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INTERVIEW

François Berléand en interview

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S’il est à l’affiche – aux côtés de Muriel Robin – de la pièce Momo depuis de nombreux mois et que celle-ci connait encore actuellement un succès colossal en tournée, François Berléand ne s’est pas contenté de ça… Toujours désireux de jouer, d’incarner et de partir à la découverte de nouvelles histoires à raconter à un public qui ne se lasse pas de ses personnages au charme quelque peu taciturne et bougon, l’acteur a profité de quelques mois de « pause » entre les dates parisiennes et provinciales pour s’adonner à de nouveaux projets. Bien qu’expérimenté et très sollicité, le comédien a fait le parti pris de ne pas baser ses choix sur des plans de carrière mais uniquement sur des coups de coeur. C’est ainsi qu’il a accepté de faire confiance à la belle Nawell Madani qui l’a fait tourner dans son tout premier long-métrage – C’est tout pour moi ! (sortie prévue en salles le 18 octobre 2017) – ou encore à un tout jeune auteur de théâtre – Clément Gayet – dans sa première création théâtrale Moi, moi et François B. avec lequel il devrait d’ailleurs repasser par la région dans quelques mois…

« MOMO »

À Monaco le 14 avril


« J’aime que tout soit chamboulé car c’est beaucoup plus amusant à jouer ! »


 

Morgane Las Dit Peisson : La tournée de la pièce comporte de très nombreuses dates, quasiment toutes pleines à chaque fois…

François Berléand : C’est vrai que cette pièce, Momo, a connu un magnifique succès sur Paris donc c’est déjà très plaisant mais ça l’est encore plus d’observer qu’elle a une seconde vie, en ce moment, un peu partout en France. On a énormément de dates – chose désormais malheureusement rare au théâtre – et sincèrement, c’est pour moi un véritable bonheur que de parcourir les routes en faisant ce que j’aime le plus ! 

Pendant une période frappée par la crise et la peur des attentats, voir le public autant au rendez-vous doit être extrêmement touchant…

Quand on jouait Momo à Paris, on s’est retrouvé frappé de plein fouet par les attentats et on a vu, en effet, la fréquentation diminuer dans les salles… Contrairement à d’autres pièces ou d’autres spectacles qui ont été plus sévèrement touchés que nous, on a eu la chance – je crois – que ç’ait été rapidement un gros succès et que beaucoup de places se soient retrouvées achetées en amont par les spectateurs. On vit actuellement une période étrange… On a la chance, contrairement à d’autres pays, de ne pas recevoir de bombes sur la tête tous les jours mais on éprouve tout de même une certaine angoisse plus ou moins récurrente… On est obligé, inconsciemment, d’y penser et d’être prévenant. Dans la pièce, par exemple, il y a un moment où mon personnage fait sauter un pétard et pour que les gens dans la salle n’aient pas peur, on a dû changer la mise en scène pour bien le montrer et éviter tout effet de « mauvaise » surprise… Ça n’a l’air de rien mais ce sont des questions qu’on ne se posait pas avant…

Alors c’est vrai que tout confondu, on réalise sincèrement la chance que l’on a de vivre un succès pareil. J’ai joué à la rentrée dans Moi, moi et François B. – qui est un pur bijou – mais qui, comme toutes les autres pièces cette année, a souffert du nombre d’entrées à Paris. Et il n’y a pas que le théâtre qui pâtit du contexte actuel, c’est aussi une catastophe pour les hôtels, les restaurants etc. Et puis, pour arranger les choses, tous les cinq ans, en période de présidentielles, plus rien ne bouge en France ! Tout ça fait qu’on est dans une espèce de no man’s land où les gens restent de plus en plus chez eux, devant les chaînes d’info alors, avec Momo, on ne boude pas notre plaisir d’être en contact avec autant de gens qui veulent venir rire ! 

Entre les dates parisiennes et la tournée de Momo, vous avez joué dans Du vent dans les branches de Sassafras et dans Moi, moi et François B.

Et entre temps, j’ai repris la tournée de Deux hommes tout nus ! (rires) Ça commence en effet à faire pas mal ! (rires) Après, c’est sûr que comparé à un acteur de la Comédie-Française, c’est du gâteau mais il faut tout de même tenir le rythme ! Avec Du vent dans les branches de Sassafras, je ne vous cache pas que l’apprentissage du texte a été un peu difficile car il était colossal et que ce n’était que pour une captation, donc on n’a eu l’occasion de le jouer que cinq fois malgré tout le travail que ça avait exigé et ça, c’est peut-être la partie la plus « violente » de l’exercice. 

Moi, moi et François B. est uniquement une idée de son auteur Clément Gayet ou c’était un projet à quatre mains ?

Cette idée folle n’est que la sienne ! (rires) C’est complètement dingue de recevoir une pièce de théâtre qui porte son nom ! C’est aussi effrayant que touchant ! D’ailleurs, à l’origine, il y avait mon nom complet dans le titre et je n’ai pas été très à l’aise avec ça, c’est pour ça qu’on l’a abrégé en François B. mais dès la lecture, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de spécial… J’ai dit oui tout de suite pour la qualité du scenario et de l’écriture mais si la pièce avait été mauvaise, peu importe « l’étiquette », j’aurais dit non. Je suis profondément heureux d’avoir fait cette pièce car j’ai eu la chance de la jouer avec des acteurs réellement talentueux et humbles. Ça a été autant une aventure humaine qu’intellectuelle formidable ! Le problème, c’est que je vais avoir tendance à dire du bien tout le temps de tous les projets dans lesquels je m’engage mais avec celui-ci, j’ai véritablement pris un plaisir exceptionnel et inégalé ! Je crois même pouvoir dire que cette pièce renferme mes meilleurs souvenirs de théâtre… Elle est intelligente, pas facile à comprendre au début, le public peut se perdre un peu et pourtant à la fin, il est enthousiasmé d’avoir pris plaisir aussi « intelligemment ». C’est une pièce à tiroirs, faite de coups de théâtre et menée sur scène par des acteurs incroyables donc j’ai hâte de la retrouver en tournée à la saison prochaine et quelque chose me dit d’ailleurs que l’on devrait sûrement passer par Antibes… 

C’est une pièce que vous partagez entre autres avec Sébastien Castro…

Il est très spécial, il a un débit de paroles très mesuré alors que mon personnage est à l’inverse très rapide. L’antagonisme entre nos deux rôles – le calme et l’excité – est déjà très drôle en soi mais la bizarrerie de l’histoire l’est encore plus ! (rires) J’aimerais tout vous raconter tant c’est compliqué d’en dire un peu sans en dire trop mais il faut garder un peu de surprise pour le public… François Berléand – l’acteur – se retrouve kidnappé mentalement – ce qu’il aura évidemment du mal à comprendre et à admettre – et au moment même où il l’aura compris, quelque chose d’autre lui arrivera ! Ce qui est formidable avec ce spectacle, c’est que le public est toujours au même niveau que mon personnage donc on découvre pas à pas les différents niveaux de l’histoire ensemble. Et pour bien suivre, il ne faut surtout pas se disperser, sinon on est foutu ! (rires) Il se passe toujours quelque chose, ça va vite, on ne voit pas la fin arriver et c’est très très agréable à jouer autant qu’à regarder semble-t-il…

On est dans le même genre d’univers que celui de Sébastien Thiéry (l’auteur de Momo) ?

Il y a un peu de l’absurde de Sébastien Thiéry en effet sauf que, dans son théâtre à lui, on a assez rarement de réponses du coup chaque spectateur peut s’imaginer sa propre fin. Dans la pièce de Clément Gayet au contraire, rien n’est laissé à interprétation et la boucle se boucle, du coup, il arrive à rendre logique tout ce qui nous apparaissait absurde depuis le départ. Son écriture me fait penser à celle de Pirandello de par sa construction intellectuelle très brillante mêlée à la présence de scènes de pur boulevard.

Vous connaissiez bien, en acceptant Momo, le style comique, absurde et sociétal de l’auteur puisque vous aviez déjà joué avec lui Deux hommes tout nus

À mes yeux, Sébastien Thiéry est un héritier de l’univers de Georges Feydeau actualisé par les thématiques et les préoccupations de notre époque. On retrouve des codes du vaudeville comme l’arrivée de la cowgirl dans Deux hommes tout nus mais complètement inversés ! Normalement un mari la cacherait alors que dans la pièce je la montre à ma femme pour tenter de lui prouver que je ne suis pas homosexuel… (rires) J’aime que tout soit chamboulé car c’est beaucoup plus amusant à jouer !

Son théâtre est vif et efficace…

Tout à fait, il n’y a par exemple pas de scènes d’exposition chez lui. Dès que le rideau s’ouvre, les spectateurs sont directement embarqués dans le vif du sujet, c’est très fort dès les premières minutes.

Et dès le début, on se demande si les personnages ne sont pas un peu fous…

Il arrive à créer assez rapidement une tension, un suspens qui fait que le public s’investit immédiatement pour tenter de comprendre ce qu’il se passe. Quand Momo démarre, avec mon épouse – campée par Muriel Robin -, on tombe nez à nez chez nous sur un type qu’on ne connait pas et qui semble avoir pris possession des lieux ! On va vite comprendre qu’il nous prend pour ses parents alors que nous n’avons jamais eu d’enfant donc en effet, le public va se demander si on a perdu la mémoire ou si ce jeune homme est fou, mais ce qui compte le plus, ce n’est pas tant de le savoir mais de réfléchir sur ce que cet évènement provoque sur nos personnages. Muriel qui va tout à coup l’accepter comme son fils dévoile le manque affectif que l’absence de maternité a laissé en elle, l’amour qu’elle lui témoigne fait quant à lui méditer sur le sens même de la parentalité, sur la filiation, l’adoption, la transmission, sur le temps qui passe mais aussi – à travers le personnage qu’interprète Sébastien Thiéry – sur le handicap et le regard des autres… C’est un théâtre extrêmement riche. 

Jamais deux sans trois…

Exactement ! (rires) Du coup, après ces deux premières expériences plutôt concluantes, je vais récidiver dans la prochaine pièce de Sébastien Thiéry qui s’appellera Ramsès II. Elle traitera du handicap, de la folie de l’Homme d’aujourd’hui et de l’absurdité qu’il a lui même créée ! Je pense à celle de la bureaucratie dont nous sommes à la fois les créateurs et les victimes… J’en ai eu l’exemple avec une lettre que j’ai reçue chez moi de la part de la Sécurité Sociale qui me demandait de mettre mon adresse à jour… Évidemment, ça m’a fait sourire et quand je me suis rendu sur place avec la dite lettre, j’ai eu la sensation de faire un voyage en absurdie car ce qui me semblait à moi complètement illogique, leur semblait banalement normal ! (rires) J’ai trouvé ça aussi aberrant que jouissif et ça m’a prouvé une fois de plus que comme l’avait si bien démontré Pirandello, À chacun sa vérité…

Jouer sur scène en compagnie de l’auteur, ça change quelque chose ?

Jouer avec Sébastien Thiéry est en tous cas asssez particulier car c’est quelqu’un qui peut facilement avoir des fous rires – et dans ces cas là, on ne peut se raccrocher à rien -, prendre pas mal de libertés avec son texte mais qui sait exactement ce qu’il attend des autres comédiens. Il veut que l’on joue « droit » et juste… Il m’a d’ailleurs fait une très jolie déclaration en me disant que j’étais le seul à jouer son humour comme il voulait qu’il le soit… Je l’ai très bien pris ! (rires) En tous cas, je sais que dans Ramsès II, je vais prendre mon pied car je jouerai avec Éric Elmosnino – un acteur que je trouve extraordinaire – et Évelyne Buyle qui quant à elle a un univers incroyable et qui va, j’en suis sûr, amener une fraîcheur, une délicatesse et une poésie unique.

Des acteurs assez singuliers…

Vous savez quand on fait ce métier, c’est qu’on a une case en plus ou une case en moins, mais indubitablement, on n’est pas normal. L’acteur est un être qui frôle d’ailleurs assez souvent la folie…

Il y a la scène mais aussi le cinéma et vous avez tourné dans le tout premier long-métrage de Nawell Madani, C’est tout pour moi !

Ce qui a été très drôle au tout début, c’est qu’en « vieux con » que je suis, je ne savais pas du tout qui était cette très belle jeune femme alors j’ai fait des recherches sur internet ! (rires) Là j’ai découvert une humoriste à travers quelques sketches à mon goût un peu trop dans l’esprit communautariste alors je n’y ai pas été très sensible mais, en lisant son scenario, j’ai réellement rigolé et j’ai trouvé ça à la fois drôle, intelligent et bien foutu. On s’est alors rencontré et lorsque l’on a commencé à travailler ensemble, j’ai trouvé ça formidable car elle était très curieuse et à l’écoute. Elle n’est pas hérmétique aux conseils et aux remarques, elle s’adapte et elle bosse sans cesse. C’était amusant d’ailleurs car j’avais un peu sur le tournage le rôle que j’avais dans son film… Dedans j’incarne un metteur en scène qui la guide et qui en fait l’artiste qu’elle est alors bien sûr, ça n’a pas pris de telles proportions en vrai – elle n’en avait pas besoin – mais j’étais quand même assez souvent dans la critique, je l’avoue ! (rires) Et ce qui prouve l’intelligence de cette fille, c’est qu’en la voyant il y a quelques jours, elle m’a dit qu’ils avaient coupé pas mal de choses qu’elle avait ajoutées au dernier moment et qui à mon goût étaient inutiles… Je ne dis bien sûr pas que j’avais raison mais qu’elle est très ouverte d’esprit et qu’elle accepte de se remettre en question. 

Elle nous en avait parlé à l’époque et était ravie d’avoir un acteur confirmé à ses côtés qui prenne le temps de la conseiller…

C’est important de transmettre tout ce qu’on a réussi à apprendre au fil de notre carrière aux plus jeunes générations… Et puis, j’ai toujours aimé la mise en scène, la direction d’acteurs alors quand je vois quelque chose qui ne fonctionne pas – à tort ou à raison – je préfère le dire au cas où ça puisse aider.

Vous avez joué dans un nombre incroyable de pièces, de téléfilms et de films.. Vous vous souvenez de tout ?

Oh que non ! (rires) Et puis, il y a pas mal de « participations », de petits rôles mais aussi de films franchement sans intérêt ! (rires) Mais par contre, je ne regrette rien et je ne renie rien car on n’est que la somme de ses expériences et sans certains nanars que j’ai tourné, je ne serais pas l’acteur que je suis devenu. Même un navet m’aura appris quelque chose… À dire non, à avoir plus confiance en mes goûts, à savoir ce que je déteste jouer…

Dire non est le plus compliqué ?

Pour moi, oui ! C’est ma plus grande faiblesse ! (rires) C’est délicat de refuser un rôle à quelqu’un qui vous a fait l’honneur de penser à vous surtout que c’est un métier dans lequel on ne vit qu’à travers le regard de l’autre… On rêve d’être sollicité et quand on l’est, on a tout à coup le choix et c’est là que ça se corse, en particulier pour moi ! Quand j’ai eu un César, du jour au lendemain, j’ai commencé à recevoir plusieurs propositions par semaine alors qu’avant, j’en avais une – au mieux – tous les six mois… On ne veut pas vexer, on ne veut rien laisser passer, on a soif de cinéma mais il ne faut pas se perdre. C’est un métier qui peut faire tourner la tête alors il est important de se souvenir de la raison principale pour laquelle on le fait. Moi je veux jouer, prendre du plaisir et m’amuser, il n’y a que ça qui m’anime…

 

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photo C.Nieszawer & J. Stey

Interview n°1012 parue dans Le Mensuel de mars 2017 n°1002 éditions #1 et #2

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