COUPS DE COEUR

Denis Cherer en interview pour son livre « Aimons-nous les uns loin des autres »

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Comédien mais aussi auteur à qui l’on doit la pièce sur Alzheimer Les noeuds au mouchoir, Denis Cherer s’est lancé dans un nouveau type d’écriture : le poème humoristique… Dans son recueil Aimons-nous les uns loin des autres, il s’amuse à croquer quelques-uns de nos comportements qu’il a pu observer durant le 1er confinement. Mordant et malheureusement réaliste, cet ouvrage dévoile en mots et en images à quel point, parfois, on peut manquer d’éclat et de grandeur…


« On a vu apparaître des résistants, des planqués mais aussi des collabos… »


« Ça nous amène à vivre au présent… »

Morgane Las Dit Peisson : Comment ça va ?

Denis Cherer : En ce moment, c’est une bonne question et vu que je ne suis pas toujours très poli, je ne vais pas répondre que ça va ! (rires) C’est mitigé, une impression de yoyo ! Ça passe par pas mal d’émotions et de sentiments, parfois c’est la super pêche et quelques heures après, ça « retombe » et je me dis qu’on ne s’en sortira jamais ! J’en suis arrivé au stade où j’évite de mettre les infos pour essayer de garder le moral ! La seule chose rassurante, c’est qu’on est tous dans le même bateau… Alors comme tout le monde je crois, je me convaincs souvent que ça ira mieux bientôt et ça m’évite de tomber dans la déprime ! C’est la méthode Coué ! (rires)

À différentes échelles bien sûr, on vit tous un drame en ce moment…

Cette crise sanitaire est une véritable épreuve et on n’y a pas, jusqu’à présent, été habitués. Nos générations n’ont pas encore subi de guerre sur notre territoire mais j’ai l’impression que nos ressentis sont assez semblables à ce que nos parents et grands-parents ont pu connaître… Certains s’autopersuadent que ça va se régler rapidement et les autres sont plus réalistes… (rires) On a avancé de semaine en semaine mais force est d’admettre que ça fait une bonne année que ça dure et que c’est loin d’être terminé ! C’est en ça que ça ressemble à une guerre : on n’a pas la main mise dessus et on est condamnés à attendre un « mieux ».

Aussi dure que soit cette période, on finira par s’en sortir et en tirer quelque chose de positif…

C’est que j’essaye d’insuffler dans mon livre Aimons-nous les uns loin des autres. Cette situation nous oblige à regarder les choses avec un regard neuf, elle nous fait bien réaliser que quoi qu’on en dise l’Humain n’est pas grand chose et que surtout, il n’a pas un pouvoir absolu sur tout ! Ça nous amène à vivre au présent et à apprécier de toutes petites choses qu’on ne voyait plus…

Aimons-nous les uns loin des autres est sorti le 1er mars…

J’avais commencé à écrire une pièce de théâtre pendant le 1er confinement mais j’ai fini par la mettre de côté car les textes qui me venaient en tête n’avaient rien de dialogues. J’ai eu l’idée de raconter l’histoire de cette jeune fille qui vit loin de sa famille et qui se retrouve confinée dans une chambre de bonne de moins de 10m2 à Paris, celle des amants séparés qui ne peuvent s’aimer que par téléphone et petit à petit, plein de petits « témoignages » estampillés Covid me sont venus… Ça a pris 9 mois en tout.

« J’ai voulu que mes textes soient accessibles ! »

30 poèmes humoristiques…

On n’est effectivement pas sur de la poésie à la dimension « poétique » immense et sérieuse ! (rires) Cette forme m’est venue car je voulais mettre l’accent sur la musicalité et le rythme afin de souligner l’humour mais aussi les sujets plus profonds que j’avais envie d’aborder comme celui des personnes âgées dans les Ehpad ou des handicapés. J’ai voulu que mes textes soient accessibles à tous y compris à des gamins qui ont horreur de la poésie !

La poésie et le théâtre à l’école donnent rarement envie aux enfants de creuser par la suite…

Je trouve que notre éducation, à ce niveau là, est complètement inadaptée ! On impose des références qui ne sont pas assez actuelles pour que ça attire l’attention des enfants ! Shakespeare est formidable mais quand on a 10 ans, on ne s’en aperçoit pas nécessairement ! (rires) Je pense que si l’on veut dissocier l’image « poussiéreuse » et vieillotte du théâtre dans l’esprit des jeunes, il faut les emmener voir quelque chose de moderne avec, pourquoi pas, des personnalités qu’ils connaissent et une fois qu’ils ont mordu à l’hameçon, on peut remonter dans le temps et leur faire découvrir les classiques. En fait, on prend le problème à l’envers et on les bloque définitivement…

Dans Aimons-nous les uns loin des autresplusieurs personnages et plusieurs histoires…

Comme fil conducteur entre tous ces gens qui ne se connaissent pas, j’ai imaginé une attente téléphonique improbable, presque loufoque, d’un confiné qui appelle le serveur « Adieu Covid » pour connaître la date de fin de la pandémie… Évidemment, il restera en communication tout le long du bouquin ! (rires) Mais pendant ce temps, cet homme observe des scènes, écoute des témoignages ou regarde des reportages sur le confinement… Il y a une vieille dame en maison de retraite, la jeune fille dans sa chambre de bonne, le médecin médiatisé que l’on connaît tous ou encore les banquiers et assureurs hypocrites qui nous envoient tout à coup des mails bienveillants…

Des textes illustrés ?

Oui mais pas par moi ! (rires) Pour éviter la catastrophe, j’ai demandé à mon neveu Elan Cherer qui a un don pour le dessin et j’ai l’impression que ça colle bien. En grande partie, ses interprétations correspondent à ce que j’avais en tête, comme celle du « Gros confiné » qui dénonce sa voisine partie faire un jogging alors qu’il va revendre des masques au marché noir ! D’autres sont des visions à lui et je les trouve encore plus intéressantes. Sur le texte de la pianiste aux mains abîmées par le gel, par exemple, il m’a fait un crocodile aux dents en forme de clavier ! (rires)

« Les mentalités changent peu finalement… »

L’exemple du « Gros confiné » révèle les comportements peu glorieux dont nous sommes capables…

Comme pendant la guerre, on a vu apparaître des résistants, des planqués mais aussi des collabos et c’est ça qui est effrayant. C’est là qu’on s’aperçoit que le temps a passé, que les technologies ont évolué mais que l’Homme, lui, reste pareil et si demain une guerre devait éclater à nouveau, on ne serait pas à l’abri de revivre les mêmes atrocités que pendant la Seconde Guerre mondiale. Les mentalités changent peu finalement et malgré tout ce dont on se persuade quand il n’y a pas de difficultés particulières, on ne tire que très peu de leçons de notre Histoire…

Et à côté de ça, on la bonne conscience et la bien-pensance des applaudissements pour des soignants dont on n’écoutait pas, jusque là, les revendications…

J’ai l’impression que vous allez pouvoir me réclamer des droits d’auteur… (rires)  C’est exactement le sujet du texte « Pâques au balcon » qui parle de l’hypocrisie de ce genre de démonstrations et du sentiment coupable qu’elles provoquent chez ceux qui n’ont pas applaudi chaque soir à 20h non pas, parce qu’ils s’en foutaient, mais parce qu’ils pensaient que c’était peut-être un peu tard et pas si sincère que ça… Pour certains, ça a été une vitrine, un faire-valoir car c’est l’image, avant le message, qui prime… La preuve, on n’applaudit plus et pourtant, le personnel médical ne travaille pas moins en ce moment.

Votre arme face à ça c’est de rire de tout ce qui vous agace ?

C’est mon style et mon remède d’aller vers l’humour quand je suis face à des sujets délicats ou sensibles… Me marrer, c’est dans mes cordes mais ça ne veut pas dire que je moque ou que je ne respecte rien, loin de là… Le rire est pour moi une véritable catharsis y compris face à la maladie ou à la mort et d’ailleurs, ce rire – artistiquement parlant – peut parfois être beaucoup plus fort et riche de sens qu’un pathos trop attendu…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson • Photos droits réservés


Interview parue dans Le Mensuel n°419 d’avril 2021

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