COUPS DE COEUR

André Manoukian en interview pour son nouvel album « Les pianos de Gainsbourg » et son livre « Sur les routes de la musique »

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Au vu de sa passion pour les voix de femmes, il n’est pas étonnant de retrouver André Manoukian si bien entouré de six chanteuses au talent et à l’aura indiscutables. Mélody Gardot, Isabelle Adjani, Élodie Frégé, Camille Lellouche, Camélia Jordana et Rosemary Standley n’ont en effet pas hésité à rejoindre cet amoureux de la musique qui n’a de cesse que de la défendre et la populariser ! À travers 6 morceaux instrumentaux et 6 titres sublimement (en)chantés qui feront fondre de plaisir tous les amateurs de jazz et de suavité, le spécialiste du « bien-être musical » revisite le répertoire de l’inoubliable Serge Gainsbourg avec la pureté et l’élégance d’un piano-voix…


 

🎵 André Manoukian, « Les pianos de Gainsbourg », nouvel album paru le 23 avril 2021

📚 Livre « Sur les routes de la musique, à la recherche des notes qui s’aiment » à paraître le 02 juin 2021 chez Harper Collins

📺 Émission « Bel et bien » diffusée tous les samedis à 10h00 sur France 2 & en replay sur france.tv 

📺 Émission « La Vie Secrète des Chansons«  diffusée tous les vendredis à 23h00 sur France 3 & en replay sur france.tv 

 


« Je n’avais pas le droit à l’erreur ! »


 

Morgane Las Dit Peisson : Votre nouvel album, Les pianos de Gainsbourg, vient de sortir…

André Manoukian : J’ai beau être quelqu’un d’assez cool, chaque sortie d’album a son « cérémonial » qui s’accompagne d’une petite dose de trac et de stress. On pourrait croire qu’on finit par s’habituer mais sortir un album n’a rien de naturel ! (rires) Et puis, à chaque fois, l’histoire est différente. Cette fois-ci, ça a mobilisé 6 chanteuses qui se sont toutes énormément investies, et surtout, je reprends Gainsbourg, le maestro ! (rires) C’est un peu un événement, mais c’est surtout quitte ou double ! Il y a un enjeu, des pressions, des attentes… Je ne vais pas vous mentir, j’ai eu un peu le trac parce que je savais que je n’avais pas le droit à l’erreur ! Maintenant ça va mieux, les premiers retours sont bons, l’album est 3ème des ventes chez Amazon, les plateformes le mettent en avant donc je me sens rassuré, je n’ai pas dû faire trop de bêtises ! (rires) En temps normal, j’essaie de ne pas trop me confronter à tout ça mais dans le cas présent, il y avait trop de gens impliqués pour que je puisse en rester détaché, je me sens un peu responsable.

Un album conçu pendant une période particulière…

Oui, le dispositif a été un petit peu lourd cette fois-ci au niveau de l’organisation mais plus parce que, quand vous avez des invitées comme Isabelle Adjani et Melody Gardot, ça ne se fait pas au coin d’un comptoir ! (rires) J’ai dû leur exposer le projet, les convaincre, les séduire, aller les chercher… Je voulais qu’elles se sentent bien, qu’elles soient heureuses de participer à ce projet car chanter du Gainsbourg était pour elles aussi une grande responsabilité. Pourtant, bizarrement, tout s’est fait assez naturellement et simplement. On a juste partagé de la belle musique ensemble, une musique très bien écrite et très bien composée… Il n’y a rien de plus agréable !

Gainsbourg reste un monument encore aujourd’hui…

Complètement ! Quand on s’attaque à son répertoire, il faut être très sûr de soi… Ce qui m’a aidé, c’est que c’est le label Blue Note qui est venu me chercher pour ce projet en me demandant de le travailler façon jazz. J’ai l’habitude de ce genre de mission donc je suis à l’aise dans cet exercice et j’irais même plus loin, c’est le principe même du jazz : rejouer des standards, des classiques, des grandes chansons du répertoire de Broadway et des tubes populaires pour les revisiter. Le boulot du jazzman, c’est de réinventer et de s’approprier la musique. Par contre, il ne faut pas reprendre un morceau juste pour le principe, il faut lui apporter quelque chose mais sans le trahir… Il ne s’agissait pas d’inventer un Gainsbourg version 2020 mais de revoir, humblement, le Gainsbourg de la première période, celle qu’il a appelée sa période bleue.

 

Jazz ou piano-bar ?

C’est vrai qu’on reste dans le jazz mais avec une esthétique singulière, celle du piano-bar, c’est à dire un style presque entre la muzak et la grande musique de jazz ! Vous marchez sur une ligne de crête entre Charly Oleg d’un côté et Bill Evans de l’autre alors il faut faire très attention ! (rires) Ça n’a pas l’air, mais c’est assez délicat et subtil d’être pianiste de piano-bar… Heureusement, avec des morceaux de la qualité de La javanaise, Sous le soleil exactement ou encore Ce mortel ennui, il y a peu de risques de faire un faux pas.

Six femmes vous accompagnent…

C’est une chance incroyable ! Toutes les six sont des chanteuses fabuleuses, des envoûteuses en chef donc toutes les conditions étaient réunies pour que la création de cet album soit agréable. Vous connaissez mon attirance pour les voix féminines mais j’ai proposé à des hommes de chanter ! Ils ont tous décliné l’invitation ! Pas par désintérêt mais par crainte de passer directement après le maître… Pour les femmes, ce n’est pas le même enjeu alors elles ont répondu beaucoup plus spontanément.

 

Le choix des morceaux et leur « attribution »…

Je n’ai rien eu à imposer à qui que ce soit car, avant même que je leur fasse des propositions, elles avaient toutes une idée en tête. Melody Gardot m’a immédiatement demandé de faire La javanaise, Isabelle Adjani était d’accord à condition de pouvoir chanter Sous le soleil exactement, Camélia Jordana avait déjà jeté son dévolu sur Black tromboneC’était très agréable de voir qu’elles n’étaient pas passives, qu’elles avaient réfléchi de leur côté et qu’elles avaient spontanément choisi ce qu’elles aimaient ! D’emblée, j’ai compris qu’elles étaient déjà investies dans le projet.

Une Isabelle Adjani envoûtante…

On se souvient d’elle pour l’interprétation de son Pull marine mais elle se fait très rare donc ça m’a encore plus touché qu’elle accepte de collaborer, ça veut dire que j’ai réussi à la mettre en confiance. Elle est venue très généreusement et a dévoilé une voix intacte ! Après une trentaine d’années, on a l’impression qu’elle n’a pas bougé…

 

12 titres dont seulement 6 chantés…

Proposer des versions instrumentales des chansons de Gainsbourg peut passer pour un parti pris voir pour une mise en danger mais ce sont des standards donc même sans paroles, les gens les connaissent et les reconnaissent. J’ai beaucoup écouté son répertoire, j’ai fait un tri entre ce qui était jouable uniquement au piano et ce qui ne l’était pas, d’ailleurs j’ai fait une tentative avec Couleur café mais en toute franchise, c’était difficile ! Après, rien n’est impossible mais j’avais envie que celles qui allaient figurer sur l’album s’imposent de façon spontanée et évidente. Le poinçonneur des Lilas, par exemple, je ne pensais pas que ça fonctionnerait aussi bien et aussi naturellement. Je me suis emparé d’un très beau matériel que j’ai eu la chance de façonner avec des musiciens extraordinaires ! On se connaît super bien, on est très complices, on travaille très régulièrement ensemble en tournée donc ça facilite les échanges et ça permet de proposer quelque chose de très instinctif.

Les pianos de Gainsbourg enregistré sur un piano de Gainsbourg…

Sur le Steinway D du studio Ferber qui était son piano et sur lequel il a enregistré énormément de chansons ! C’est évidemment un vieux modèle alors quand je suis arrivé, j’ai demandé à en louer un car, quand ils ont moins de cinq ans, ils sonnent mieux, moins aigre. C’est à ce moment-là, que le propriétaire du studio m’a confié que ce vieux piano était celui dont Gainsbourg s’était servi, il restait même une trace de son mégot dessus ! Ça a changé la donne, j’ai oublié la location et je me suis mis au travail ! (rires) Je crois que j’ai bien fait de changer d’avis, je ne suis pas du tout déçu du résultat et cette petite tonalité vintage colle parfaitement au projet…

 

Une très jolie série de photos pour illustrer cet album, chics et romantiques…

(rires) Ce n’est pas vraiment l’exercice que je préfère mais l’idée était de lui rendre hommage en rappelant un de ses premiers albums où il était très classe, habillé en dandy avec des roses rouges dans une main et un revolver dans l’autre… Bon, on a retiré ce dernier accessoire car aujourd’hui, ça passerait beaucoup moins bien ! (rires) Même si je ne suis pas hyper à l’aise quand je joue les modèles, je dois reconnaître que les photos sont belles et élégantes et qu’elles reflètent bien l’atmosphère feutrée d’un piano-bar dans ce décor un peu rococo de l’incroyable salon du Palais Royal.

 

Autre actu, on vous retrouve le samedi matin comme « chroniqueur bien-être musical » dans l’émission Bel & Bien sur France 2…

(rires) Exactement, j’aime bien l’idée du bien-être musical ! Et en plus, je vous assure que ça fonctionne ! Je me suis retrouvé dans ce projet car c’est une bande que je connais bien et je dois vous avouer que c’est presque une récréation pour moi ! En plus, je trouve que ces émissions ont vraiment la capacité de nous intéresser à des sujets auxquels on ne penserait pas être particulièrement sensible… J’aime bien quand ça m’emmène vers un domaine que je ne connais pas et qu’on aborde des thèmes un peu profonds avec Christophe André.

Et toujours une démarche pédagogique…

La musique est une vibration fondamentale que je ressens le besoin de défendre et de transmettre. D’ailleurs, je viens d’écrire un livre qui s’intitule Sur les routes de la musique, à la recherche des notes qui s’aiment et cet été, sur France Inter, je serai tous les jours à l’antenne à 8h55 pour 40 chroniques qui résumeront une histoire de la musique comme on ne l’a jamais entendue. Je veux montrer comment notre musique classique occidentale s’est construite sur des bases orientales avant d’être « désorientalisée » et de connaître un appauvrissement tellement terrible au 9ème siècle qu’ensuite, on a dû inventer autre chose… La musique ne peut pas supporter qu’on l’enferme !

C’est un peu l’histoire d’une musique maltraitée par les philosophes et les religieux mais qui finit toujours par s’en sortir ou en tous cas jusqu’au 19ème siècle où l’on va cesser d’apprendre l’improvisation… Mais puisqu’on ne peut pas restreindre la création musicale, celle-ci va traverser l’Atlantique et devenir le jazz… Je raconte ça pour défendre ma vision de la musique qui, selon moi, ne doit pas rester prise dans le formol ! Ce qu’on appelle la musique classique était une musique très vivante et on a essayé de la figer comme une perfection suprême intouchable… Je viens des deux univers : le classique et le jazz et je ne peux pas supporter que l’un ou l’autre soit prisonnier d’un carcan. Ça fait partie de mes indignations…

Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel / Photos par Yann Orhan


Interview parue dans Le Mensuel n°420 de mai 2021

 

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