INTERVIEW

Anne Roumanoff en interview pour Le Mensuel en 2013 Spectacle Anne Rougemanoff

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Anne Roumanoff

en interview 

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ANNE ROUMANOFF
 
 
  

Dans le spectacle « Anne Rougemanoff »

 

« Si je suis là c’est grâce au public, j’essaie de ne jamais l’oublier… »

Et si cette couleur qui est devenue, au fil des années, une partie de son identité comme un signe distinctif, cette couleur chantée par Michel Sardou, n’était autre que celle de l’endroit qu’elle aime le plus au monde : le théâtre. La plupart des humoristes tentent de se fondre dans la sobriété du décor, tout de noir vêtus, alors qu’Anne Roumanoff, telle un caméléon, a choisi de se confondre au rideau et aux sièges. Peut-être pour rendre hommage à ce qui la rapproche le plus de son public ou pour rappeler qu’elle attache autant d’importance à ce qu’il se passe dans la salle que sur scène… Le rouge, c’est aussi la teinte de la passion, de l’amour, une couleur vive et excitante, qui symbolise à la perfection ce que la timide diplômée de Sciences Po est devenue, en plus de vingt ans, à force de fouler les planches : un électron libre.
Car même si l’humour paraît être chez elle sa nature première, Anne la pétillante n’a semble-t-il pas totalement délaissé les questions de société qui devaient la captiver du temps où elle se trouvait sur les bancs de « l’école » aux côtés de Jean-François Copé et David Pujadas. L’actualité, qu’elle a mis des années à s’autoriser sur scène, est bel et bien, depuis le succès de Radio Bistro devenu la colonne vertébrale de ses spectacles. Dans le dernier en date, Anne Rougemanoff, elle aborde sans aucun complexe tout ce qui nous touche et nous perturbe. De la pression des régimes aux emplois précaires en passant par la crise financière, l’humoriste devient, le temps d’une soirée, notre porte-parole à nous qui lui ressemblons tant. Avec la même fraîcheur qu’à ses débuts et les mêmes personnages hauts en couleur, notre chaperon n’en a pas fini de nous accompagner dans nos tribulations quotidiennes.

 

   

anne-roumanoff-rougemanoff-2013-CMorgane L : Vous avez pour habitude dans vos spectacles de ne pas jouer pour le public mais avec lui. On se souvient du sketch « Ça se discute » par exemple. C’est quelque chose que l’on retrouve dans « Anne Rougemanoff » ? Quel plaisir ressentez-vous lorsque vous invitez des gens sur scène ?
Anne Roumanoff : J’ai toujours beaucoup aimé impliquer le public, ça réserve souvent de belles surprises. Dans ce spectacle, j’interprète une coach québécoise qui fait monter un spectateur sur scène pour le libérer de ses toxines. Ce sketch est très tributaire de la personnalité du spectateur et ce qui est formidable, c’est qu’à chaque fois, c’est différent.

Quelles difficultés et quelles surprises vous ont offert le public dans cet exercice scénique auquel il n’est pas réellement habitué ?
C’est le moment que je préfère dans le spectacle car il se passe souvent des choses inattendues et il faut improviser. Je n’ai pas d’anecdote précise car chaque soir c’est réellement différent et c’est toujours un moment unique. C’est ça qui est formidable avec le spectacle vivant.

Anne Rougemanoff est un spectacle qui expose, comme les précédents, les petits travers du quotidien ?
Je parle de la société et de la vie quotidienne. Il y a des personnages très différents : une ado qui ne comprend rien à la première guerre mondiale, une bouchère très inquiète de la crise financière et qui va demander des explications à son banquier. Il y a aussi une instit qui donne des cours de morale à des hommes politiques enfants, une riche BCBG qui manifeste avec le slogan « Sauvons les riches », une stagiaire qui a du mal avec le monde de l’entreprise…

D’où est venu cet intérêt pour la vie de tous les jours et surtout pour les gens qui la vivent ? Pour être humoriste et aimer observer le monde, il faut, quelque part, avoir un petit penchant anthropologue ?
J’adore observer les gens et leurs petits travers, je ne m’en lasse pas ! Je ne sais pas si c’est de l’anthropologie ou de la pure curiosité. Je me rends compte que l’on rit souvent d’une situation délicate en l’évoquant après coup. C’est le regard qu’on porte sur les choses qui rend les choses drôles ou pas. En tout cas, une chose est sûre, on ne fait pas rire avec le bonheur. Le rôle de l’humoriste est de tendre un miroir à la société et de parler de tout ce qui ne fonctionne pas. Je tiens à ce que dans chaque sketch, il y ait un petit message.

Et votre amour pour le personnage ? Au-delà de l’intérêt pour la personne en tant que telle, peut-on y voir le goût du jeu, de l’interprétation ? C’est quelque chose que vous avez conservé de l’époque où vous vouliez devenir tragédienne ?
J’aime mes personnages et j’essaie de leur donner une certaine humanité. Quand j’incarne un personnage, j’éprouve forcément de l’empathie pour lui. J’adore faire aimer au public un personnage a priori antipathique. Je pense que chaque être humain a des côtés attachants.
Quant à l’époque où je voulais devenir tragédienne dont vous me parlez, elle est bien lointaine puisque c’était entre 12 et 13 ans et j’en ai 48 ! (rires)

Est-ce qu’incarner un personnage permet de dire des choses que vous n’oseriez jamais évoquer sans ce « masque » ?
Oui, certainement, je suis toujours beaucoup plus à l’aise quand je m’exprime à travers un personnage. J’ai un peu du mal à faire du stand up qui veut que l’on parle simplement au public de sa vie quotidienne. Ça m’ennuie même un peu, j’aime bien la démesure des personnages.

Depuis quelques années, vous alternez sur scène personnages et actualités, c’est devenu totalement naturel ? Et surtout, est-ce quelque chose que vous avez conservée dans votre dernier spectacle ?
Oui, je parle à fois de la vie politique et de la vie quotidienne. J’aime bien cette alternance là. Faire tout un spectacle politique m’ennuirait mais ne pas parler de politique, j’éprouverai un manque. Parler de la politique demande juste un peu plus de doigté et oblige à tout le temps réactualiser ses textes… (rires)

La politique s’invite indéniablement par le biais de l’actualité, ça signifie que le spectacle est obligé d’évoluer constamment ?
Le passage du bistro est remanié chaque jour en fonction de l’actualité du moment. Après, je ne change pas tout de A à Z chaque jour mais ça bouge tout le temps. Ça reste quand même un passage très écrit même s’il m’arrive d’improviser en fonction de l’actualité du jour.

La situation économique s’aggrave de jour en jour, le moral des français est en chute libre, comment faites-vous pour garder le vôtre et trouver encore la force d’en rire ? Et surtout le don de nous faire rire ?
Je ne suis pas tout le temps en train de rire. Comme beaucoup d’humoristes, je suis même assez flippée ! (rires) Après, c’est vrai qu’en période de crise, les gens sont angoissés, ils ont besoin de rire. C’est sans doute pour ça qu’il y a de plus en plus d’humoristes. Le rire permet d’apaiser les angoisses, au moins temporairement. Tous les problèmes peuvent être matières à sketchs et hélas, en ce moment, on en a beaucoup… C’est le regard qu’on porte sur les choses qui les rend drôles ou pas. Encore une fois, on ne fait malheureusement pas rire avec le bonheur.

Ce goût pour la politique est présent depuis votre formation à Sciences Po ? Ça permet de joindre l’utile à l’agréable ?
J’ai surtout fait Sciences Po pour me rassurer, car j’étais consciente des aléas du métier de comédienne. J’avais l’idée de devenir journaliste car j’adore poser des questions aux gens, connaître les petits détails de leur vie. La politique est plus récente dans ma carrière. Pendant longtemps, je trouvais que les “Guignols” et les imitateurs évoquaient la politique avec beaucoup de talent et je ne voyais pas trop comment en parler. C’est en trouvant le personnage un peu éméché de radio bistro que le déclic s’est produit. J’essaie toujours, quand je traite de l’actu, de me mettre à la place du français lambda, de me demander comment il ressent telle ou telle nouvelle. C’est ça qui m’intéresse, le ressenti des gens sur l’actu, plus que l’actu elle-même.

Mais vous ne vous en prenez pas qu’aux autres, vous la première, vous faites preuve d’autodérision ?
Commencer par soi me paraît la première des politesses quand on fait rire. Quand on est une femme, surtout, il faut évacuer le problème physique, donc je me moque de mon physique.

C’est un spectacle qui s’inscrit donc dans la continuité des précédents ?
Chaque spectacle est différent même s’il y a forcément une continuité. Les gens qui me suivent depuis longtemps me disent que c’est mon meilleur spectacle mais moi, honnêtement, je ne sais pas. A chaque fois, j’essaie de faire de mon mieux, d’être sincère, de me renouveler. Après, c’est le public qui décide…

Toujours en rouge, d’où le titre du spectacle… Rouge comme passion, comme le rideau et les sièges d’un théâtre, parce que vous voyez rouge parfois ?
Le Rouge vient de la première fois où je suis passée à la télé, il y a 25 ans, j’étais en rouge et du coup je me suis attachée à cette couleur. C’est une couleur joyeuse et pleine d’énergie comme moi. Parfois il m’est arrivé de me produire sur scène en noir et je ne me suis pas sentie très à l’aise. Mais ce n’est ni pour attirer les taureaux, ni parce que je suis communiste ! (rires)

Vous avez l’expérience de la télé, de la radio et de la scène mais vous m’aviez parlé il y a deux ans, de l’envie d’écrire quelque chose pour le théâtre ou le cinéma, c’est un domaine qui vous attire toujours ?
J’ai commencé l’écriture d’un scénario pour le cinéma mais ce n’est pas facile d’arriver au bout, c’est très nouveau pour moi. Je vais plutôt essayer de faire une pièce de théâtre et puis je vais commencer aussi à réfléchir à un nouveau spectacle.

Vous avez élu domicile au musée Grévin, ça fait quoi de voir que vous faites à ce point partie du paysage culturel français ?
Je suis déjà étonnée et surprise ! J’ai pas mal galéré pour en arriver là, ce qui me permet de mieux savourer ce qui m’arrive aujourd’hui. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir s’exprimer à la fois sur scène, à la radio et à la télé. C’est un grand privilège, j’en suis consciente, je tâche juste d’en être digne. Si je suis là c’est grâce au public, j’essaie de ne jamais l’oublier.



Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel

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