INTERVIEW

Daniel Russo

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Daniel Russoen interview
DANIEL RUSSO
dans la pièce de théâtre  Hier est un autre jour 
et au cinéma dans  Les 3 frères le retour
 
 

« Le théâtre, c’est ma passion, j’en ai tellement rêvé…
J’ai besoin de ça dans ma vie car je m’y amuse énormément !
»
Il fait partie de ces comédiens dont on oublie parfois le nom mais jamais le visage tant on l’a vu au théâtre, au cinéma ou à la télévision et tant il nous a marqué dans ses différents rôles. Actuellement à l’affiche de Les 3 frères, le retour et en tournée avec la pièce Hier est un autre jour, Daniel Russo ne semble pas être prêt à rendre son tablier ! Passionné depuis sa plus tendre enfance par le jeu et le désir de changer de vie au gré de ses envies, c’est au théâtre qu’il excelle…

 

daniel-russo-interview-le-mensuel-2014-hier est un autre jour-CMorgane L : Dans la pièce Hier est un autre jour vous jouez le rôle de Pierre, un avocat un peu psychorigide et maniaque. Des restes de Toc Toc ?

Daniel Russo : Ah oui, je ne m’en sors plus ! (rires) Mais là je n’ai plus du tout les mêmes tocs. Mon personnage est quelqu’un qui se fait un peu piétiner et dominer par tout le monde dans son bureau. Et, tout au long de la pièce, on va voir le cheminement de ce personnage qui va se rendre compte de tout ce qu’il se passe autour de lui. Un évènement va l’obliger à sortir de sa bulle. On est tous contraints, à un moment donné, de lever la tête et affronter les choses.

Quel sera le déclencheur ?

Un personnage va entrer dans son bureau pour lui faire exploser sa vie dans le bon sens. Il y a toujours des rencontres comme ça dans la vraie vie… Des gens qui vous ouvrent un oeil, voire même deux, qui vous disent que vous n’êtes peut-être parti sur le bon rail. J’ai eu des rendez-vous comme ça avec des personnes qui m’ont juste dit une ou deux phrases, mais qui m’ont marqué. Par exemple, Philippe Noiret, m’a dit un jour : « Vous savez mon ami, le plus dur dans ce métier, c’est de dire non ! »… Je n’avais pas compris pourquoi il me disait ça sur le moment. Il m’a ensuite dit : « L’important, c’est de durer… ». J’ai compris plus tard !

Durer au point de ne pas prendre de retraite plus tard ?

Exactement ! Il y a des rôles de grands-pères à jouer après tout ! Le théâtre, c’est ma passion, j’en ai tellement rêvé… J’ai besoin de ça dans ma vie car je m’y amuse énormément. Au départ, quand j’ai démarré, j’avais le trac un peu négatif mais grâce à un professeur, j’ai su l’apprivoiser. Il m’a expliqué que cette sensation était magnifique puisqu’elle était la conséquence de mon envie de fouler les planches. Ce trac peut être très bénéfique si on sait en tirer son côté positif et c’est vrai qu’aujourd’hui, quand j’ai cette sensation qui monte avant d’entrer en scène, ça devient jouissif !

Votre personnage doit vivre une journée importante qui ne se passera malheureusement pas comme prévu ?

Oui, ce procès si important pour lui a été en réalité truqué dès le départ et il va le découvrir au fur et à mesure de cette étrange journée qui se trouvera chambouléepar l’intrusion d’un personnage inattendu que je suis seul à pouvoir voir et entendre. Ce qui est déjà bizarre… (rires) Mais l’auteur ne s’est pas arrêté là puisque ce personnage a le luxe suprême de pouvoir remonter le temps grâce à l’un de mes tocs. Et on va bien évidemment essayer de corriger tout ce qui s’est passé dans le passé. On rêverait tous de pouvoir faire ça !

Ce personnage étant invisible aux yeux de tous, il est une hallucination, un fantôme, une part de folie, la bonne ou la mauvaise conscience de votre personnage ?

Disons qu’on est un petit peu dans une comédie fantastique et qu’il n’y a pas vraiment d’explication logique. C’est un truc de dingue qu’il faut essayer d’admettre !

Cette une pièce qui doit demander une concentration encore bien plus grande que dans les pièces habituelles ?

Oui la pièce est très intense, elle est hyper pointue et en même temps, elle est d’une fragilité exemplaire car elle tient sur un fil, tout se joue au quart de seconde. Par exemple, à un moment, je parle avec mon patron, le personnage est entre nous deux mais mon patron n’est pas censé le voir. Il me parle à moi tout en le regardant lui comme s’il était transparent… C’est très déroutant ! D’ailleurs, pendant les répétitions, ça a été un vrai cauchemar ! On avait même mis une cagnotte sur scène dans laquelle on devait mettre un euro à chaque fois que l’un d’entre eux le regardait ou faisait une erreur ! (rires) Mais le public s’amuse de ça énormément bien sûr.

Cette pièce est comique, très originale, elle est dans l’absurde et le fantaisiste… C’est rare de trouver tout ça en une seule une pièce…

C’est ce qui rénove complètement le genre théâtral, ce qu’ils ont écrit est complètement fou et ça dépoussière définitivement le théâtre aux yeux de ceux qui sont réticents à l’idée de venir voir une pièce.

C’est un thème qu’on a vu plusieurs fois dans des films comme Un jour sans fin mais au théâtre, c’est une première non ?

Oui et d’ailleurs ça a été le problème… Pendant trois ans ils n’ont pas réussi à monter ce spectacle parce que les directeurs de théâtre pensaient que le flash-back ne pouvait pas fonctionner sur scène alors que maintenant, on a la preuve que ça peut marcher.

Chaque soir, vous jouez la même pièce dont l’histoire se répète elle-même continuellement à l’intérieur, et pourtant, chaque soir, tout est différent…

Oui, ça peut faire un peu cliché, mais c’est vrai, tout change selon le public… Il existe la température de jeu. Au début d’une pièce de théâtre, il y a toujours un mot ou une phrase qui va vous donner la température de ce que va être la pièce dans la soirée. Nous aussi on a une phrase qui nous permet de savoir comment va se passer le reste de la soirée. On sait si les gens vont rire énormément, si ils vont avoir une écoute attentive…

Ce qui est curieux, c’est que le public arrive à agir avec sa propre couleur sans se connaître…

Oui c’est extrêmement étrange ! Mais les personnes qui forment le public arrivent à réagir à l’unisson sans s’être concertés… C’est comme le taux de remplissage d’une salle. Si vous avez un spectacle qui se joue dans un théâtre de 1000 places, et que tous les soirs, il n’y a que 500 spectateurs et que le producteur le délocalise pour prendre un théâtre de 500 places, eh bien, il n’en vendra que 250 places ! (rires) Même des mathématiciens se sont penchés sur ce phénomène et ne l’expliquent pas puisque les gens ne sont pas de connivence… Il existe aussi une température d’affluence d’après un lieu… C’est la bizarrerie du théâtre !

Et comment réagit votre personnage face à ce phénomène de répétitions ?

Il y a une totale incompréhension de la part du personnage car il est le jouet de quelque chose qu’il ne maîtrise pas. Il devient complètement fou, il perd les pédales et c’est là que l’autre personnage va commencer à lui servir de régulateur. La pièce est tellement bien ficelée que même dans le public, il peut y avoir un moment de flottement. La dernière fois, une dame au premier rang a lancé « Mais il l’a déjà dit, ça ! » comme si elle était devant sa télé ! (rires)Elle s’est demandée ce qu’il se passait. Il y a parfois comme une panique au moment où cette pièce qui démarrait comme un boulevard dérape. C’est ce que j’adore dans cette pièce !

Vivre sur scène des moments surréalistes comme ceux-ci, qui ne pourront jamais arriver en vrai, c’est encore plus jouissif ?

Ah oui ça l’est ! Mais ça l’est également quand les situations sont réelles ou en tous cas probables. Quand j’ai joué David O. Selznick dans Hollywood, je suis tombé en admiration sur sa vie. En règle générale, rentrer dans la peau de quelqu’un, fouiller dans sa vie, c’est extraordinaire. Quand j’ai joué Pierre Bérégovoy, j’ai demandé des cassettes, plein de documents, j’ai voulu voir vivre cet homme. Je me suis renseigné sur la politique. Je l’ai observé, épié… J’ai vu quand il sortait de voiture qu’il avait un tic avec son bouton, qu’il avait une sorte de souffrance quand il prenait son sac… C’est très impressionnant, d’un seul coup, de prendre l’identité de quelqu’un qui a vraiment existé. C’est peut-être pire que la fiction.

On peut avoir du mal avec certains personnages ?

Oui, j’ai eu du mal avec le personnage d’Henri Lafont qui était dans la Gestapo. C’était un repris de justice qui s’habillait en SS. Ça a été très dur pour moi de mettre ce costume là. C’est un personnage que je n’aime pas mais que j’avais tout de même envie de l’interpréter. Alors j’ai été honnête. Je ne l’ai pas plus sali qu’il ne l’était déjà. Il était très sale et j’aurais très bien pu avec mon métier d’acteur, le rendre encore plus minable. Je ne l’ai pas fait, j’ai voulu respecter l’Histoire telle qu’elle était. J’ai même amené à la fin, quand il sait qu’il est cuit, une sorte d’émotion pour qu’on réalise que ce personnage là allait tout perdre et qu’il allait en souffrir. Je voulais qu’on voie la souffrance. Ça va loin quand même ! (rires)

Dans le film Un jour sans fin, on s’aperçoit que les personnages pris dans ce genre de cycle infernal doivent comprendre que quelque chose cloche dans leurs vies donc même si ça peut paraître farfelu, il y a quelque chose de profond derrière…

Oui il y a une morale. Il y a quelque chose qui fait qu’on remet tout dans l’ordre. C’est ça qui est bien et qui fait que le public est totalement avec nous.

Ça prouve aussi que chacun d’entre nous est un peu maître de son destin et qu’on a tous les moyens pour changer les choses à partir du moment où on accepte de les voir ?

C’est exactement ça. On a tous la possibilité de changer le cours des choses, de diriger notre vie. Les gens me disent qu’ils aimeraient bien revenir en arrière et moi aussi, pour aller voir par exemple, mon ancien professeur qui disait qu’on ne ferait rien de moi parce que je n’étais pas comme les autres car tout ce qui n’était pas artistique m’ennuyait profondément. J’ai vu plein de psychologues, mes parents étaient effondrés ! Cette expérience m’a appris qu’on a tous un soleil. Il faut juste le découvrir ! Il faut se lever le matin en se disant qu’on va faire ce qu’on a envie de faire parce qu’on aime le faire. Ça c’est ce qu’il y a de plus important, sinon on s’ennuie toute sa vie sans pouvoir repartir en arrière…



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel
Interview parue dans l’édition n°346 de mars 2014
Dates de tournée ici
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