je me suis dit que si je parlais, d’autres parleraient et que si je me levais, d’autres se lèveraient. Et je dis tout crûment… J’aime avoir le retour des femmes et des hommes sur ce livre. Si je peux aider ne serait-ce qu’une femme, ce serait formidable. Une femme, et pas des moindres puisqu’elle est une amie proche, m’a dit « Je te remercie, tu as changé ma vie. Je n’ai jamais été fière de ma vie et je me croyais anormale. J’ai passé ma vie à porter ce poids. Depuis que j’ai lu ce livre, j’ai compris que je n’étais pas isolée ».

C’est donc vraiment un livre fait pour aider les femmes à déculpabiliser, à décomplexer, à s’accepter et peut-être même à s’aimer à la fin ?
C’est exactement ça. Ce n’est pas facile. C’est facile pour un homme, ils n’ont pas la même pression que nous. Tout devient de la publicité mensongère et on fait toutes semblant d’y croire. Entre les crèmes minceur, le mascara hyper recourbant, les anti-âges etc. on n’est finalement qu’un énorme enjeu financier qui ne rapporte probablement pas grand chose aux femmes, si ce n’est à madame l’Oréal… (rires)

Vous aussi êtes tombée, comme nous toutes, dans ces pièges… Une chose que vous regrettez ?
Oui, l’opération des seins… Je ne sais franchement pas pourquoi je l’ai faite, enfin si, parce que j’avais l’impression que mon mec ne me regardait pas et je me disais qu’il fallait que je sois parfaite… Du grand n’importe quoi ! Cela a juste mis de l’argent dans la poche de mon chirurgien et moi ça n’a pas changé ma vie. Il ne m’a pas regardé davantage !

Vous différenciez le corps et l’esprit, vous dites qu’ils doivent arriver à vivre ensemble, à cohabiter. Il y aurait donc deux entités en nous ?
C’est peut-être un peu schizophrénique de ma part mais c’est ce que je ressens, peut-être parce que je n’y prête pas une attention énorme. Je ne passe pas mon temps à me dire qu’il faut que je fasse ci ou ça pour mon corps. Mon corps, ce n’est pas moi. C’est un instrument qui est là pour me porter, mais parfois ça me gène, c’est encombrant, ça dort tout le temps, c’est chiant ! (rires)

Pourtant le corps est le reflet de ce que l’on est à l’intérieur, de ce que l’on a vécu. J’aime beaucoup le passage sur les rides. « Je ne suis pas normale, j’aime les rides. J’aime les visages des femmes qui sont fatiguées d’être jeunes. Il y a un abandon qui m’émeut. Les rides autour des yeux disent les rires passés, celles entre les yeux marquent la réflexion ou le doute, et celles du front montrent l’étonnement ».
Moi je trouve ça joli, génial, ça y est on vit enfin ! Je vois ma fille, la plus jeune qui a vingt ans, quand elle conduit, elle ne bouge pas je peux la regarder comme je veux et si elle rit, ça y est, avec la lumière rasante qui vient du pare-brise, je vois déjà les futures rides qui vont s’installer. C’est trop mignon, ça va bientôt montrer combien elle a ri !

Vous avez été élevée dans la détestation du corps…
Pour ma mère, le corps était quelque chose d’absolument dégueulasse. Je pense qu’elle-même a longtemps été abusée quand elle était petite… Le corps pour elle était une horreur et elle a vécu une vie de femme très triste. C’est dans cet esprit qu’elle m’a élevée bien évidemment. Il a fallu que je vive mes propres expériences pour apprendre et comprendre que ce n’était pas toujours ainsi. C’était un enfer à la maison, un cauchemar, c’était affreux… Il vaut mieux mal vivre matériellement, avec un esprit plus léger, sans avoir peur de rentrer chez soi. Du coup, je ne sais d’où vient cette gaîté que j’ai en permanence. Enfin, en apparence…

Et désormais, c’est sur scène que l’on verra Crue et nue ?
Oui je suis en train de le répéter en ce moment. Je l’ai joué à Nancy, qu’une fois seulement mais c’était extraordinaire ! On en est à la moitié dueva-darlan-interview-2013-03 travail et il ne nous reste plus qu’un mois avant Avignon… Mais c’était bien, les gens ont applaudi à chaque moment militant et aux moments que l’on souhaitait plein de fous rires, des gens pleuraient littéralement de rire ! C’était réellement génial ! Je vous le dis : on tient quelque chose ! (rires)

Certaines choses sont-elles plus difficiles à jouer qu’à écrire ? Quand on écrit, c’est personnel, ça soulage, ça fait du bien, mais le répéter tous les soirs sur scène, ce n’est pas un peu éprouvant ?
Non parce que c’est un objet théâtral que l’on modèle, que l’on sculpte, que l’on éclaire comme ci ou comme ça. Même le livre est un objet. Je n’ai eu aucune douleur à écrire ça. J’en ai eu à le vivre… Et puis c’est tellement fait pour dire les choses, pour dire aux filles de faire gaffe et de ne pas tomber dans ces panneaux là que ça en devient plutôt enthousiasmant !

Le projet de la pièce est sur le site KissKissBankBank…
Oui ! On n’a pas un rond pour monter ça. C’est moi qui produis ce spectacle. KissKissBankBank est un système de financement collectif, d’échange comme MyMajorCompany. Les mécènes auront en remerciement des places gratuites, des DVD, un verre après le spectacle ou un bisou ! Je donne de moi quand même pour Crue et nue ! (rires)



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson
Interview parue dans l’édition n°338 de Juin 2013

Dates de tournée ici

Soutenez le spectacle « Crue et nue » d’Eva Darlan sur www.kisskissbankbank.com

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