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INTERVIEW

Benoît Solès en interview pour sa pièce « La machine de Turing »

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Pour la première fois après plus de 20 ans de carrière comme comédien, Benoît Solès s’est lancé dans l’écriture d’une pièce de théâtre qui, à peine présentée au public, s’est retrouvée encensée tant par ce dernier que par le métier et la critique au point de s’être vue attribuer pas moins de quatre récompenses lors des derniers Molières ! Retraçant sur scène l’histoire d’un génie scientifique qui, après sa condamnation pour homosexualité aura fini par mettre fin à ses jours, ce petit bijou scénique pousse à l’introspection et à la réflexion en réussissant à ne laisser personne indifférent…


« Grâce à ce qu’il était, je tente de lutter contre les a priori… »


La Machine de Turing connaît un succès magnifique…

Benoît Solès : C’est vrai qu’il y a une espèce d’engouement vertigineux autour de la pièce mais surtout, je pense, autour de l’histoire incroyable du personnage. Dans les milieux universitaires, scientifiques ou gays, des légendes circulent sur cet homme mais jusqu’au film Imitation Game en 2013, il était encore soit inconnu du grand public soit considéré comme très mystérieux… 

Tu travaillais sur la pièce quand le film est sorti…

Dès 2008 j’ai commencé à travailler sur Turing et j’ai trouvé cette coïncidence aussi amusante que significative… Que deux personnes qui ne se connaissent pas et ne vivent pas dans le même pays s’intéressent au même sujet en même temps révèle un besoin inconscient de traiter un problème existant… 

Et le fait que toutes les salles soient pleines ne fait que le confirmer…

Depuis Avignon l’an dernier, on a pour tradition de rencontrer le public après chaque représentation, c’est l’occasion d’échanger avec lui sur ce personnage qui les touche… Ce sont des rencontres humaines extrêmement fortes où les gens sont parfois tellement émus qu’ils n’arrivent pas à s’exprimer… Certains m’ont dit que la pièce les avait impactés, qu’elle avait soit changé leur regard sur le monde, soit les avait aidés à assumer leurs propres différences. C’est aussi troublant que puissant de réaliser que ce qui a de l’importance à mes yeux trouve une résonnance chez autant de mes concitoyens. 

Tu vis avec Alan Turing au quotidien…

« Vivre avec lui », l’expression est bien choisie ! (rires) Je ne me prends pas pour lui, je ne suis pas lui mais j’ai le devoir de l’incarner au plus fort tous les soirs sans perdre en fraîcheur ou en intensité que ce soit par respect pour sa mémoire ou pour les spectateurs… Je me dois de donner le meilleur de moi à chaque fois et pour y parvenir, je ne peux pas jouer en « automatique ». Il faut en effet vivre avec lui, le ressentir et chercher à  l’approfondir constamment. C’est la beauté du théâtre…

Choisir un personnage ayant réellement existé…

C’est une vraie question à se poser quand tu veux t’attaquer à un personnage historique ! (rires) Il y a toujours des gens qui critiquent et qui pensent pouvoir faire mieux, ça fait partie du jeu… Ce qu’il faut, c’est être rigoureux, documenté et sincère dans sa démarche. Je ne suis pas historien, je ne fais pas une thèse, La machine de Turing reste une pièce de théâtre avec des élements totalement factuels, des raccourcis pour simplifier les données trop scientifiques et, évidemment, un fil conducteur, une licence poétique sans qui ce ne serait qu’une conférence. La pièce ne prétend pas être une reconstitution rigoureuse de la vie de Turing, elle en est une évocation.

Un personnage riche…

C’est un personnage très complet et complexe qui évolue en quatre dimensions : historique, scientifique, tragique et romantique. Il a changé le cours de l’Histoire en décryptant Enigma, il a révolutionné nos vies en créant la première machine pensante à l’origine de l’intelligence artificielle et il a été condamné pour homosexualité avant de se suicider en mangeant une pomme empoisonnée… Son destin m’a attiré car il a été aussi exceptionnel que romanesque !

Un créateur…

En poussant toujours plus loin ses investigations scientifiques et en mettant sur pied une machine qu’il tendait à rendre aussi – voire plus – intelligente  qu’un humain, Turing a forcé les gens à se poser des questions plus métaphysiques que purement scientifiques… Si l’Homme est en effet capable de reproduire avec des composants électroniques des connexions neuronales, ne se rapprocherait-il pas du Dieu créateur ? Une pièce qui parle des différences…

Tout à fait, je ne voulais pas que la pièce soit militante ou communautariste. Il s’avère qu’il était gay mais il avait aussi plein d’autres différences qui dérangeaient. Il ne s’habillait pas, ne pensait pas, ne riait pas, ne parlait pas et n’aimait pas comme les autres, tout était matière à stigmatisation et c’est ce qui, à mes yeux, en a fait un héros universel ! Grâce à ce qu’il était, je tente de lutter contre les a priori que l’on peut avoir face au handicap, à la maladie, à la couleur de peau, à la sexualité ou aux idées que l’on ne partage pas. La pièce, au delà de Turing lui-même, de l’informatique ou de la guerre, nous questionne sur nos différences…

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pendant le Festival Off d’Avignon Photos Michel Blanc


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Interview parue dans les éditions n°408 #1, #2, #3 et #4 de novembre 2019

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